Le taux d’inflation en Algérie de 2001/2023 : Un niveau du pouvoir d’achat et les actions de l’Etat pour assurer la cohésion sociale

16/10/2023 mis à jour: 03:01
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L’ONS, organe officiel du gouvernement, dans son dernier rapport de septembre 2023, a établi l’évolution de l’indice des prix de certains biens de consommation entre août 2001 et août 2023 sur une période d’environ 20 ans. Les deux maladies apparentes du corps social sont l’inflation et le chômage que l’on ne combat que par des mesures administratives bureaucratiques, devant s’attaquer à l’essence, le fonctionnement de la société,. 

Comprendre le processus inflationniste en Algérie implique, à la fois, de le relier à l’inflation mondiale, aux équilibres macro-économiques et macro-sociaux internes, selon une vision pluridisciplinaire dynamique, à la répartition du revenu par couches sociales. C’est un problème complexe où chaque gouvernement essaie de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale qui ne touche pas seulement l’Algérie mais la majorité des pays comme en témoignent les nombreuses revendications salariales à travers le monde

1.- L’évolution de l’indice des prix à la consommation se calcule par rapport à la période précédente : à titre d’exemple un taux d’inflation, de 7% en 2023  rapporté à un taux d’inflation de 10% en 2022 donne un taux cumulé de 18 pour cent. Selon l’Office national des statistiques, l’indice brut des prix à la consommation de la ville d’Alger enregistre une hausse de 2,2% en août 2023 par rapport  à juillet, soit une variation légèrement supérieure à celle observée au même mois de l’année écoulée (+1,9% en août 2022 par rapport à juillet 2022). Entre août 2001 et août 2023, selon l’ONS, dans son rapport de septembre 2023, nous avons l’évolution suivante de l’indice  des prix  à la consommation. 

Pour les viandes et poissons devenus incessibles pour le  revenu  entre 20 000 le SMIG et même la tranche 50 000-80 000 DA net par mois,    nous avons l’évolution suivante de l’indice, (en kg) - la  viande de mouton est passée de 501,33 à 2520,73, soit une croissance de 503% ; le foie de mouton de 905,75 à 4752,44, soit une croissance de 525% ; le poulet évidé  entier de 190,37 à 467,44, soit une croissance de 246% ; œufs (unité) de 6,30 à 20,02, soit une croissance de 307%. Toujours en kg, le prix en détail de la sardine fraîche passe de 88,16 à 653,77, soit une croissance de 743% ; le rouget de 462,10 à 2380,55, soit une croissance de 515% ; le merlan de 468,43 à 2262,47, soit une croissance de 483% ; la crevette rouge de 607,52 à 3818,82, soit une croissance de 608%. 

Pour les légumes, nous avons l’évolution suivante : en kg, l’oignon sec  l’indice passe de 14,72 à 53,48, soit une croissance de 360%  ; la tomate normale de 23,39 à 140,13, soit une croissance de 608% ; la salade laitue de 42,45 à 231,40, soit une croissance de 545% ; la courgette verte de 43,68 à 155,45, soit une croissance de  357% ; le haricot vert  de 50,59 à 296,01, soit une croissance de 580% ; le poivron long vert de 47,03 à 172,49,  soit une croissance de 367% ; le concombre  de 30,43 à 141,63, soit une croissance de 467% ; l’aubergine longue de 21,81 à 125,74, soit une croissance de 572%. Pour les fruits devenus inaccessibles pour le faible et moyen revenus nous avons : en kg, l’indice du raisin blanc passe de 48,42 à 202,90, soit une croissance de 419% ; le raison gros noir de 57,99 à 285,99,  soit une croissance de 493% ; la poire muscade de 48,08 à 388,47, soit une croissance de 595% ; les figues fraîches de 76,45 à 409,65, soit une croissance de 538% ; la pastèque verte gros calibre de 22,93 à 111,206, soit une croissance de 485%. 

Pour les autres produits  en kg, les dattes Déglet Nour l’indice passe de 171,40 à 908,91, soit une croissance de 531%. Pour d’autres produits recensés, nous avons, en kg,  la figue sèche en vrac  de 171,40 à 2113,70 soit une croissance de 1235% ; la pomme de terre blanche de 27,36 à 66,04, soit une croissance de 242% , la pomme de terre rouge de 24,11 à 57,50, soit une croissance de 238% ; la farine lactée Bc de 250 grammes  de 145,00 à 373, 64, soit une croissance de 258% ; le biscuit sec de 330 grammes de 37,43 à 120,23, soit une croissance de 374%. Pour les produits  du textile, électroménagers, pièces détachées, produits informatiques (uniquement entre 2001/2023 entre 100 et 300%) sans compter les produits scolaires  qui connaissent la  même tendance haussière, à titre d’exemple cité par l’ONS, le slip de coton (unité), l’indice passe de 92,25 à 261,67, soit une croissance de 284%, le moulin à café électrique de 917,14 à 3943,48  soit une croissance de  430% ;  pour  l’énergie dont les  factures d’ électricité  et de gaz ont plus que  triplé durant cette période la bouteille de gaz  de 13 kg est passé de 1700,00 à 5500,00, soit une croissance  323%  de et pour terminer le classement de l’ONS  la tasse de café à table, l’indice est passé de 14,17 à 50,20 soit une croissance de 292%. Pour le FMI, après correction des données algériennes tenant compte des prix réels sur le marché de 1970 à fin 2022, la moyenne a été de 8,8% par an, et durant cette période, le taux d’inflation aurait été de 6969,61% où un bien de consommation qui coûtait 100 DA en 1970, à fin décembre 2022 coûte 7069,01 DA. 

En plus des factures d’électricité, de l’eau, du loyer, on peut se demander comment un ménage entre 30 000/50 000 DA peut-il survivre s’il vit seul, en dehors de la cellule familiale, qui, par le passé, grâce au revenu familial, servait de tampon social ?
 

2.  Le décret présidentiel n°21-137 fixe le salaire national minimum garanti à 20 000 DA mensuel depuis le 1er juin 2021. En fonction du cours moyen de l’année, euro/dinar, nous avons l’évolution suivante du Smig en Algérie : 2001- 8000 DA représentant 117 euros ; 2005, 10 000 DA, soit 101 euros ; 2010 – 15 000 DA, soit 145 euros ; 2015 -18 000 DA, soit 168 euros ; 2022 -20 000 DA, soit 127 euros (source country economy.com). Mais ce montant a une signification limitée car il faudrait, pour avoir le salaire réel, introduire le montant des transferts sociaux : exemple, avoir un logement social de 3 millions de dinars alors que le prix sur le marché est de 7/8 millions de dinars constituant une rente pour les bénéficiaires, expliquant les corruptions. Afin de préserver le caractère social de l’Etat, il a été prévu une augmentation de 4470 DA, touchant 2,8 millions de fonctionnaires et contractuels, l’incidence financière étant de de 340 milliards de dinars, le ministre des Finances ayant donné la masse salariale globale qu’il a estimée à 4629 milliards de dinars représentant 47,39% du budget de fonctionnement. 

Par ailleurs, il y a eu l’exonération de l’IRG (Impôt sur le revenu global) de tous les salaires de moins de 30 000 DA ayant bénéficié selon l’APS à 6,5 millions de citoyens. Toujours pour assurer la cohésion sociale, le gouvernement  a consacré pour 2023 un montant de transferts sociaux non ciblés et généralisés,  estimés à 5000 milliards de dinars, 36,49 milliards de dollars, soit 28,24% du PIB, mais des subventions non ciblées injustes, celui qui perçoit 200 000 DA par mois bénéficiant au même titre que celui qui perçoit 20 000/30 000 DA. 

Pour l’emploi, contrairement à certains discours, existe une loi universelle. Selon la majorité des organisations internationales et de experts nationaux et internationaux, (pas les experts organiques vivant de la rente, rappelons-nous leurs discours triomphants  sur l’adhésion de l’Algérie aux BRICS) pour l’Algérie, devant avoir un taux de croissance sur plusieurs années de 8/9% par an largement supérieur à la croissance démographique pour  créer 350 000/400 000 emplois nouveaux/an qui s’ajoute au taux de chômage. Le directeur général de l’emploi et de l’insertion au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale a fait savoir, le 1er mai 2023 que le nombre total des bénéficiaires de l’allocation chômage, dont le montant a été revu à la hausse 15 000 DA à compter du 1er janvier 2023, a atteint 1 929 000 à avril 2023 et  la Banque mondiale pour  2022 estimait le taux de chômage à 14,9% contre 14,5% en 2021. 

On ne crée pas d’emplois par décret ou des décisions administratives pouvant conduire  à une grave dérive sociale à terme, car ce taux de chômage inclut les emplois-rente et les sureffectifs dans les administrations et entreprises publiques, la facilité pour calmer le front social étant la création d’emplois dans les administrations  qui  ne contribuent pas à la croissance économique. Le pouvoir d’achat dépend avant de la production et de la productivité. 

Selon les données contenues dans la déclaration générale du gouvernement, l’Algérie connaît une relative stabilisation financière grâce au cours élevé des hydrocarbures qui représentent avec les dérivées (comptabilisées à 67% dans la  rubrique hors hydrocarbures en 2022 selon les statistiques douanières) 98% des recettes en devises, et un endettement extérieur relativement faible  moins de 3 milliards de dollars, un endettement public global en croissance d’environ 60% du PIB des réserves de change   d’environ 73 milliards de dollars fin 2023 et 82/83 milliards de dollars y compris les DTS déposés au FMI et les 173 tonnes d’or, dont l’once connaît d’importantes fluctuations. 

A une moyenne de 80/85 dollars le baril et   11/12 dollars le MBTU du gaz, les recettes d’hydrocarbures devraient fluctuer entre 47/53 milliards de dollars fin 2023 contre 60 en 2022 dont le cours avait atteint 106 dollars et 15/16 dollars le  MBTU. Sur  le plan macroéconomique, le gouvernement prévoit une croissance de plus de 5% en 2023, et pour les organisations internationale BM/FMI, le PIB   devrait s’établir à 200 milliards de dollars en 2023, le gouvernement donnant 233 milliards de dollars  et  le taux de croissance réel devrait croître, selon le FMI de 3,8% en 2023 (3,1% en 2024)  contre 2,3% en 2023 pour la Banque mondiale dans leurs derniers rapports, un écart de 1,7% entre les deux institutions. 
 

3.-Pour avoir le même niveau en termes de parité de pouvoir d’achat, le SMIG en 2023 devrait se situer entre 40 000/50 000 DA net par mois. Le besoin étant historiquement daté (avoir un ordinateur et s’abonner à Internet n’est plus un luxe), l’Algérien n’étant pas un tube digestif, un foyer avec trois enfants ne possédant pas de voiture, ne payant pas de loyer et bénéficiant des subventions actuelles,  pour une vie relativement décente aurait besoin d’un salaire net d’environ 80 000 DA net par mois.

 Attention à la vision populiste, doubler les salaires entraînerait une dérive inflationniste incontrôlable qui pénaliserait en premier lieu les couches défavorisées devant tenir compte de la réparation du revenu par couches sociales, l’inflation jouant comme facteur de redistribution au profit des revenus spéculatifs et pénalisant les revenus fixes. L’amélioration du pouvoir d’achat des Algériens, autant que la lutte contre le chômage,  passe par un accroissement de la production et de la productivité hors rente. Aussi, de    nombreux défis attendent l’Algérie avec  l’accroissement de la population algérienne  qui a évolué ainsi :1960 11,27, – 1970 14,69, -1980 19,47, -1990 26,24, -2010 à 37,06, au 1er janvier 2023 plus de 45 millions et d’ici 2030 serait de 51,026 millions d’habitants (voir étude pour la présidence de la République sous la direction du Pr Abderrahmane Mebtoul, pression démographique, inflation et évolution salariale (4 volumes 560 pages 2008). -La nouvelle politique économique en Algérie doit s’articuler autour de plusieurs  axes directeurs : Premièrement, la forte croissance peut revenir. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Retarder les réformes ne peut que conduire à l’appauvrissement une perte de confiance en l’avenir puisqu’avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. 

Deuxièmement, la majorité des Algériens, dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. 

La nature du pouvoir doit également changer supposant une refonte progressive de l’Etat par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, conciliant les coûts sociaux et les coûts privés étant le cœur de la conscience collective, par une gestion plus saine de ses différentes structures. Troisièmement,  pour  s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Il faut éviter une erreur fondamentale dans la politique éducative d’un pays, vision de court terme en privilégiant uniquement la recherche appliquée. 

La recherche théorique est le fondement de l’innovation, l’application pratique au vu des expériences pouvant demander plusieurs années. Quatrièmement, il s’agira de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, en intégrant la sphère informelle qui sert de tampon social, plus de 30/35% du PIB que l’on ne combat pas par des mesures bureaucratiques administratives  ayant comme effet son extension. 

En conclusion, l’Algérie a d’importantes potentialités pour faire face tant aux besoins internes qu’aux tensions géostratégiques entre 2024/2025/2030. Aussi, pour  son développement, s’impose la concrétisation des réformes institutionnelles et économiques, nécessitant une mobilisation générale, un large front national tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé. 

 

Abderrahmane Mebtoul 

Professeur des universités, expert international

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