Les impacts macroéconomiques de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale

24/09/2023 mis à jour: 00:54
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La guerre en Ukraine continue de causer des pertes humaines considérables et d’endommager l’économie mondiale (dont celles des pays en conflit). Cette guerre, qui dure maintenant depuis février 2022 (et risque de s’enliser) a perturbé la reprise économique mondiale post-Covid 19 et déclenché un double choc énergétique et alimentaire ainsi qu’une crise du coût de la vie. Bien que d’autres chocs aient secoué l’économie mondiale, cet article va se focaliser sur les impacts macroéconomiques de la guerre en Ukraine.

 Pour ce qui est de l’Algérie, cette dernière lui a permis de disposer de revenus pétroliers complémentaires en raison de la hausse du prix des hydrocarbures. En même temps, la persistance de l’inflation mondiale a conduit à l’envolée des prix des produits alimentaires et autres biens importés. De façon similaire, les impacts macroéconomiques de la guerre sur l’Algérie vont aussi retenir notre attention. Passons en revue tous ces points. 
 

Données de base. L’Ukraine et la Russie sont des exportateurs importants de blé et de maïs. De plus, la Russie exporte du charbon, du pétrole et du gaz. La part de la Russie et de l’Ukraine est, respectivement, de 13,1% et 9,2% du commerce mondial du blé et 1,3% et 11,1% du marché mondial du maïs. Pour le charbon, le pétrole et le gaz, la part de la Russie au niveau des marchés mondiaux est de 11,5%, 11% et 8,8%, respectivement. 
 

La guerre a déstabilisé les marchés mondiaux des produits énergétiques et alimentaires. Elle a perturbé la production et les exportations des produits énergétiques et alimentaires, déstabilisé les marchés internationaux et fragilisé la sécurité alimentaire. Plus précisément, notons : 
 

1. Une forte hausse des prix du pétrole et du gaz et des biens alimentaires. Les prix du charbon et du gaz ont plus que doublé entre 2021 et 2022 et quadruplé par rapport à la période 2015–2019. Pour le charbon, la hausse des prix est de 39% entre 2021 et 2022 et 74% par rapport à la période 2015–2019. Quant aux prix du blé et du maïs, ils ont augmenté de 24% et 36%, respectivement entre 2021 et 2022 et de 50% par rapport à 2015-2019.
 

2. Des mouvements à la hausse et à la baisse des revenus par tête d’habitant dans le monde. Une étude récente du FMI a estimé que la hausse des prix des produits pétroliers raffinés, du blé et du maïs ont fortement grevé les coûts des importations et entraîné une réduction du revenu par tête d’habitant se situant dans une fourchette de 0 et 5% (125 pays) et environ 10% (petites économies insulaires). 
 

A contrario, les pays exportateurs de ces produits ont enregistré des gains sur le revenu par tête d’habitant allant de 8% (49 pays) à environ 36% (Qatar dont les exportations nettes de gaz et de pétrole -28% du PIB en 2021- ont doublé en valeur). 
 

La guerre a également impacté négativement l’activité économique et les budgets nationaux. Dans ce contexte, soulignons les points suivants :
 

1. Les effets du conflit sur l’économie mondiale se transmettent à travers trois canaux principaux: (1) l’investissement et la consommation qui baissent du fait de l’incertitude accrue, réduisant alors les capacités utilisées et affaiblissant la croissance économique ; (2) l’activité économique qui recule fortement, avec la Russie qui enregistre une chute du PIB réel de 22,1% en 2022 et l’Ukraine dont la contraction du PIB a atteint 30%. Vu leur part limitée de 1,9% (Russie) et 0,2% (Ukraine) dans le PIB mondial, leur recul a très peu contribué au ralentissement mondial en 2022 qui a d’autres causes, dont les ajustements des taux d’intérêt et le ralentissement de l’économie chinoise ; et (3) les échanges extérieurs avec les pays voisins impliqués dans le conflit, notamment la Biélorussie (recul du PIB de 7%) et la Moldavie (recul de 20%).
 

2. Les effets sur la croissance économique et les budgets nationaux varient entre les différentes catégories de pays. Les données du FMI font ressortir ce qui suit pour : (1) les pays à bas revenu : les pays exportateurs dans cette catégorie ont réalisé un gain de croissance de 2,4 points de pourcentage et une amélioration de leur position budgétaire de 0,5 points de pourcentage du PIB ; a contrario, les pays importateurs ont perdu 1,5 point de croissance et enregistré une détérioration de leur position budgétaire de 1,2 point de pourcentage du PIB ; (2) les pays à revenu intermédiaire : toutes les catégories de pays ont enregistré des pertes de 2,4 points de pourcentage de croissance et une amélioration de leur position budgétaire se situant entre 0,8 et 1,7 point de pourcentage du PIB ; et (3) les pays avancés exportateurs ont amélioré leur croissance économique de 0,2 point de pourcentage du PIB et leur position budgétaire de 5 points de pourcentage du PIB. Les pays importateurs ont perdu 2,2 points de pourcentage du PIB en termes de croissance et 0,7 points de pourcentage du PIB dans le domaine budgétaire. 
 

La guerre continue de taxer fortement l’économie de la Russie. 
 

1. Extension des sanctions aux importations de diamants russes. Les gouvernements du G7 devraient annoncer des restrictions sur les importations de diamants russes (dont le renforcement s’appuiera sur les technologies de traçage). La Russie est le plus grand producteur mondial de diamants bruts, avec des exportations de $4 milliards en 2021 et environ 84% des diamants bruts mondiaux transitant par des négociants à Anvers et 90% des pierres précieuses polies en Inde. Les nouvelles restrictions entreront en vigueur en janvier 2024 et viseront d’abord les diamants de 1 carat puis les diamants plus petits.
 

2. Affaiblissement du rouble. Le 14 août, le rouble chutait sur les marchés des changes atteignant 100 roubles pour un dollar américain, devenant ainsi une des monnaies les plus faibles du monde, comme le peso argentin, le bolivar vénézuélien et la livre turque. La hausse des taux d’intérêt par la Banque de Russie à 12% n’a pas pu enrayer le déclin du rouble. 
 

Ce dernier résulte d’une combinaison de facteurs structurels, notamment : (1) l’absence d’investisseurs internationaux; (2) les sanctions et le contrôle des capitaux qui ont isolé le pays; et (3) la chute des exportations de 15% en dollars au cours des 7 premiers mois de l’année, alors que la valeur des importations a augmenté en raison des besoins croissants de la guerre. 

En conséquence, l’excédent du compte courant de la Russie s’est effondré de $76,7 milliards en juillet 2022 à $5,4 milliards à fin juillet 2023. Cette forte détérioration des comptes extérieurs de la Russie (au moment où le pays a besoin de se réarmer) ne manquera pas d’aggraver les déséquilibres macroéconomiques, conduire à une crise sociale et impacter le cours de la guerre. 
 

3. La remontée de la valeur du rouble implique des mesures difficiles. Les autorités pourraient : (1) forcer les exportateurs à vendre leurs avoirs en devises étrangères ; (2) intervenir directement sur le marché des changes pour soutenir le rouble en utilisant leurs réserves de change estimées à $587 milliards (mais dont $300 milliards sont gelés du fait des sanctions internationales) ; 
 

(3) vendre plus de pétrole et de gaz ; (4) augmenter les taux d’intérêt et prendre le risque de ralentir la croissance économique et appauvrir les citoyens ; et (5) réduire les dépenses, y compris les dépenses militaires afin de réduire les importations du pays.
 

4. L’augmentation de la valeur des exportations de pétrole : en ciblant : (1) une remontée des prix sur les marchés internationaux par le biais d’une baisse des expéditions de pétrole à 2,7 millions de tonnes ; (2) la vente de pétrole raffiné de première qualité, une solution faisable qui sera facilitée par le recours aux capacités inutilisées (environ 10%) et le report de la maintenance des raffineries ; (3) le développement de nouveaux canaux de distribution du pétrole en augmentant les ventes vers les pays européens qui peuvent encore acheter du pétrole russe (République tchèque et Hongrie) ; et (4) l’expédition des cargaisons à travers des routes maritimes plus courtes vers la Chine en passant par la voie maritime Nord de l’Arctique. Cette route permet de réduire la durée du voyage de 10 jours et d’économiser environ un demi-million de dollars par voyage en carburant. Toutefois : (1) les tankers mobilisés ne disposent pas de coques conçues pour traverser cette voie de l’Arctique, ce qui pourrait causer des accidents écologiques très graves ; et (2) la navigation dans l’Arctique n’est possible qu’en été et au début de l’automne. 
 

Algérie : La guerre en Ukraine a permis à l’économie de disposer de certaines marges de manœuvre à fin 2022 et en 2023 mais les déséquilibres macroéconomiques et rigidités structurelles demeurent. Sur la base de données du FMI, la hausse du prix du pétrole et des céréales a permis : 
 

2.1. Une amélioration sur une base nette des comptes extérieurs du pays. 
 

• Un accroissement des recettes d’exportation des hydrocarbures qui sont passées de $41,8 milliards en 2021 à $63,6 milliards à fin 2022, soit un gain de $21,8 milliards en raison d’un prix du baril qui est passé de $72,3 en 2021 à $101,7 en 2022 (un bond de 40,6%). 
 

• Une légère hausse des importations qui sont passées de $44,3 milliards en 2021 à 
$48,3 milliards à fin 2022, soit un gain nominal de $4 milliards (9%). Avec une inflation mondiale de 8,75% en 2022, les importations ont en fait stagné en termes réels. 
 

•Une amélioration de la position du compte courant de la balance des paiements, cet indicateur qui mesure les performances du secteur extérieur s’est amélioré de façon marquée en passant d’un déficit de 2,8% du PIB en 2021 à un surplus de 7,2% du PIB en raison essentiellement de la hausse du baril de pétrole. 
 

• Les réserves de change ont également augmenté - passant de $45,4 milliards à $59,8 milliards 
(gain de $14,4 milliards). 
 

3. Un impact quasi nul sur la croissance économique : cette dernière a baissé légèrement de 
3,4% en 2021 à 3,0% en 2022. En fait, la stagnation de l’activité économique à 3% est le reflet de nombreuses contraintes touchant : (1) le capital et le travail (75% de contribution à la croissance) ; (2) le développement technologique (4%) ; et (3) les facteurs macroéconomiques et structurels (21%). Si des efforts marquants sont à noter pour ce qui est des facteurs capital et travail, il faudra encore gérer les déséquilibres macroéconomiques (déficits colossaux des finances publiques, taux de change surévalué, canal de transmission de la politique monétaire faible), les contraintes structurelles du cadre des affaires, la flexibilisation des structures économiques (faiblesse de la profondeur et de l’inclusion financière, ouverture commerciale limitée), le renforcement de la numérisation et l’amélioration des indicateurs de gouvernance économique. 
 

4. Une hausse marquée des pressions inflationistes et une crise du coût de la vie : Le taux d’inflation (observé) est passé de 7,2% en 2021 à 9,3% en 2022. L’inflation est le résultat : (1) de facteurs externes : l’inflation importée affecte les prix intérieurs à concurrence de 1 point de pourcentage en raison de sa variation au niveau des partenaires de l’Algérie (8%), des élasticités des prix à l’importation (une augmentation de 1% des prix importés contribue à une augmentation de 0,2% des prix intérieurs) et du taux de change (une dépréciation de 1% du taux de change effectif nominal a un effet limité de 0,1% sur les prix intérieurs) ; et (2) de facteurs internes dont la faiblesse de l’offre; des politiques macroéconomiques inadéquates; et des contraintes structurelles (circuits de la distribution désorganisés, pratiques commerciale douteuses, absence de concurrence, etc.).
 

5. Un impact négatif sur les finances publiques: certes, la part des recettes totales (fiscales et non fiscales, pétrolières et non pétrolières) a enregistré une hausse de 29,8% du PIB en 2021 à 33,4% du PIB en 2022 (3,6 points de pourcentage du PIB) du fait de la hausse du PIB nominal. Cependant, pour un pays pétrolier, c’est le ratio des recettes hors pétrole par rapport au PIB hors pétrole qui fournit la vraie mesure des performances budgétaires et de la viabilité des finances publiques. Ce dernier indicateur est resté globalement stable à 24,5% du PIB hors pétrole (par rapport à une norme de 10% du PIB hors pétrole). Un ajustement budgétaire important pour reprendre le contrôle des finances publiques. 
 

La prise en charge des défis du pays. Deux phases imbriquées : (1) 2023-2024 qui verra le renforcement des réserves internationales de change (assurance contre la volatilité future et gage d’indépendance) et le lancement d’un processus d’ajustement budgétaire (recettes et depenses), ce qui implique une réactualisation du cadre macroéconomique à moyen terme et du cadre budgétaire à moyen terme pour asseoir une loi de finances 2024 à la hauteur des défis de l’heure ; (2) 2025-2027 : articuler une stratégie à moyen et long terme pour: (i) rétablir les fondamentaux macroéconomiques (inflation, déficit budgétaire, déséquilibre extérieur) ; (ii) renforcer la gestion macroéconomique du pays (qui est incontournable) ; (iii) conduire des réformes structurelles visant à élargir l’offre globale (suivant des priorités bien établies) ; et (3) mettre en place des politiques sectorielles ciblées (misant sur le vert, le numérique, le bleu, l’agriculture et le manufacturier) dont le pays a tant besoin pour créer de la croissance économique élargie et saine, lancer la transition énergétique, créer des emplois pour réduire le stock des chômeurs (2 millions de personnes) et employer les flux des nouveaux demandeurs (200,000 annuellement) et réduire la pauvreté. 
 

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international

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