Le Conseil International des Musées évoque un génocide culturel : Plus de 60% du patrimoine de Ghaza détruits

04/02/2024 mis à jour: 01:37
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Photo : D. R.

L’ICOM réitère son appel à «la cessation immédiate de toute action mettant les civils en danger et exposant leur patrimoine culturel à des risques de dommages, de destruction, de vol, de pillage ou de trafic illicite».

L’ICOM continue de constater avec beaucoup de tristesse et d’inquiétude la poursuite et l’expansion de la violence et déplore le nombre toujours croissant de personnes ayant perdu la vie», regrette le Conseil international des musées (Icom) dans une nouvelle déclaration dont une copie est parvenue à notre rédaction.

S’opposant fermement à «toute action mettant en danger les civils» et exprimant «sa plus profonde solidarité envers ceux qui souffrent», cette organisation, rassemblant les musées et les professionnels de musées à l’échelle mondiale, tient à rappeler, une fois de plus, la Convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé à laquelle Israël et la Palestine sont parties, et insiste sur «l’obligation qui incombe à toutes les parties de protéger et de respecter les civils et les biens civils, y compris leur patrimoine culturel».

Depuis son siège à Paris, cette ONG qui œuvre à promouvoir et à protéger le patrimoine culturel et naturel, présent et futur, tangible et intangible, exhorte toutes les parties au conflit à se conformer à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, disposant que «la protection et la promotion de la culture est un impératif des droits de l’homme».

L’Icom qui considère que «les dommages et les frappes ciblées contre les musées et les sites culturels sont inacceptables et constituent une violation manifeste du droit international humanitaire et, de fait, de l’humanité dans son ensemble», réitère son appel à «la cessation immédiate de toute action mettant les civils en danger et exposant leur patrimoine culturel à des risques de dommages, de destruction, de vol, de pillage ou de trafic illicite».

L’organisation forte d’un réseau de 45 493 membres dans 138 pays, de 119 comités nationaux et 32 comités internationaux, tient à exprimer «sa solidarité envers tous les peuples de la région et à attirer l’attention du public sur les nombreuses autres personnes en danger et victimes de violence».

Et tout en continuant à «soutenir les efforts de la communauté internationale visant à protéger les personnes et leur patrimoine dans de telles situations», l’Icom, en collaboration avec les ONG et les OIG partenaires, s’engage à poursuivre le développement et la diffusion de ressources et de programmes, notamment en matière de préparation et de réponse aux situations d’urgence.

Ces programmes et ressources visent à aider les professionnels des musées à protéger les institutions muséales ainsi que le patrimoine culturel en général, et l’ICOM espère que «ces éléments contribueront à la reconstruction de la paix».

Tout aussi inquiet de par l’ampleur sans précédent des massacres et des exécutions en masse perpétrés par l’armée israélienne dans la Bande de Ghaza, le Groupe régional arabe (GRA) relevant du Conseil international des monuments et des sites (Icomos) a, enfin, décidé d’agir, exprimant, dans une déclaration, sa colère face au génocide culturel dont est victime le patrimoine ghazaoui.

«(….) Ce sont des quartiers résidentiels, des camps de réfugiés, des hôpitaux, des écoles, des mosquées et des églises, des installations d’eau, des boulangeries, des bibliothèques et des musées qui ont ainsi été ciblés par plus de 65 000 tonnes de bombes, y compris des bombes stupides et des bombes au phosphore blanc qui sont totalement prohibées au niveau international depuis la Seconde Guerre mondiale.

On relève de même la profanation des cimetières par les soldats de l’armée d’occupation israélienne», s’indigne le GRA/Icomos.  Pis, de sérieuses menaces pèsent sur le patrimoine dans cet environnement de bombardement intensif, ne faisant aucune distinction entre cibles militaires, civiles, patrimoine humain et culturel palestinien.

A en croire ce groupe composé de Comités nationaux arabes de l’Icomos, de membres individuels d’autres pays arabes, pas moins de 200 sites sur les 325 recensés dans la Bande de Ghaza, d’une valeur exceptionnelle historique, archéologique, naturelle, religieuse, nationale et humanitaire, ont été détruits ou gravement endommagés.

Violations et actes barbares

A ainsi été déplorée la destruction de plus de 60% du patrimoine culturel de Ghaza portant sur une période historique remontant à la fin de la période néolithique.

Parmi les sites et monuments importants que l’ennemi israélien a, délibérément, complètement ou partiellement détruits, les experts et muséologues du Groupe régional arabe ont cité le site archéologique de Tell Al Abul (IIIe millénaire av. J.-C.) sur la rive nord de Wadi Ghaza, le site archéologique du cimetière romain (Ier siècle av. J.-C.), le site archéologique de Tell Umm Amer – également connu sous le nom de monastère de Saint Hilarion (IVe siècle apr. J.-C.) – inscrit sur la liste indicative du Patrimoine mondial de l’Unesco et sur la liste des biens culturels sous protection renforcée depuis le 14 décembre 2023, le site archéologique de l’église byzantine de Jabalie (Ve siècle apr.

J.-C.), l’église de Perphyrios (Ve siècle) – un des monuments historiques vivants avec un patrimoine architectural et une signification religieuse et sociale –, la Grande Mosquée Omari (VIIe siècle apr. J.-C.) qui compte parmi les sites archéologiques les plus importants dont les origines remontent au Ier siècle av. J-C.  La liste des édifices contre lesquels s’acharne l’armée d’occupation est, visiblement, longue, très longue.

Car outre le patrimoine culturel architectural, le tissu urbain et les réserves naturelles, le patrimoine immatériel de Ghaza n’ont pas échappé aux bombardements aveugles.

«L’agression a causé la destruction de la plupart des musées, la mort de nombreux journalistes et intellectuels ainsi que la disparition des artistes et de leurs contributions au patrimoine et à la vie culturelle de Ghaza», s’offusque le GRA/Icomos.

S’agissant du patrimoine matériel, tient-on à souligner, «l’agression a détruit de nombreux centres vitaux œuvrant dans le domaine de la préservation du patrimoine culturel, des ateliers d’artisanat considérés comme porteurs de connaissances et de savoir-faire patrimoniaux. Ils constituent l’identité nationale palestinienne, source de fierté pour de nombreux Ghazaouis».

Dans le contexte économique et social de Ghaza, «le patrimoine culturel constituait une manne incontournable. De surcroît, les sites du patrimoine palestinien inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril font l’objet d’attaques systématiques et continues de la part de colons israéliens armés sous la protection de l’armée d’occupation».

La vieille ville de Jérusalem et ses remparts (enregistrés en 1981), dans laquelle les biens des habitants du quartier arménien ont été directement attaqués et détruits en accord avec l’armée, le village de «Bâtir» dans le gouvernorat de Bethléem (enregistré en 2014), ayant subi le même sort.

Quant au site de la vieille ville d’Hébron et du Tombeau des patriarches (enregistré en 2017), «les principes de sauvegarde se trouvent violés par les mesures militaires israéliennes depuis le début de la guerre sur Ghaza qui restreignent strictement la liberté de mouvement des citoyens palestiniens et empêchent les prières à la mosquée Ibrahimi», se révolte-t-on.

Considérant toutes ces violations et ces actes barbares perpétrés par les forces d’occupation israéliennes, le Groupe régional arabe souligne que « les meurtres, les destructions, les actes de vandalisme et les déplacements qui ont lieu en Terre Sainte ne doivent pas demeurer sans une condamnation internationale obligeante et une action immédiate pour défendre les droits de l’homme et les valeurs culturelles».

Partant, un appel urgent est lancé à l’adresse de la communauté internationale, aux organisations internationales, à toutes les institutions culturelles, patrimoniales, humanitaires et de défense des droits de l’homme et les pays souhaitant la paix et la justice et dans le cadre de ses missions de préservation, de sauvegarde de patrimoine culturel.

Il est grand temps de «condamner les attaques et violences en cours, protéger le peuple, la terre et le patrimoine vivant palestinien, demander un arrêt immédiat des opérations militaires pour la mise en place de mesures conservatoires immédiates afin de mettre fin aux atrocités et au génocide du patrimoine, de la civilisation et de l’environnement en Palestine, en particulier à Ghaza».

Aussi, le même Groupe insiste sur l’urgence de «fournir une aide humanitaire d’urgence aux victimes de cette agression, imposer de sanctions sévères à l’entité israélienne et à toutes les autorités qui appuient cette politique agressive, boycotter les entreprises et les institutions qui soutiennent cette entité occupante et agressive, de diligenter des expéditions scientifiques conjointes pour inspecter et évaluer les dommages causés au patrimoine culturel et aux installations culturelles et naturelles, fournir une assistance technique et matérielle et renforcer l’expertise locale pour documenter, restaurer, renforcer et réhabiliter le patrimoine culturel et les biens culturels».

Et pour mieux sensibiliser la communauté internationale à l’impérieuse nécessité de rompre le long silence complice, le Groupe fait référence à l’historique citation de Martin Luther King : «Le pire endroit de l’enfer est réservé pour ceux qui se taisent au moment des grandes crises morales.» Tout est dit !!!

 

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