Le 13 février 1960 explosait la première bombe atomique à Reggane : A quand la transparence de l’Etat français sur son passé nucléaire en Algérie ?

12/02/2022 mis à jour: 03:14
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Le gouvernement français devrait enfin remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où sont enfouis des déchets contaminés, comme elles le demandent

L’explosion dans le Sahara de «Gerboise bleue», il y aura 62 ans demain, faisait entrer la France dans le club des puissances atomiques. Trois autres explosions aériennes au-dessus de la région de Hamoudia et 13 à flanc de montagne du Taourirt Tan Affela ont également dispersé quantité d’éléments radioactifs dans la région et sur les populations jusqu’en 1966. 

Sans oublier les expériences dites «complémentaires», au nombre de 38, qui ont dispersé du plutonium… Avant de partir, les militaires et scientifiques français ont creusé des fosses pour enterrer le matériel, installé une clôture et mis quelques panneaux d’interdiction, laissant sur place des quantités de déchets radioactifs dangereux, selon des experts indépendants et lanceurs d’alerte.

Et de rappeler que compte tenu du poids du nucléaire – tant dans ses dimensions militaire que civile – la France a encore du mal à reconnaître la nocivité des essais qu’elle a réalisés en Algérie. 

Il a fallu attendre l’année 2010 pour que, du bout des lèvres, les autorités françaises commencent à admettre que les essais n’avaient pas été aussi «propres» qu’elles l’affirmaient jusque-là, avec l’adoption d’une loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin. 

Ensuite, il a fallu plusieurs années encore de batailles médiatique et juridique pour que la loi permette d’indemniser des victimes, dont un seul Algérien a bénéficié.

«La déclassification de l’ensemble des archives – hormis les secrets spécifiques de fabrication d’une bombe atomique – et leur transmission à l’Algérie seraient la marque d’une véritable volonté politique aujourd’hui absente. Le poids du passé et la place du nucléaire en France sont, nous semble-t-il, les principales raisons du blocage actuel», observe Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements.  

Sur les 154 documents déclassifiés en mars 2013 relatifs à l’Algérie (résultant de la procédure judiciaire engagée en 2004 par des associations de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie, l’Aven et Moruroa e tatou, auprès du Parquet de Paris), récupérés par les associations françaises des victimes des essais nucléaires en novembre 2013, une trentaine avait de l’intérêt, selon feu Bruno Barrillot, cofondateur avec Patrice Bouveret de l’Observatoire des armements/Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), qui les avait analysés.

Le poids du «secret défense»

En outre, soulignait l’expert, la carte de «Gerboise bleue», qui faisait partie de ces documents déclassifiés, «contredit la carte des retombées radioactives publiée par le ministère de la Défense français en 2007 dans un document sur les essais français au Sahara, présenté comme un gage de transparence au moment où le gouvernement algérien organisait à Alger une conférence internationale sur les conséquences environnementales et sanitaires des essais nucléaires»

«La délimitation des retombées de ‘‘Gerboise bleue’’ du document de 2007 avait été sérieusement modifiée par rapport à ce qui s’est réellement produit en 1960, et n’indiquait plus qu’un minuscule ‘‘secteur angulaire’’ couvrant une zone non habitée à l’est du point zéro de Hamoudia.» 

Et d’indiquer que c’est cette carte de 2007 qui a servi à délimiter la zone géographique saharienne concernée par l’activité nucléaire. Tandis que le rapport de 1996, intitulé «La genèse de l’organisation et les expérimentations au Sahara (CSEM et CEMO)», ne faisait pas partie des documents déclassifiés de la série saharienne alors qu’il avait été largement diffusé et commenté dans la presse en 2010. 

Sa divulgation, en 2009, par Damoclès (revue de l’Observatoire n° 128-129) a mis en évidence que les essais nucléaires français au Sahara n’ont pas été «propres».

 Ce rapport, classé «confidentiel défense», est une synthèse rédigée à partir des documents militaires d’époque, classés «secret» ou «confidentiel défense»… «Même s’il apporte des informations jusque-là non connues, il s’agit bien d’une ‘‘relecture officielle’’ de la période des essais nucléaires français», note la revue Damoclès

«Les rédacteurs ont dû trier dans les documents sources, ce qui explique les incohérences et surtout les silences et les omissions.» «C’est manifestement le cas pour les ‘‘ratés’’ des essais au Sahara, notamment ‘‘Gerboise verte’’ ou l’accident du tir ‘‘Béryl’’.»  

Dans le rapport qu’il a remis en janvier 2021 au président Macron, l’historien Benjamin Stora relève que «si aucun rapport n’a été publié depuis lors (2007, ndlr), il semble toutefois que les échanges entre la France et l’Algérie se soient poursuivis pour qu’un accord franco-algérien soit trouvé sur une remédiation des anciens sites d’essais»

Et l’historien de préconiser (page 127) «la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pose des mines aux frontières». Soixante-deux ans après le largage de la première bombe A à Reggane, le gouvernement français devrait enfin remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où sont enfouis des déchets contaminés, comme elles le demandent, et faciliter le nettoyage des sites concernés. 

Parce qu’assurer la transparence sur les essais nucléaires en déclassifiant les dossiers et rapports significatifs contribuerait à faire avancer la vérité et rendre justice aux victimes directes et aux générations futures.

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