Les rapporteurs d’Equality Now, tout en saluant les quelques efforts entrepris pour remédier à toutes ces lacunes et ambiguïtés caractérisant leurs arsenaux juridiques, estiment que beaucoup reste à faire pour l’alignement des lois africaines sur le viol et autres agressions sexuelles sur les normes universellement établies.
En Afrique, le viol ou toute autre forme de violences sexuelles infligées aux femmes demeure un tabou à ne surtout pas ébruiter et l’impunité une culture profondément enracinée. Bien que certains pays du continent aient mis en œuvre des lois progressistes pour lâcher du lest et oser le changement, d’importants obstacles juridiques et de bien lourdes contraintes sociétales continuent d’empêcher les survivantes de violences sexuelles à accéder à la justice.
En effet, le nouveau rapport d’Equality Now, organisation internationale de défense des droits humains militant pour les droits des femmes et des filles dans le monde, montre comment la criminalisation inadéquate, l’application insuffisante des lois, les mythes sur le viol et la culpabilisation compliquent tout accès des victimes à la justice, permettant, ainsi, aux auteurs d’y échapper : «Ces obstacles empêchent de nombreuses affaires d’être portées devant les tribunaux et encore moins d’aboutir à des condamnations, ce qui permet à la majorité des auteurs d’échapper à des peines.
Les survivantes sont donc vulnérables et n’ont accès ni à la justice ni aux services de soutien dont elles ont besoin de toute urgence», déplore cette organisation étudiant, depuis bien des décennies, les lois sur le viol et leur application dans 47 pays africains.
A l’issue de l’examen de ces lois, en vigueur, d’un bout à l’autre de l’Afrique, les activistes d’Equality Now, à leur tête Jean-Paul Murunga, avocat spécialisé dans les droits humains, réitèrent leur appel à l’adresse des gouvernements africains sur la nécessité de «procéder d’urgence à une réforme juridique complète des lois sur le viol, renforcer les mécanismes de mise en application des lois et améliorer l’accès à la justice et le soutien aux survivantes».
Aux yeux de l’organisation qui œuvre à instaurer «l’égalité juridique, mettre fin aux violences sexuelles, aux pratiques néfastes ainsi qu’à l’exploitation sexuelle», la culture de l’impunité du viol est favorisée par les multiples lacunes dont se distinguent, comparativement aux standards internationaux, les cadres juridiques africains ainsi que par une discrimination sexiste, particulièrement profondément enracinée au sein de la société.
D’où la «perte de confiance envers les systèmes judiciaires, l’aggravation de la détresse des victimes et les sous-déclarations généralisées des violences sexuelles». Souvent porteuses d’une représentation sexiste, «les définitions étroites et ambiguës du viol varient et certaines ne tiennent pas compte d’une série de facteurs ou d’actes sexuels non consensuels», constatent les auteurs du document. Dans ce contexte, «les codes pénaux de 25 pays africains sont incomplets ou ambigus et ne sont pas conformes aux normes internationales».
Leur définition du viol reposant sur «l’utilisation de la force physique ou de menaces ou sur l’usage effectif de la violence, tandis que le viol impliquant l’intimidation, la coercition, la fraude ou un rapport de force inégal n’est pas reconnu de manière adéquate», déplorent-ils. A ce titre, ces définitions juridiques du viol «devraient reposer sur le consentement volontaire, véritable et éclairé de la personne, qui peut être modifié ou retiré à tout moment au cours de l’interaction sexuelle et qui doit s’appliquer à tous les actes sexuels.
Le consentement véritable est impossible dans les situations de dépendance ou d’extrême vulnérabilité, comme dans un contexte éducatif, dans un établissement pénitentiaire ou lorsque la victime est frappée d’incapacité, par exemple lorsqu’elle est en état d’ébriété, sous l’emprise de la drogue, ou infirme», insiste-t-on dans le même rapport. Pour Me Murunga qui en est l’auteur principal, « les définitions juridiques étroites du viol renforcent et élargissent les lacunes de la justice dans la poursuite des affaires.
Elles favorisent l’impunité ou réduisent certaines violations à des infractions mineures assorties de peines plus légères. Créer une hiérarchie du viol sape le principe selon lequel chaque individu a un droit absolu à son autonomie corporelle».
Effets pervers de la stigmatisation
Alors que les normes internationales exigent que «les sanctions pour viol soient efficaces, proportionnelles à la gravité du crime et suffisamment sévères pour dissuader les auteurs de récidiver», certains pays du continent «autorisent des peines légères qui ne reflètent pas la gravité du viol et qui laissent entendre qu’il ne s’agit pas d’un crime grave», s’offusque-t-on. Equality Now rappellera, en outre, les effets pervers et gravement préjudiciables de la stigmatisation et des stéréotypes sexistes prévalant à l’échelle de nombre de pays africains.
Dans une vingtaine d’entre eux, «(..) les croyances traditionnelles et les attitudes sociétales à l’égard de la sexualité se manifestent par des mythes sur le viol et la culpabilisation des victimes, lesquels jettent une ombre sur l’interprétation et l’application des lois. (..) Les victimes de viol et leur famille font souvent l’objet de stigmatisation, d’opprobre et de menaces.
A cela s’ajoutent souvent des pressions pour qu’elles gardent le silence, retirent leur plainte et règlent le problème à l’amiable par le biais d’une médiation communautaire informelle». Les rapporteurs d’Equality Now, tout en saluant les quelques efforts entrepris pour remédier à toutes ces lacunes et ambiguïtés caractérisant leurs arsenaux juridiques, estiment que beaucoup reste, en revanche, à faire pour l’alignement des lois africaines sur le viol et autres agressions sexuelles sur les normes universellement établies.
De nombreux pays africains ont ratifié des traités régionaux et internationaux essentiels en matière de droits humains, tels que le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo) et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, entre autres. Il est, toutefois, reproché aux gouvernements africains le non-respect de leurs obligations de défense des droits des femmes définies dans ces cadres.
Pour y remédier, Equality Now recommande que toutes les définitions juridiques du viol soient «complètes, centrées sur les survivantes et à même de prendre en compte l’ensemble des actes non consensuels», que les lois, les systèmes de références et les mécanismes soient «inclusifs et sensibles, y compris pour les personnes handicapées», et que les survivantes puissent avoir accès à «des systèmes de soutien qui facilitent la guérison et qui leur permettent d’obtenir justice si elles le souhaitent».
Equality Now ?
Fondée en 1992, Equality Now est une organisation internationale de défense des droits humains qui œuvre pour les droits des femmes et des filles dans le monde. Son travail s’organise autour de quatre domaines principaux : obtenir l’égalité juridique, mettre fin aux violences sexuelle, mettre fin aux pratiques néfastes et mettre fin à l’exploitation sexuelle.
De plus, une attention particulière dédiée aux défis uniques rencontrés par les adolescentes.
Equality Now combine l’activisme de terrain et le plaidoyer juridique aux niveaux international, régional et national pour promouvoir un changement systémique, tout en collaborant avec des partenaires locaux afin d’assurer l’adoption et l’application de lois et de politiques respectant les droits des femmes et des filles.