Pas plus loin que la semaine dernière, Alger a abrité les assises du cinéma en vue d’insuffler au septième art algérien un nouvel envol, à peu près le même que celui qu’elle avait connu, cinq décennies plus tôt, avec l’obtention, au profit de l’Algérie, de la palme d’or au Festival de Cannes de 1975 pour Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina et l’Oscar du meilleur film étranger, en 1969, pour Z de Costa-Gavras.
D’ailleurs, ce cinéaste franco-grec se trouvait à Oran le mois d’octobre dernier pour le Festival international du film arabe et a déclaré, dans son discours, toute sa gratitude envers l’Algérie qui lui a financé son premier film – alors qu’à l’époque, personne n’en voulait – et lui a permis, par la suite, de faire le cinéma qu’il voulait, sans être tributaire des caprices des maisons de production. Il faut rappeler que le cinéma n’est pas seulement un outil pour distraire la foule et lui faire passer du bon temps en l’empiffrant de pop-corn et de soda. Il fait aussi œuvre de travail sociologique en bonne et due forme.
C’est quand même grâce aux vieux films, en noir et blanc, qu’on a aujourd’hui une idée assez certaine de quelles étaient les mœurs qui avaient cours dans les grandes villes européennes dans les années 1950. Le néoréalisme, qui avait prévalu en Italie après la Deuxième Guerre mondiale, en est la preuve patente. Des films algériens, à l’instar de Leila et les autres, Omar Gatlato ou encore Premiers pas, nous permettent, en 2025, d’avoir une certaine idée de la société algérienne des années 1970, qui n’est pas forcément celle des discours officiels d’alors.
D’où la nécessité que les cinéastes puissent travailler à leur guise, qu’ils soient encouragés, sans qu'à chaque fois une nouvelle loi vienne plomber leur créativité. Malheureusement, en ces temps troublés où l’argent décide de tout, on ne peut que déplorer qu’un certain genre de cinéma passe à la trappe, tend même à disparaître pour de bon.
Aujourd’hui, le monde entier n’a d’yeux que pour les blockbusters. Il faut que le film soit rentable et que le spectateur en ait pour ses 800 DA. Il faut que le film réponde à la demande et aux standards des opérations de marketing. Il faut qu’il soit consensuel et éviter qu’il soit victime de bad-buzz sur les réseaux sociaux. Quid alors des films d’auteur, au budget rachitique, traitant de faits sociaux à la Ken Loach ? Quid alors de nos bonnes vieilles comédies comme celles de «L’Inspecteur Tahar» ?
On dirait que le cinéma a perdu de sa légèreté, et c’est l’argent qui en est responsable. Certes, cet état de fait n’est pas propre à l’Algérie, et c’est le monde entier qui en pâtit. Woody Allen, au début des années 2000, avait dû renoncer, la mort dans l’âme, aux décors de la Grosse pomme qu’il chérissait tant au profit de ceux de Londres et de Paris, et de réadapter alors ses scénarii, pour conserver sa liberté de créer. Ettore Scola, sous le règne de Berlusconi (et de l’argent-roi), avait décidé de suspendre sa carrière.
Aujourd’hui, hélas, il ne suffit plus d’une bonne vieille bobine pour qu’on puisse voir un film, mais la salle obscure doit être dotée d’une ruineuse projection en DCP (cela d’ailleurs explique pourquoi les films sortent dans certaines wilayas alors que dans d’autres non). Enfin, pour résumer, on peut dire que si le cinéma algérien veut retrouver ses lettres de noblesse, il faut qu’il soit populaire, et non élitiste.