Mohammed Latrèche. Réalisateur : «Mohamed Zinet s’est laissé emporter par l’énergie de la ville»

17/02/2025 mis à jour: 18:46
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Photo : D. R.

D’une durée de 57 minutes, le film documentaire Zinet, Alger, le Bonheur du réalisateur Mohammed Latrèche fait partie de la sélection par le Fespaco dans le cadre de la semaine de la critique qui se tiendra du  22 février au 1er mars 2025, à Ouagadougou, au Burkina Faso. Dans cet entretien, le réalisateur nous dévoile comment il a écrit le scénario de son film documentaire. Sans détour et avec beaucoup de passion, il évoque avec l’homme exceptionnel que fut Mohamed Zinet.

  • Votre documentaire Zinet, Alger, le Bonheur, réalisé en 2023, brosse le portrait de l’acteur et cinéaste algérien Mohamed Zinet (1932-1995). Pourquoi avoir décidé de lui consacrer un documentaire ?

C’est un film contre l’oubli, un film de transmission. L’œuvre de Mohamed Zinet a été en réalité peu promue, voire malmenée. Son unique film en tant que réalisateur, Tahya Ya Didou (aussi appelé Alger insolite) tourné en 1970, n’a pas bénéficié d’une sortie digne de ce nom.

Heureusement, le négatif réapparu miraculeusement en 2016 a permis au film d’être restauré grâce au ministère algérien de la Culture. Quand j’ai commencé à faire des films, Mohamed Zinet était déjà décédé (le 10 avril 1995, ndlr). Mon profond attachement à son égard vient à la fois de son talent, de son courage et de sa fragilité. C’est une source d’inspiration.

  • Selon vous, qui était concrètement Mohamed Zinet ?

La vie de Mohamed Zinet a épousé les soubresauts de l’histoire. Acteur de théâtre dans l’Algérie coloniale, il a très tôt milité pour l’indépendance et rejoint le maquis durant la guerre de Libération. Il a vécu en Tunisie, en Allemagne et en France. Son existence a accompagné le mouvement de l’histoire algérienne. Mais cette histoire, malgré son foisonnement, est à l’origine d’une frustration. Mohamed Zinet a été un cinéaste empêché : il n’a pas trouvé sa place dans le système de production étatisé.

  • Quelle a été la genèse précise de Tahya Ya Didou ?

Après l’indépendance en 1962, Mohamed Zinet a cherché à adapter au cinéma sa pièce de théâtre Tibelkachoutine, qu’il a jouée par intermittence depuis le début des années 1950. Il n’a jamais réussi à faire ce film. En 1969, il a saisi l’opportunité de réaliser une commande de la mairie d’Alger qui cherchait à promouvoir la ville. Mohamed Zinet et Anne Papillault, sa compagne, ont d’abord écrit le scénario d’un moyen métrage.

Mais pendant le tournage, Mohamed Zinet a introduit de nouveaux personnages, de nouveaux éléments documentaires que lui a offert le réel, ce qui a modifié le film. Tahya Ya Didou est né ainsi. Ce que je trouve magique, c’est justement la façon dont Mohamed Zinet s’est réapproprié cette matière dite documentaire pour la transformer en fragments poétiques. Il s’est laissé emporter par l’énergie de la ville.

  • Pourquoi Tahya Ya Didou a une telle influence sur vous ?

Quand j’ai commencé à faire des films il y a 20 ans, j’ai essayé de me situer dans l’histoire du cinéma algérien. Tahya ya Didou est devenu mon repère auquel je me suis identifié, car il a incarné, et il continue à l’être, à la fois un cinéma viscéralement libre, audacieux et novateur. L’ex-directeur de la Cinémathèque d’Alger Boudjemaâ Karèche dit justement à propos de ce film qu’«il a inscrit Alger dans le monde».

  • Sinon, en quoi cette œuvre est-elle si importante ?

La ville d’Alger a été très peu filmée, surtout par les Algériens. Mohamed Zinet l’a fait de manière presque magique. Grâce à Tahya Ya Didou, Alger a été saisie pour l’éternité.

  • Combien de temps vous a-t-il fallu pour documenter votre parcours à la suite des traces de Mohamed Zinet ?

Plusieurs années, trop nombreuses au point que je ne peux plus les comptabiliser avec précision. 10 ans ? 15 ans ? Certainement plus. La difficulté, c’est que le parcours de Zinet n’avait pas fait l’objet d’une véritable monographie même s’il existe un livre qui lui est consacré. Autre difficulté, Zinet est un personnage insaisissable. Il avait en quelque sorte eu plusieurs vies. Une en Algérie, sous la colonisation, une autre pendant la guerre, encore une autre après l’indépendance… Même chose quand il était en Tunisie, en Allemagne et en France bien sûr.

Chacun de ces fragments représente d’une certaine façon une vie en soi. Sur son chemin, Zinet a rencontré beaucoup de monde, et pour chaque période, il change de fréquentations et d’amitiés. Les seuls amis constants qu’il a eus, ce sont l’immense écrivain Kateb Yacine et M’hammed Issiakhem, un très grand peintre algérien. Ces trois là, des artistes révolutionnaires, se comprenaient bien. Mais quand j’ai commencé à m’intéresser à Zinet, ils étaient tous décédés. J’avais rencontré en 2014 un journaliste qui les a bien connus et qui partageait leur mode de vie, Mohand Saïd Zied. A son contact, j’ai compris beaucoup de choses.

Je devais le filmer mais il est décédé peu de temps après notre rencontre. Avec le temps, mon travail est devenu comme celui d’un détective qui rassemble les pièces du puzzle de la vie d’un homme, essaye autant que possible de les déchiffrer. Et j’avoue que même après ce film, pas mal de pièces de ce puzzle m’échappent. Car par exemple, la carrière théâtrale de Zinet qui est très importante reste méconnue. Comme ses années au maquis durant la guerre de Libération, avec la troupe artistique du FLN ou même ses années de formation en Allemagne.

  • D’autres projets en perspective ?

J’ai envie de continuer d’explorer l’histoire du cinéma algérien. Je m’attelle en ce moment au portrait de Brahim Tsaki (1946-2021) qui a réalisé, selon moi, le plus beau film du cinéma algérien, Histoire d’une rencontre, couronné d’un Etalon du Yenenga remis des mains de Thomas Sankara à Ouagadougou, en 1985. A une époque où planait l’idée de la mort du cinéma (les années 1980), Brahim porta ses films, en même temps que les cinématographies algérienne et africaine, vers des sommets de créativité.

Il a été le porte-drapeau d’un cinéma réellement poétique. Je suis vraiment troublé de voir que je vais à Ouaga 40 ans, presque jour pour jour, après que Tsaki a reçu l’Etalon des mains de Thomas Sankara. Mon esprit est accaparé par Brahim, je pense beaucoup à lui pendant la préparation de mon voyage à Ouaga. Du coup, j’ai pris la décision de tourner lors du Fespaco quelques séquences qui pourraient figurer dans le film que je lui consacre. 

 

 

 

 

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