Le rationnement de l’eau potable a atteint un jour sur huit : Batna en détresse hydrique

05/04/2023 mis à jour: 05:22
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Travaux sur le réseau d’AEP

Scènes inédites à Batna. Depuis le début du Ramadhan, les quartiers de la ville sont sillonnés par des camions-citernes de l’Algérienne des eaux (ADE) qui viennent remplir réservoirs et jerricans depuis que l’eau ne coule plus dans les robinets. Des engins, dont la plupart sont empruntés aux wilayas d’Oum El Bouaghi, Constantine et Béjaïa, sont acheminés pour parer à l’urgence.

 La situation de l’alimentation en eau potable est à ce point grave dans la cinquième wilaya du pays. La quasi-totalité des foyers est concernée par un rationnement strict qui dure maintenant depuis des mois. Seuls de rares quartiers alimentés à partir de nouveaux forages échappent à la catastrophe. A Bouakkal, Kechida, Bouzourane, Kemouni, et Parc à Fourrage, le rationnement a atteint un jour sur huit. La ville est en état d’urgence hydrique et un plan Orsec qui ne dit pas son nom est appliqué scrupuleusement par les autorités locales et les services de l’ADE pour éviter le pire. 

Quotidiennement, la page Facebook de l’ADE-Batna affiche le programme et les horaires de passage des camions-citernes dans les quartiers, et ceux du rationnement par réseau. Mais visiblement, ces efforts n’étanchent pas la soif de la population ni n’arrivent à éteindre le feu de la colère grandissante. «La citerne n’est pas pratique. 

Vous savez que les réservoirs sont placés sur les terrasses et vous ne pouvez pas les atteindre pour les remplir, car les familles n’utilisent plus les jerricans», déplore Noureddine M. «Ce n’est pas une solution, renchérit Hanane A. sur la page officielle de l’ADE, Batna vit une crise catastrophique. L’eau est la chose la plus importante, surtout pendant le Ramadhan et cette chaleur. Ces camions-citernes ne suffiront pas.» 
 

Faute de mieux, la population s’en remet aux marchands ambulants dont les citernes occupent le plus l’espace public. Salim N. ironise sur le slogan de l’ADE «On reste à votre service», et affirme que «seules les citernes appartenant aux marchands d’eau ambulants sont à notre service». 1000 DA pour remplir un réservoir de 800 litres. 

Une dépense de trop pour les ménages et surtout un casse-tête pour les chefs de famille. Les critiques sont violentes. Dans certains îlots, à Tamechit par exemple, on parle de trois mois de coupure. Les abonnés sont aussi désespérés que virulents dans leurs propos. Un état exacerbé par les besoins du Ramadhan et une chaleur estivale en cette fin mars.

 

La malédiction ETRHB

Deux problèmes systémiques ont conduit à cette situation. Primo : la vétusté du réseau d’AEP du chef-lieu de wilaya et de nombreuses communes cause d’énormes pertes d’eau, soit 40% des quantités destinées aux foyers, selon le chiffre donné par les services de l’ADE. Secundo, ce qui d’ailleurs scandalise l’opinion publique locale, le canal principal qui sert au transfert des eaux du barrage de Beni Haroun à celui de Timgad est une véritable passoire sur une longueur de 18 km située sur le territoire de la commune de Boulhilet à l’est de Batna.
 

La presse locale comme l’opinion publique maudissent aussi l’entreprise ETRHB de l’ex-magnat Ali Haddad, aujourd’hui en prison pour purger des peines liées à la corruption. Le lot de défectuosités enregistrées sur le canal de transfert des eaux de Beni Haroun vers celui de Timgad est imputé à cette entreprise réalisatrice du  projet. 

Une commission composée de hauts cadres du ministère des Ressources en eau et des Travaux publics a été dépêchée en mars 2022. Cette commission, qui n’en est pas à sa première, était venue s’enquérir du niveau du barrage de Timgad et du plan de distribution afin d’éventuellement trouver des solutions.
 

Mais avant qu’on entende parler de solutions émanant d’Alger, un autre incident grave est venu conforter les recommandations du wali de Batna, Mohamed Benmalek, et les souhaits des services de l’ADE et de la population, à savoir que les solutions de bricolage ne feront qu’allonger la durée du problème et que la situation nécessite une réponse globale, quel que soit son coût.

 En effet, une importante explosion s’est produite dans le canal principal le 11 décembre dernier, au niveau de la commune de Boulhilet, au nord-est de Batna, et a causé la rupture du matériel et un déversement diluvien sur la plaine, heureusement inhabitée. La force de l’explosion a projeté une pièce métallique qui a fendu en deux un fourgon de type J5.
 

(Un engin de l’unité ADE-Béjaïa au secours de Batna / photo DR. ADE Batna)

 

 

Ruée sur les forages

Suite à quoi, le gouvernement a dégagé une enveloppe de 2000 milliards de dinars pour la réfection de ce tronçon. Un projet qui ne sera pas achevé de sitôt, ce qui engage les autorités locales à trouver des solutions provisoires. Lors d’une réunion tenue mardi par le wali, plusieurs décisions ont été prises en effet. Selon Salah Djoudi, directeur de l’hydraulique, il sera procédé à la restauration de 20 forages et l’inscription de nouveaux, qui s’ajoutent au projet de réalisation de 10 autres forages inscrits début 2023. Il faut savoir que 400 forages sont déjà exploités pour l’AEP dans la wilaya. 

Selon le même directeur, l’alimentation des foyers repose à 70% sur les eaux souterraines, et seulement à 30% sur les eaux du barrage.

«La solution est dans le creusement de puits. Batna est riche en eaux souterraines pour alimenter les citoyens en attendant que Dieu nous débarrasse de cette catastrophe», suggère un citoyen aux services de l’ADE. 

En effet, l’idée de posséder un puits devient la panacée chez les familles habitant des maisons individuelles. Le nombre de demandes de creusement de puits explose au niveau des services de l’hydraulique. A la pression exercée par les agriculteurs depuis des années, s’ajoute, désormais, celle des foyers pour obtenir ce qui devient la clé du problème. 

Ce qui n’est pas sans ajouter à la complication de l’équation pour les autorités locales qui doivent ménager la nappe souterraine et soulager en même temps la population en attendant le rétablissement du barrage, et un ciel plus généreux en pluie.
 

Reportage de Nouri Nesrouche
 

 

 

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