Les rançons au cœur des négociations de la DGSE avec les terroristes d’Aqmi : 58 millions de dollars versés par la France entre 2008 et 2014

28/01/2025 mis à jour: 15:57
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Photo : D. R.

La libération d’otages français détenus à l’étranger par des groupes terroristes repose souvent sur des négociations discrètes, où la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) joue un rôle clé. Si officiellement, la France affirme ne jamais céder au paiement de rançons, plusieurs affaires ont laissé entrevoir une réalité différente, où des transactions financières semblent avoir été au centre des négociations avec des groupes terroristes.

En 2013, la libération de quatre employés d’Areva enlevés au Niger par Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a suscité des interrogations. Ces otages avaient été enlevés le 16 septembre 2010 et retenus pendant plus de trois ans avant d’être libérés le 25 mai 2013.

Selon des informations relayées par Le Monde et The New York Times et la Nouvelle République, une rançon de près de 20 millions d’euros aurait été versée via des intermédiaires pour garantir leur retour. Selon un rapport de la Fondation américaine New America, environ 58 millions de dollars auraient été versés par la France entre 2008 et 2014, faisant d’elle «l’un des pays les plus enclins à céder aux exigences financières des ravisseurs».

Bien que les autorités françaises aient nié tout paiement direct, les indices pointent vers des financements indirects souvent déguisés en «frais humanitaires» ou « aides aux populations locales». En 2014, Serge Lazarevic, dernier otage français connu au Sahel, a également été libéré après plusieurs années de captivité. Là encore, des rapports de presse ont évoqué une rançon, associée à la libération de prisonniers détenus dans des pays africains.

En avril 2014, la France aurait versé environ 17 millions de dollars pour libérer quatre journalistes enlevés en Syrie, selon des sources, dont l’hebdomadaire allemand Focus. En 2018, Sophie Pétronin, qui se fait passer pour une humanitaire française enlevée au Mali, a été libérée après quatre ans de détention.

Bien que les autorités françaises aient nié tout paiement, plusieurs médias occidentaux ont rapporté qu’une somme de 10 à 30 millions d’euros avait été versée à ses ravisseurs affiliés à AQMI. Malgré une politique officielle de refus de paiement de rançons pour ne pas financer le terrorisme, des informations contradictoires suggèrent que des rançons ont été versées dans plusieurs cas.

Des documents révélés par le lanceur d’alertes Edward Snowden indiquent également que «la France a reçu de l’aide des Etats-Unis et du Royaume-Uni pour ces opérations de libération». Si François Hollande, Président à l’époque, avait remercié les partenaires africains pour leur aide, il avait soigneusement évité d’aborder la question d’un éventuel paiement.

Ces supposés paiements de rançons placent la France dans une situation délicate. D’un côté, la vie des otages est une priorité humanitaire indéniable. Mais de l’autre, ces versements alimentent directement les groupes terroristes, leur permettant de financer leurs activités, d’acquérir des armes, et de renforcer leur influence régionale.

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par exemple, adoptent une position stricte en refusant tout paiement de rançons, quitte à mettre en péril la vie des otages. Cette approche, bien qu’éthique sur le papier, a parfois conduit à des issues tragiques. La France, quant à elle, semble avoir choisi une position plus pragmatique, quitte à en assumer les critiques internationales.

Des zones d’ombre persistantes

Le secret entourant ces transactions rend difficile une évaluation précise des montants versés et des mécanismes utilisés. Les rançons ne sont jamais confirmées officiellement et sont souvent canalisées via des Etats tiers, comme le Mali ou le Qatar, qui agissent en médiateurs.

Cela permet aux autorités françaises de maintenir une distance apparente vis-à-vis de ces paiements. La question des rançons soulève des débats éthiques et stratégiques complexes. Si sauver des vies reste une priorité absolue, ces versements nourrissent un cercle vicieux où les groupes terroristes se sentent encouragés à multiplier les enlèvements d’étrangers.

Face à ce dilemme, la France aurait choisi de préserver ses otages sans se soucier du risque de renforcer les réseaux terroristes qui menacent le monde. Cette ambivalence, bien qu’inhérente à la diplomatie de crise, pose une question fondamentale : jusqu’où un Etat doit-il aller pour protéger ses ressortissants, sans compromettre sa sécurité et ses valeurs à long terme ?

Les rançons qu’aurait payées la France ont des impacts économiques notables sur le financement du terrorisme. Depuis 2008, Al Qaïda aurait perçu environ 125 millions de dollars en rançons, dont une part significative proviendrait de la France. Ces paiements encouragent les enlèvements, créant un cercle vicieux où le kidnapping devient une méthode lucrative pour les groupes terroristes et cela renforce leur capacité à mener d’autres opérations et à étendre leur influence.

En conséquence, la valeur des otages a considérablement augmenté, atteignant jusqu’à 10 millions de dollars par personne dans certains cas récents. Cette stratégie contraste avec celle de l’Algérie qui refuse catégoriquement de payer des rançons, même si cela peut aboutir à des issues tragiques. Cependant, cette position intransigeante permet de dissuader les enlèvements d’otages.       
 

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