Le projet «WahRani» débarque à Oran : Des chansons trop connotées pour être revisitées

03/02/2025 mis à jour: 14:48
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Mustapha Mataoui (synthétiseur), Kamel Mazouni (basse), Mehdi Akseur (chant accordéon) et Amar Chaoui (percussion)

C’est parce qu’il est centré sur des titres très connus, déjà repris avec plus ou moins de qualité musicale et c’est pour ne pas dire galvaudés et qui, pour beaucoup, résonnent encore dans les oreilles du public que le projet «Wahrani», porté un collectif de musiciens, ne présente pas, pourrait-on dire, d’intérêt réel par rapport à l’ambition affichée

 

Une ambition consistant à revisiter un patrimoine sensé être «oublié» ou passé de mode. Peu importe cependant puisque que l’ambiance y était. L’ensemble formé par cinq éléments, en tournée en Algérie sur invitation de l’Institut français, s’est produit samedi soir à Oran où il a trouvé une oreille apparemment plus attentive et c’est l’avis même du chanteur, l’accordéoniste Mehdi Askeur qui s’est à un moment exclamé : «Hammartouli wadj’hi» (vous m’avez honoré). Ravi de revenir à Oran, il s’est dit super content d’être là : «Je ne sais pas par où commencer, mais nous sommes là ce soir pour rendre hommage à cette ville et à ses habitants.» La formation venait juste d’interpréter un des innombrables  titres en hommage à Sidi El Houari, le saint patron de la ville en évoquant «el djoud wal karam» (l’hospitalité) qui caractérise ses ouailles.  Le style transparaît surtout dans la réintroduction du son naturel de l’accordéon apportant un plus non négligeable à l’accompagnement musical. L’ambiance y était, c’est indéniable mais des titres originaux beaucoup moins cependant. 

 Le bel habillage rehaussé notamment par les tendances à l’improvisation du saxophoniste cubain Carlos introduisant cette touche latino, dont on a voulu et à bon escient enrichir le style ne sont au final pas d’un grand secours puisque justement les morceaux choisis étaient tellement connotés que tout le reste passe au second plan. Le titre «Wahran rouhti khsara» du regretté  Ahmed Wahbi (1921-1993), déjà un grand succès à son époque est repris par beaucoup et pas uniquement par le célèbre Cheb Khaled, dont il compte aujourd’hui parmi ses plus grands succès. «Wahran wahran rouhti khsara/ hadjrou manak nas chtara / gaadou felghorba hiara /  wal ghorba siiba ou ghadara (Oran, tes meilleurs enfants t’ont quittée, sont restés ébahis en exil/ mais l’exil est tellement difficile et  insidieux)», un joli enchaînement et un thème qui évoque l’attachement au pays avec l’espoir d’un retour. 

Loukane tazyane Laâqouba

Toujours avec des mélodies et des paroles inchangées, l’enchaînement est logique avec un titre de l’autre figure tutélaire de la chanson oranaise en la personne de Blaoui El Houari (1926-2017). Loukane tazyane Laâqouba est une chanson nostalgique des bons moments de la vie et à laquelle cet auteur a lui-même apporté un habillage autre que celui avec lequel elle a été enregistrée pour la première fois.  Que dire alors de Yad Lmarsam connu aussi pour sa longue introduction vocale ici habillée par le saxophone, le seul réel apport. Le titre est attribué à Miloud Chougrani, mais il a été chanté par Blaoui El Houari et a fait plus tard révéler Cheb Mami alors enfant quand il est passé dans  «Alhane wachabab», l’émission consacrée de la chaîne de Télévision algérienne pour révéler les jeunes talents. Même réaction face à un titre comme  Fat elli fat du même Ahmed Wahbi ou alors Rouhi ya wahran rouhi besslama. 

Avec les talents qu’elle renferme, la formation aurait réellement fait œuvre utile en allant puiser dans la partie du répertoire la moins explorée  du genre «wahrani» et  c’est un peu ce qui s’est fait par la tentative de remonter la piste du «bedoui» ou alors carrément en passant à la création comme avec Eddenia (la vie), une composition proposée par le chanteur et qui ne manque pas d’intérêt avec cette comparaison de la vie du riche et du pauvre sur un rythme inspiré de la tradition «karkabou». 

Une description plutôt naïve, mais qui offre à l’écoute quelque chose de relativement inédit du moment que et les paroles et la mélodie sont les siennes. «Pensez- vous que je peux la garder dans mon répertoire ou croyez-vous que je dois la supprimer ?», s’est-il interrogé pour sonder l’avis du public. 

La question ne devrait pas se poser, car c’est de cela qu’il s’agit en fin de compte. Comment revisiter un patrimoine sans tomber dans la concurrence ou l’imitation de ceux qui l’ont déjà revisité ? Cette question s’est posée vers la fin des années 2000 lorsque la direction de la culture d’Oran a décidé d’instaurer le festival de la chanson oranaise. 

La décision a été accueillie avec beaucoup de scepticisme au départ mais, aujourd’hui, l’idée a fait son chemin et on voit  monter une génération qui tout en restant dans le style tente de s’affranchir de ce qui est déjà foncièrement entendu. 

Oran 
De notre bureau  Djamel Benachour 

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