Le 1er novembre célébré à l’occasion du 26e Salon international du livre d’Alger : «On ne peut pas faire de l’Histoire sans les archives»

04/11/2023 mis à jour: 06:59
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Débat au Sila, en présence des historiens Fouad Soufi, Amar Mohand Amer et Todd Shepard ( Photo : B. Souhil)

L’historien Amar Mohand Amer est revenu, lors d’un débat organisé à la salle Tassili, au Palais des expositions des Pins maritimes et modéré par Hassan Arab, sur l’écriture de l’Histoire du mouvement national.

 «A ce jour, il n’existe toujours pas une thèse sur le Premier novembre qui est reconnue par la famille des historiens. Il y a de la difficulté à avoir de nouveaux historiens en Algérie. Il faut donner les moyens aux historiens. Les archives sont presque fermées. L’Histoire n’est pas un jeu», a-t-il dit.

Il faut, selon lui, investir dans la connaissance de l’Histoire algérienne pour avoir une narration sur une longue durée. «Il est important d’avoir des archives. En 2022, 9 historiens algériens ont saisi le président de la République pour l’ouverture des archives. Des archivistes ont également écrit une missive allant dans le même sens. On ne peut pas faire de l’Histoire sans les archives», a-t-il insisté.

 Il a évoqué «la domiciliation de la recherche historique» en Algérie. «Aujourd’hui, si on veut qu’il y ait des thèses faites par l’université algérienne, il faut ouvrir les archives, sinon on va avoir des recherches sur l’Algérie faites ailleurs. Il n’est pas normal que les belles thèses sur l’Algérie sortent en France, faites par des Français ou des Algériens», a-t-il noté.
 

«On accorde aux sources orales le même traitement qu’aux archives écrites»

Fouad Soufi, présent au débat, a estimé que la source orale n’est plus mise en doute aujourd’hui. «Elle est considérée comme une des sources pour l’écriture de l’Histoire. On se cache derrière la notion d’archives provoquées. Si les archives n’existent pas, l’historien pose des questions à un acteur, comme Aït Ahmed, qui répond. En répondant, il crée une pièce d’archives. C’est ce qu’a fait l’historien Daho Djerbal. Il a travaillé pendant des années avec Lakhdar Bentobal. 

A partir d’un travail d’oralité, il a créé une pièce d’archives. Il appartient aux historiens d’apporter des critiques sur ce document. Il faut rassembler plusieurs éléments et les comparer. On accorde aux sources orales le même traitement aux archives écrites qu’aux films», a-t-il analysé «Les sources orales ne remplacent pas les archives écrites, mais il y a un travail de recoupement. 

L’historien ne doit pas inventer ou surinterpréter une archive. Nous avons en Algérie, depuis 1988, des centaines de témoignages écrits (sur le guerre de libération nationale). C’est une source importante. On approche l’Histoire par le bas, par le quotidien des gens. C’est la petite histoire qui donne de la chair à la grande Histoire», a repris Amar Mohand Amer. «C’est le Premier Novembre 1954  qui a fait ce que nous sommes. Pierre Mendès France a donné l’indépendance au Maroc et à la Tunisie. Et lorsqu’il s’est agi de l’Algérie, il a été mis en minorité et renvoyé dans ses foyers», a rappelé Fouad Soufi. 

«Les français ont tout fait pour garder l’Algérie»

L’historien américain Todd Shepard, présent également au débat, dit penser que les nations s’effacent et se reconstruisent à répétition. «J’ai écrit un livre», «Comment l’indépendance de l’Algérie a transformé la France. La France n’est plus la même qu’avant 1830 et n’est plus la même après 1954. Quand j’ai eu accès aux archives du GPRA et du FLN, j’ai constaté l’existence d’une diversité de réflexions et une volonté de prendre des décisions surtout que les Français ont tout fait pour garder l’Algérie. Les discussions portaient sur la place de l’islam et le fédéralisme. Le jacobinisme n’était plus un acquis. Ben Bella, qui sortait de prison, disait que l’unité maghrébine restait fondamentale. 

Aujourd’hui, cela ne peut pas se faire. La France, qui a trahi son jacobinisme, voulait une fédéralisation accélérée de l’Algérie, refusée catégoriquement par le FLN et le GPRA», a soutenu Todd Shepard, auteur aussi de «L’homme arabe» et «La France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne» (2017). «Après 1958, la France, qui a abandonné la laïcité, a installé un institut sur la pensée musulmane à Paris. 

Et à partir de 1959, l’Etat français a commencé à financer les écoles catholiques privées. Ils étaient pour la religion musulmane si cela leur permettait de garder l’Algérie française, a-t-il ajouté. Todd Shepard a expliqué sa méthode de travail sur le mouvement national algérien. «En tant qu’Américain, j’arrive avec d’autres questions. J’essaie de répondre de manière utile. Un historien américain peut écrire sans faire attention aux exigences des Algériens ou aux doutes des Français», a-t-il précisé. Todd Shepard dit travailler beaucoup sur les sources primaires en les interrogeant pour essayer de restituer des faits ou de vérifier leur véracité.

 

«Le FLN et le GPRA ne voulaient pas d’une indépendance à minima»

Revenant sur les contextes historiques de la guerre de libération nationale, Amar Mohand Amer a souligné que le FLN ne voulait pas de cessez-le-feu sans accord politique garantissant l’indépendance de l’Algérie. «On ne fait pas de cessez-le-feu et on court après pour avoir un accord politique. Aux Accords d’Evian, on voulait imposer un statut de super citoyens pour les Français en Algérie. Le FLN et le GPRA ne voulaient pas d’une indépendance à minima. Ils voulaient une indépendance et une souveraineté complètes et totales. Le FLN n’était pas un parti belliqueux. 

Il avait utilisé la violence parce que la France ne voulait pas de l’indépendance de l’Algérie», a-t-il détaillé. Il a rappelé qu’une offre de négociations existait dès le Premier novembre 1954. «Il y a une vision régionale et internationale. La lutte des Algériens s’inscrivait dans celle de toute l’Afrique du Nord. Le FLN ne voulait pas rester cloitré dans ses frontières. 

L’idée d’inscrire la guerre de libération dans un contexte international était un objectif», a indiqué Amar Mohand Amer, en citant  Benbella, Khider et Aït Ahmed.

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