L’expérience de l’écrivain, poète et sociologue algérien dans l’écriture et les mythes fondateur a été au centre d’une conférence, lundi dernier, au niveau de l’espace Panef du Salon international du livre d’Alger.
Par définition, le mythe est une histoire inventée. Il cherche à expliquer le monde et son origine. Il sert, aussi, à donner du sens à des phénomènes naturels que l’homme ne saurait expliquer. C’est en partie à ce que se sont évertués à développer dans leur intervention l’universitaire Najet Khadda et le poète Habib Tengour. Spécialiste en littérature française et de la recherche académique, Najet Khadda souligne, d’emblée, que l’écriture des mythes est fondatrice dans l’œuvre de Habbib Tengour. Elle a, d’ailleurs, été l’une des premiers chercheurs en littérature à avoir travaillé sur ses textes et les avoir fait connaître. Habib Tengour est de formation anthropologue. Il a beaucoup travaillé sur les mythes à la fois océaniens et latino-américains.
Son travail sur le mythe a commencé dès son enfance avec la figure d’Ulysse. Il confie qu’à l’âge de sept ans, il a vu et revu plusieurs fois sur le petit écran le film L’Odyssée d’Ulysse. La figure d’Ulysse a été importante pour lui, d’autant plus qu’en 1959 alors qu’il était en sixième, il décroche un prix d’excellence. Il s’agissait d’un livre pour enfants sur l’odyssée d’Ulysse. Il a grandi dans le mythe du retour. Ulysse va symboliser, pour lui, l’Algérie, se substituant, par la suite, au retour des Palestiniens.
Dans sa mise en perspective de l’œuvre de Habib Tengour, Najet Khadda a aussi travaillé sur les pères fondateurs de la littérature algérienne, à l’image de Mouloud Feraoun, Mohamed Dib ou encore Malek Haddad. Elle note que cette littérature commence au moment du centenaire de l’indépendance. Les premiers écrivains sont des apprentis écrivains qui vont déblayer le terrain, mais qui ne vont pas laisser de grandes traces. Après la Seconde Guerre mondiale, le Mouvement national prend de l’ampleur. Toute une génération se sent investie d’un devoir de témoignage. Le témoignage porte essentiellement sur le fait de confirmer l’identité algérienne. Durant cette période, il y a une affirmation d’une identité algérienne qui accompagne le Mouvement national. Il y a, aussi, des recherches esthétiques qui sont très diversifiées.
Témoignage latent
Au moment de l’indépendance se pose le problème si la littérature en langue française est une littérature nationale. Il y a toute une polémique autour de ce problème. A telle enseigne que Malek Haddad renonce à écrire en français. «Le problème, dit-elle, est que la langue n’est pas seulement un outils de communication. C’est aussi quelque chose qui structure l’imaginaire, la personnalité et l’individu.» Elle poursuit en disant que ce qui est intéressent dans la génération de Tengour et surtout dans son œuvre, c’est qu’on mette fin à cette polémique.
Cette littérature fait bien partie du patrimoine. Elle est porteuse d’un imaginaire collectif, d’aspiration nationale et de mythes travaillés par les écrivains algériens qui s’en emparent. Pour l’oratrice, avec Tengor, on est arrivé à un moment où la langue française ne fait plus débat. Et surtout le mythe d’Ulysse en est un témoignage latent. Or, la biographie de Tengor nous montre l’influence du défunt père de Habib Tengour, lequel était un érudit et un passionné de poésie populaire. «Habib a grandi dans ce milieu.
Il a été imprégné par cette culture qui avait la double spécificité d’être à la fois indexé sur la poésie orale et élitiste, ajouter par là son passage par l’école française et les classiques qui ont aussi structuré à fois sa personnalité et son imaginaire», explique-t-elle. Toujours selon l’universitaire, cette mythologie est magistralement développée dans l’œuvre de Habib Tengour, d’autant plus que sa forme privilégiée d’expression est la poésie.
De son côté, Habib Tengour revient sur son récit «Le Vieux de la montagne », publié aux éditions Sindbad, à Paris, en 1977. Il précise qu’il a voulu écrire ce récit pour constituer l’identité algérienne. Il s’agit d’une interpénétration de l’Algérie de 1980 et de la Perse de 1100 : Manière singulière d’évoquer la responsabilité et l’engagement de l’intellectuel. La critique littéraire de Najet Khadda éclaire en affirmant que travailler sur un mythe, ce n’est pas en déchiffrer le fonctionnement.
Dimension universelle
C’est plutôt le transformer et l’adapter à sa propre réalité. Tengour rapporte le vécu algérien et montre à quel point l’univers traverse les espaces et les époques. Les schémas figés ne marchent jamais dans la poésie. La poésie est là pour faire vivre les choses, pour faire bouger les lignes, pour ouvrir l’imaginaire, note-t-elle. Pour notre intervenante, les œuvres de Tengour sont des personnages qui ne son pas figés, mais sont mythiques. «Les identités figées n’existent pas. Elles sont multiples et mouvantes. C’est l’amour absolu qui a nourri toutes les mythologies du monde. Et qui est essentiellement dans l’œuvre de Habib Tengour», éclaire- t-elle.
Dans la même optique, Habib Tengour estime que dans un mythe, on n’a pas besoin de tout raconter. Le mythe n’est jamais explicité. Dans son travail d’écriture, il accorde une importance primordiale à la forme. En effet, il essaye de travailler à la fois sur des formes qui ont été anciennes et les retravaillent pour en faire autre chose. Najet Khadda rebondit en déclarant que le mythe est un point de départ. Le mythe a cette faculté d’être inépuisable. C’est un noyau qui constitué un des aspects du vécu de l’humanité. Le mythe hante l’imaginaire des gens. Tous les mythes ont cette faculté d’avoir une dimension universelle et d’être inépuisables dans leur sens. Elle poursuit son analyse en disant que l’importance du mythe chez Tengor, c’est aussi une façon d’extraire la littérature algérienne de la langue française de son ancrage. C’est une façon de lui donner une dimension qui transcende l’histoire de la colonisation. La génération de Habib Tengor est celle du décrochement de la matière histoire littéraire française pour créer, en quelque sorte, le rameau de la littérature algérienne.
Ce rameau tient à la fois de son point de départ dans la littérature française, mais il se nourrit de la culture algérienne, de la littérature arabe, perse... «Cette mondialisation actuelle est une situation qui fait que les frontières sont facilement dépassées et traversées.
La culture circule. Il y a une sorte de va-et-vient, ce qui n’empêchera jamais l’ancrage dans une identité qui est donné, au départ, dans le milieu familial, mais aussi dans la société dans laquelle vous vivez», atteste-t-elle.