Les télés, l’argent et les constantes

20/03/2024 mis à jour: 00:23
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Le Ramadhan est une niche exceptionnelle de profits financiers pour les télés algériennes privées au vu de l’engouement du public pour leurs programmes, plus particulièrement les séries produites localement avec des acteurs connus et appréciés. 

Elles tentent d’engranger le maximum de publicités, spécialement des industries de consommation, surtout agroalimentaires, qui mettent à profit le mois sacré pour booster leurs chiffres d’affaires. Pour ces chaînes, c’est la course pour être les meilleures et donc les plus attractives pour que les annonceurs se pressent au portillon quitte à bousculer des règles et des convenances sociétales. 

C’est ce qu’ont déploré le ministère de la Communication et l’instance de régulation de l’audiovisuel, pointant du doigt des scènes liées à la sexualité, la drogue, la religion, la violence, etc. Bref, à toutes choses considérées comme attentatoires à la «morale publique». De ce fait, elles ont brandi de lourdes menaces à l’encontre des «coupables», la plupart, selon elles, rappelant la «règle générale» fixée par loi qui est d’éviter, en matière sociétale, d’aller vers «l’illicite» ou «l’excessif» dans les fictions et les programmes télévisuels d’une manière générale. 

Pour se défendre, les télés affirment ne pas connaître les limites exigées et les frontières entre le «bien» et le «mal», mais elles n’osent pas avouer que souvent elles transigent les règles pour des raisons d’audimat et donc de profit. Car il faut bien faire rentrer de l’argent, surtout que la gestion globale d’une télé coûte cher, tout comme la production de programmes en tous genres, notamment les fictions et les séries, celles diffusables le mois de Ramadhan en particulier. D’autant que la concurrence est rude. Il faut avoir les reins solides pour résister et durer. 
Le nerf de la guerre pour les chaînes privées, c’est l’argent et donc le maximum d’annonceurs publicitaires à attirer coûte que coûte, à travers des prix bas, des remises, des formules sur le temps de passage des spots publicitaires. 

Mais ce qui attire davantage les annonceurs c’est le nombre de téléspectateurs, c’est l’audience des chaînes. Comme il n’existe pas d’instrument fiable pour le mesurer (l’audimat), l’annonceur fait confiance à la «réputation» de la chaîne auprès du public ainsi qu’à la densité et la diversité de son programme. Au fil du temps, cinq ou six chaînes privées ont pu s’imposer, avec des hauts et des bas. Maintes fois de lourdes sanctions ont été imposées à des télés dont des programmes ou des scènes ont été jugés inappropriés ou attentatoires à la morale publique, jusqu’à la fermeture ou l’emprisonnement de responsables. L’exemple le plus édifiant est l’incarcération du patron de la chaîne Ennahar. 

Les télés publiques vivent une autre réalité. Comme leur financement est assuré par l’Etat, elles ne courent pas après l’audience et les annonceurs. Elles sont bien contrôlées et leur mission principale est d’accompagner les politiques publiques, au sens large du terme. Il y a très peu de conflits entre elles et les décideurs. La dernière loi sur le secteur audiovisuel, votée au Parlement il y a trois mois, a pour ambition de mettre de l’ordre dans tout cela. 

D’abord mettre fin au paradoxe au niveau des télés privées, qui est de fonctionner sous un régime juridique étranger, n’existant en Algérie que par des autorisations administratives. Cela passe par des textes d’application qui seraient en cours de finalisation, selon le ministère de la Communication. Le principe général est que les télés privées devront techniquement et légalement ressembler aux télés publiques, tout en continuant à se financer toutes seules du fait de leur vocation commerciale. 

Elles sont surtout tenues de se conformer à «l’intérêt et aux constantes nationales» ainsi qu’à la «morale publique», des obligations qui les mettent parfois en porte-à-faux avec les pouvoirs publics et la justice. Tout comme d’ailleurs le reste des médias du pays. L’audiovisuel devra opérer un tournant dans un contexte politique et administratif pas toujours facile. L’atout des télés privées, qui ont bousculé les chaînes publiques, est qu’elles sont devenues incontournables dans le paysage médiatique du pays. 

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