Mohamed Sari. Écrivain, traducteur : «L’acte de traduire est complexe»

13/03/2024 mis à jour: 06:51
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Dans l’entretien accordé à El Watan, Mohamed Sari revient sur l’acte de traduction, ses exigences et les moyens à mettre en œuvre pour impulser un vrai mouvement de traduction dans le pays.  «C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et c’est le même processus dans tout acte d’apprentissage, et la traduction est un vrai champ d’apprentissage pour peu que le traducteur puisse trouver un champ fertile où il puisse forger son talent et mettre en pratique les différentes théories de traductologie qu’on lui a inculquées dans les années de sa formation universitaire.»  

 

 

Entretien réalisé par  Nadir Iddir

 

 

-Vous êtes l’un des traducteurs algériens les plus prolifiques. Vous venez de publier un choix de textes de la littérature algérienne d’expression française traduits en arabe. Comment définissez-vous l’acte de traduction ? 
 

La définition la plus simple, c’est l’acte de faire passer un texte d’une langue «langue d’origine» vers une autre langue qu’on appelle «langue cible». Mais l’acte de traduire est plus compliqué que cet acte linguistique technique, surtout en ce qui concerne les œuvres littéraires qui constituent un champ linguistique et stylistique complexe, propre à chaque langue, des œuvres qui expriment le subjectif d’un peuple, et qui charrie son histoire pleine de symboles, de spécificités linguistiques et de pensées qui ne sont pas aisés à traduire vers une autre langue, différente d’elle de part son identité et son histoire. Donc en définitive, l’acte de traduire est complexe, et demande au traducteur un effort permanent et une connaissance approfondie de la langue d’origine et de la langue dans laquelle il traduit pour qu’il puisse amoindrir autant que possible l’acte «d’infidélité» que tout traducteur ne peut éviter. Ne dit-on pas que traduire, c’est trahir ?

 

-Quels sont, pour vous, les critères de choix d’une œuvre à traduire ? 

Le choix d’une œuvre à traduire est toujours un casse-tête, car le choix peut être fait par le traducteur et peut être commandé par un éditeur. Dans mon cas, je lis l’œuvre avant de décider de traduire. Je dois aimer le livre, être en parfaite symbiose avec son style, son sujet, car je conçois l’acte de traduire comme un plaisir. Je ne me vois pas passer des jours et des jours à travailler sur un livre déplaisant, ça devient une corvée et forcément on se précipite à s’en débarrasser, et la traduction sera bâclée. Par contre, traduire une œuvre qui nous plaît d’emblée, dès la première lecture, nous amène à donner au texte traduit sa vraie valeur stylistique comme s’il nous appartient. Et les échos que je reçois des lecteurs de mes textes traduits sont favorables, et beaucoup d’entre eux disent qu’ils ont apprécié la traduction car ils n’avaient pas l’impression de lire un texte traduit, mais un texte écrit directement en arabe. Car en fin de compte, la traduction c’est aussi produire un texte qui donne le plaisir de la lecture dans la langue cible. 
 

-En Algérie, les traductions sont rares malgré l’existence de traducteurs pionniers, Bois, Khellas, Bagtache, vous... Durant les années 2000, après un frémissement suscité par les subventions octroyées par le ministère de la Culture aux éditeurs, un reflux brusque est vite constaté. Pourquoi ce constat amer d’une production souvent indigente ?
 

C’est vrai qu’il y a eu des opportunités de traduction dans les années précédentes soutenues par le ministère de la Culture, comme par exemple : l’Année algérienne en France 2003, Alger capitale de la culture arabe 2007, Tlemcen capitale de la culture islamique 2011, puis plus rien. Une autre expérience de traduction a été initiée par le Centre national du livre (CNL), en collaboration avec le CNL français et qui a abouti à traduire le recueil de nouvelles d’Assia Djebbar Femmes d’Alger dans leur appartement, traduction collective faite dans le cadre d’une formation de dix étudiants et publiée en Algérie aux éditions Hibr. Expérience très riche et qui devait être suivie d’une traduction d’une œuvre de langue arabe vers le français et publiée en France. Malheureusement, le projet n’a pas abouti. Beaucoup d’aléas se sont dressés pour que le projet tombe à l’eau, et il est importun de s’y étaler. Mais ce qu’il faut soulever c’est que ces traductions sont cantonnées dans la ligne algéro-algérienne, alors qu’on aurait aimé traduire des œuvres d’écrivains d’autres nations vers l’arabe, pour plus d’ouverture vers la littérature universelle.

 

-Depuis quelques mois, un constat : des textes, quelquefois de bonne facture, paraissent. Des textes de Dib, Mechakra sont publiés en tamazight, en arabe, etc. Quel regard portez-vous sur ces textes ?
 

C’est toujours intéressant de traduire vers l’arabe ou vers tamazight les écrivains algériens qui écrivent en français pour que les lecteurs arabophones et amazighophones puissent les découvrir. 

Mais il est tout aussi intéressant de faire le chemin inverse, c’est-à-dire traduire des œuvres écrites en arabe ou en tamazight vers le français (ou même d’autres langues) pour que les lecteurs d’autres langues puissent aussi les découvrir. Il faut souligner le travail de traduction qu’a fait le grand et humble Marcel Bois dans ses traductions des romans de Benhadouga, Tahar Ouatar, Waciny Laredj, Brahim Sadi, il les a fait connaître au public francophone. Malheureusement, il n’y a pas eu de vraie relève, même si de temps à autre certaines traductions voient le jour, ici ou en France, avec notamment le jeune traducteur Lotfi Nia. Mais cela reste des expériences personnelles sans aides notoires pour que la traduction puisse jouer pleinement le rôle qui lui revient dans le passage des œuvres d’une langue à une autre, et en ce qui nous concerne de l’arabe et de tamazight vers les autres langues et vice-versa.

 

-Justement, que faudrait-il faire afin d’impulser un réel mouvement de traduction en Algérie ? S’agit-il de bien former à ce «métier», d’encourager les soutiens financiers et d’aider les éditeurs à publier les textes les plus exigeants ? 

Pour impulser un mouvement de traduction en Algérie, il est nécessaire que les pouvoirs publics (ministères de la Culture,  de l’Enseignement supérieur, de l’Education nationale, des Moudjahidine et autres) puissent le prendre en charge en créant des institutions spécialisées dans la traduction, comme par exemple un «centre national de traduction» où des traducteurs puissent travailler à plein temps. Je crois savoir qu’un projet de ce genre est en cours au ministère de la Culture. Nous espérons de tout cœur qu’il puisse aboutir le plus tôt possible, car il rendra un grand service à la traduction, que ce soit celle vers l’arabe et tamazight, mais aussi traduire la littérature de nos deux langues nationales vers les autres langues du monde, de la même façon que nous recevons les littératures du monde traduites en arabe (Orient arabe) ou en français (France), les deux langues véhiculées dans notre pays. 

Pour la formation, je crois que nous avons assez d’instituts de traduction pour qu’ils puissent offrir à la traduction de jeunes talents qui ne demandent qu’à être pris en charge. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et c’est le même processus dans tout acte d’apprentissage, et la traduction est un vrai champ d’apprentissage pour peu que le traducteur puisse trouver un champ fertile où il puisse forger son talent et mettre en pratique les différentes théories de traductologie qu’on lui a inculquées dans les années de sa formation universitaire. 

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