l L’autrice Lylia Nezar vient tout juste de publier son premier roman Les «Matriochkas, les héritières, aux éditions algériennes El Hibr l Rencontrée lors d’une vente-dédicace à l’occasion du 27e Salon international du livre d’Alger, l’autrice revient sur la thématique de son ouvrage à forte connotation polyphonique.
Propos recueillis par Nacima Chabani
Vous venez d’éditer aux éditions Hibr votre premier roman intitulé Matriochkas, les héritières. Quel sens donnez-vous à ce titre ?
Matriochkas, les héritières : la première partie nous renvoie aux «poupées russes» imbriquées les unes dans les autres par ordre de taille, c’est le cas du roman qui retrace une saga familiale racontée par des femmes de différentes générations. La deuxième partie est axée sur tout l’héritage transmis souvent de mère en fille, l’héritage peut être un bijou de famille comme c’est le cas dans le roman ou bien tout l’héritage immatériel de traditions, de transmissions socioculturelles, enfin Matriochkas peut représenter le matriarcat par opposition à la famille agnatique.
Vous dressez une galerie de portraits de femmes de différents âges et profils, traversée par un demi-siècle… Pourquoi cette confrontation générationnelle ?
Il n’y a pas à proprement parler d’une volonté de ma part de créer des confrontations, en tout cas, elle ne serait pas intentionnelle, je voulais plutôt créer un effet miroir. Dans le récit, plusieurs femmes sont détentrices d’une multitude de rôles, celui de mère et celui de fille, d’épouse ou de veuve, de sœur ou de belle-sœur, etc. Et à chaque histoire, nous découvrons la complexité et l’interconnexion de ces rôles dans la vie familiale et leur impact sur chacun des membres. Je voulais décrire l’ambition, la persévérance, le renoncement mais aussi la notion du libre arbitre et de l’épanouissement personnel dans une société en pleine évolution et comment Aicha et Zahra veulent détruire leurs chaînes et sans jeu de mots, la chaîne de transmission.
Une dualité au pluriel est omniprésente chez ces femmes sympathiques au caractère bien trempé...
C’est un roman polyphonique, il fallait des personnages de caractère pour porter le récit et les problématiques sociétales évoquées, des personnages incarnés qui habitent pleinement leurs rôles et les Algériennes sont connues pour avoir du caractère (rire), comme dans l’expression «une main de fer dans un gant de velours», ces personnalités sont souvent la résultante de pressions ou d’environnements complexes dans lesquels baignent ces héroïnes. A travers les personnages, nous découvrons que la maternité peut aussi être toxique, que les intérêts immédiats de chacune peuvent fausser des relations fraternelles, que l’acceptation de la violence peut provoquer des drames… C’est un héritage lourd à porter pour chacune d’elles et elles font ce qu’elles peuvent pour trouver leurs propres places, elles sont intrigantes, fortes, fragiles, parfois résignées ou provocantes face à une société pas souvent attentive à leurs attentes.
L’incipit s’ouvre sur une dispute entre deux femmes aux âges éloignés et se referme sur un hymne à l’Algérie ?
Nous entrons dans l’histoire par une dispute entre la belle-mère et la bru concernant le prénom à donner à sa petite-fille et c’est celle-ci qui relate le fait : «Je m’appelle Aicha, mais j’aurais dû m’appeler Samia.» L’épreuve de force ne s’arrête pas là et nous suivons donc la vie tumultueuse de Aicha depuis sa naissance. Cette dispute ainsi que d’autres événements démontrent l’équilibre précaire que vivent plusieurs femmes dans un lieu clos, à savoir une vieille maison mauresque. L’épilogue est un hymne à l’Algérie où le destin de ces femmes peut aussi être interprété par la métaphore de la femme-nation, la mère-patrie, suppliciée par des siècles de colonisation mais toujours debout et fière. C’est avant tout, un hymne aux Algériennes, à leur résilience, elles sont comme les roseaux, plient mais ne cassent pas. Femmes d’hier et d’aujourd’hui, elles apportent leur pierre à l’édifice de la maison Algérie.
Vous abordez le thème de la femme sous toutes ses coutures avec ses travers, sa résistance, sa force, sa résilience…
Absolument, dans la littérature en général, beaucoup d’écrivains racontent «la femme», je voulais pour ma part, leur donner leur propre voix, qu’elles se racontent elles-mêmes jusqu’au plus intime.
Quels sont leurs rêves et leurs aspirations à travers plusieurs décennies et des générations différentes ?
Matriochkas, les héritières est un roman d’amour ou plutôt du manque d’amour, Aicha accepte toutes les exigences des siens, dans cette famille dysfonctionnelle, on se transmet tout, sauf l’affection, l’amour, la protection, et elle va l’apprendre à ses dépens Comme je vous l’ai dit plus haut, ce roman est un hymne à la femme algérienne et à sa capacité incroyable de s’adapter, de se réinventer en fonction des situations et j’espère avoir réussi ce gros défi !
Le féminicide occupe, également, une place de choix dans votre roman ?
Depuis plusieurs années, le nombre de féminicides explose dans le monde et c’est aussi le cas en Algérie. Des renseignements sur ce phénomène sont disponibles notamment grâce au travail documenté mené par plusieurs associations. Paradoxalement, cela passe dans les faits divers et fait partie des statistiques, or nous ne pouvons pas banaliser la violence, les uxoricides sont des crimes (commis par le conjoint) et ne doivent pas accorder de circonstances atténuantes aux coupables. Le passage sur le féminicide est un cri d’alerte, un cri qui doit concerner toute la société et non seulement les femmes. La violence tue, laisse des orphelins, laisse des séquelles psychologiques parfois insurmontables et je me devais de traiter ce sujet, rendre hommage aux victimes, leur donner une vie, une voix, une réparation, même si elle reste symbolique. Aicha est une anti-héroïne, une femme sacrificielle, une allégorie de la liberté qui ne s’acquiert qu’au prix fort.
Avez-vous un projet d’écriture ?
Oui, j’ai un recueil de poésie finalisé, ce sera mon deuxième ouvrage et un roman en cours d’écriture et qui traitera d’autres sujets.