Malgré les mesures prises par les autorités, certains produits de large consommation restent chers et et introuvables : Pourquoi le marché est dérégulé

05/04/2022 mis à jour: 02:54
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Photo : H. Lyès

Il y a un manque en marchés de proximité qui influe négativement sur les prix. Pour Akli Moussouni, expert agronome, cette situation va encore perdurer et rien ne semble l’arrêter. Selon lui, les intervenants dans ce secteur ne sont identifiés qu’à travers les aides de l’Etat mais jamais organisés en filières autour de leurs productions. Le marché national n’est pas normalisé et n’est pas planifié. Il y a absence d’un circuit de distribution qui puisse servir de plateforme de réception et de programmation annuelle des productions.

A peine passée la pandémie de Covid-19 et ses retombées néfastes sur la désorganisation de l’activité commerciale et de production en général, la crise russo-ukranienne vient mettre encore plus de pression sur le moral des Algériens touchant, cette fois-ci, à des produits de large consommation.

En effet, l’instabilité que connait le marché du blé et la remontée spectaculaire des prix de plusieurs matières premières et alimentaires ont créé une tension sur plusieurs produits. Entre spéculation, rumeurs et pénuries, l’Algérien ne sait plus à quel saint se vouer !

Et l’arrivée du Ramadhan, mois de consommation par excellence, pousse les ménages, ceux notamment dont les revenus sont modestes, dans leurs derniers retranchements.

Beaucoup, en effet, appréhendent une flambée des prix des produits de base, déjà qualifiés de trop chers par la population. Comment faire pour éviter qu’il n’y ait trop de casse ? Pour Hadj Tahar Boulenouar, président de l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), il n’y a pas lieu de parler de pénuries «récurrentes» de semoule, d’huile ou d’autres produits.

«A vrai dire il n’y a jamais eu de pénuries. Il y a perturbation dans la distribution. Parce que des rumeurs sur le manque de tel ou tel produit créé la panique chez le consommateur et opte pour le stockage de denrées alimentaires. C’est ce qui crée des pénuries. 20 jours à un mois après, lorsque tout le monde aura fait ses emplettes et stocké des marchandises, la situation finit toujours par se normaliser», insiste-t-il.

Récusant toute idée de pénurie, il citera le cas de la semoule et de la farine. «Selon nos informations récoltées auprès des minoteries, le pays a des réserves de 5 à 6 mois en semoule et farine. Donc il y des quantités suffisantes. Sans oublier qu’en mai et juin, c’est la saison d’une nouvelle récolte. Donc il n’y a rien à craindre», indique-t-il.

Que ce soit pour les semoules ou l’huile, c’est la demande qui crée la pénurie et non le manque de produits ou de matières premières, selon notre interlocuteur, pour qui l’offre «existe». «On a eu peur pour les fruits et légumes à cause de la sécheresse qui a sévi, mais apparemment, et avec le retour de la pluie, les agriculteurs nous ont assuré qu’il n’y aura pas de manque pour le mois de Ramadhan», rassure-t-il.

M. Boulenouar estime que mis à part pour les 3 ou 4 premiers jours du mois sacré, où il y a généralement perturbation du marché avec augmentation des prix, non pas à cause d’un quelconque manque de produit mais à cause de la «fébrilité» qui gagne l’Algérien à la veille et durant le mois de jeûne, «aucune perturbation notable n’est à prévoir».

Plaidoyer pour des marchés de proximité

Pourquoi les pouvoirs publics n’arrivent pas à réguler le marché et à imposer des tarifs réguliers ? Une question qui taraude bien des esprits, d’autant que cette problématique revient régulièrement au-devant de la scène.

Le président de l’ANCA tente une explication : «Nous avons un manque en marché de proximité, et ce manque influe négativement sur les prix.

Un bon nombre de marchés de proximité peut réguler le marché». Et de citer le cas de la wilaya d’Alger, où, selon ses dires, les communes qui disposent de plus de marchés de proximité et de locaux de distribution sont les communes où les prix sont les plus bas et stables, à l’instar des places comme celle de Belouizdad, Bab El Oued, El Achour, contrairement à Hydra ou El Biar, où il y a moins de marchés de proximité.

«Un nombre suffisant de marchés de proximité peut encourager à stabiliser les prix. C’est pour cela que notre association plaide pour la multiplication de ces marchés au niveau de toutes les communes d’Algérie» plaide-t-il.

Et d’ajouter : «Les espaces de commerce manquent de manière flagrante. Nous avons moins de 2000 espaces pour toute l’Algérie alors que les experts disent qu’il nous faut au moins 3000 espaces, entre commerce de détail et gros. Il y a près de 500 communes où il n’y a pas un seul marché de proximité. Dans les pays développés, presque dans chaque quartier, on en dispose !».

Notre interlocuteur estime qu’il faut permettre aux opérateurs privés de réaliser des marchés de proximité, et ce, en les aidant par exemple par des prêts bancaires. Pour ce qui est du recours à l’importation de certains produits comme la pomme de terre et les viandes blanches et rouges, M. Boulenouar estime que la production annuelle est inférieure à la demande.

800 000 tonnes pour les viandes rouges et blanches et la demande dépasse le million de tonnes. Sachant que durant le mois de carême, la demande explose, le recours à l’importation s’impose d’elle-même.

Quant à la pomme de terre, les raisons invoquées ont trait au problème de stockage et à la sécheresse. «Mais à partir de la mi-avril, commence la récolte de la pomme de terre à partir de Mostaganem. Et tout rentrera dans l’ordre. Même si on ne peut pas s’attendre à une stabilisation des prix si notre production n’est pas stable», dira M. Boulenouar qui a tout de même tenu à souligner que la «spéculation» est un facteur à ne pas négliger.

Et d’asséner : «Quand il y a production, personne ne peut spéculer !», sans omettre cependant de plaider, au même titre que son association, pour «l’éradication» de l’informel, qui représente 50% de l’activité, selon ses dires. Pour lui, l’impuissance des pouvoirs publics à «ramener les gens vers le formel est un problème de fiscalité». «Trop d’impôts tue l’impôt et l’évasion fiscale vient de là», a-t-il tenu à souligner, avant de plaider pour une révision de la fiscalité.

Confiant dans l’agenda gouvernemental pour arriver à stabiliser le marché, le président de l’Association des commerçants et artisans a indiqué qu’il attend avec impatience, cette année, la révision de la loi sur l’activité commerciale, la loi sur la concurrence et bien d’autres projets de lois encore à même de réguler le marché.

Un marché hors normes

Si l’association des commerçants et artisans semble satisfaite de la politique gouvernementale, il en est tout autrement pour certains experts pour qui le plus problème est plus profond.

Akli Moussouni, un expert agronome du cabinet Ciexpert estime que face à une telle situation, «l’entière responsabilité découle totalement des pouvoirs publics, qui contre toute logique économique, continuent contre vents et marées d’entretenir des dispositifs de non-développement du secteur alimentaire du pays et d’avoir mis à plat le potentiel productif, qui, pourtant, relève de la souveraineté nationale».

Il expliquera que «c’est une situation hors de contrôle qui découle du fait que toutes les mesures censées contenir un marché qui échappe à tous les dispositifs de soutien et de répression ont été laminées». «Ils ne peuvent s’inscrire dans aucune logique de régulation lorsque ce secteur est livré à lui-même de l’amont à l’aval au gré du hasard», ajoute M. Moussouni.

Pour cet expert agronome, cette situation va encore perdurer et rien ne semble l’arrêter. Plus explicite, il dira que les intervenants dans ce secteur ne sont identifiés qu’à travers les aides de l’Etat mais jamais organisés en filières autour de leurs productions.

«Le marché national n’est pas normalisé et n’est pas planifié. Il y a donc absence d’un circuit de distribution qui puisse servir de plateformes de réception et de programmation annuelle des productions», fait-il constater.

Pour lui, «on continue d’agir au gré des crises pour lesquelles aucune mesure d’urgence administrative ne peut servir de solution, comme le recours à l’importation (cas de la pomme de terre et viandes), et ce, dans l’unique but de colmater provisoirement un manque sur le marché à un prix plus ou moins acceptable par le ménage».

Pour M. Moussouni, c’est justement la défaillance des programmes mis en place par les pouvoirs publics, sans pour autant construire un marché normalisé. Et les mesures prises, de son point de vue, ne sont pas à même d’atténuer cette inflation des prix.

Rien ne sert, à ses yeux, de «diaboliser» le consommateur pour «incivisme» et le commerçant pour «spéculation», dans l’ignorance des conséquences d’un «marché hors norme où la spéculation devient une règle de gestion».

Sceptique quant à une éventuelle stabilisation des prix, et portant l’entière responsabilité aux ministères concernés par la sécurité alimentaire du pays pour avoir toujours agi dans «l’indifférence totale des avis émis par les experts», notre interlocuteur a estimé que pour ce Ramadhan 2022, et encore une fois, «la problématique de la hausse des prix ne sera pas jugulée, par rapport aux effets collatéraux de la guerre ukrainienne sur le marché mondial, et l’Algérie va subir de plein fouet cette crise pour avoir investi dans l’importation depuis des décennies».

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