L’armée prend le pouvoir au Gabon : Fin de règne pour la dynastie Bongo

31/08/2023 mis à jour: 18:02
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Photo : D. R.

Quelques heures après le putsch, un des acteurs du coup d’Etat militaire, le général Brice Oligui Nguema ,a déclaré que le président Bongo 
a été «mis en retraite» et «jouit de tous ses droits».

Fin de l’ère de la dynastie des Bongo au Gabon. Des militaires ont annoncé hier mettre «fin au régime en place» au Gabon et avoir placé en résidence surveillée le président sortant Ali Bongo Ondimba. Ali Bongo, qui a succédé à son père en 2009, a été placé en résidence surveillée «entouré de sa famille et de ses médecins», et l’un de ses fils, Noureddin Bongo Valentin, a été arrêté notamment pour «haute trahison», ont annoncé les militaires putschistes à la télévision d’Etat.

Une série d’arrestations ont également visé six autres hauts responsables du régime, à savoir le directeur de cabinet de Ali Bongo et son directeur adjoint, des conseillers de la Présidence ainsi que les numéros un et deux du Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir. Une série d’arrestations ont visé six autres personnes.

Juste après l’annonce, dans la nuit de mardi à mercredi, de la victoire de Ali Bongo à la présidentielle avec 64,27% des voix, un groupe d’une douzaine de militaires est apparu sur la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même de la Présidence.

Réunis au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), ils ont «décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place», a déclaré un de ces militaires, un colonel de l’armée régulière. «A cet effet, les élections générales du 26 août 2023 (…) sont annulées», a-t-il ajouté. Les militaires ont notamment estimé que l’organisation des élections n’a «pas rempli les conditions d’un scrutin transparent» et ont dénoncé «une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos».

Ils ont annoncé la dissolution de toutes les institutions du pays et la fermeture des frontières du Gabon «jusqu’à nouvel ordre». Les sept hommes arrêtés par les putschistes incarnent la «jeune garde» qui formait un groupe de très proches et influents conseillers du chef de l’Etat depuis le retour d’une longue convalescence de Ali Bongo à la suite d’un AVC en 2018. L’opposition et la société civile accusaient régulièrement les membres de cette «jeune garde» d’être devenus les véritables dirigeants du pays, parce que, selon elles, Ali Bongo est très affaibli par les séquelles de son AVC.

Un peu plus tard, le chef de la garde républicaine, un des acteurs du coup d’Etat militaire, le général Brice Oligui Nguema, a déclaré au journal français Le Monde que le président Bongo a été «mis en retraite, il jouit de tous ses droits». «Il n’avait pas le droit de faire un troisième mandat, la Constitution a été bafouée, le mode d’élection lui-même n’était pas bon. Donc l’armée a décidé de tourner la page, de prendre ses responsabilités», a-t-il affirmé.

Plus tôt, le président déchu Ali Bongo a appelé dans une vidéo «tous» ses «amis» à «faire du bruit». «(…) J’envoie un message à tous nos amis dans le monde entier pour leur dire de faire du bruit» à propos «des gens qui m’ont arrêté, moi et ma famille», a-t-il déclaré. Ali  Bongo a été élu en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui a dirigé le Gabon pendant plus de 41 ans. Il briguait un troisième mandat aux élections de samedi qui regroupaient trois scrutins : présidentiel, législatifs et municipaux. Son principal rival  Albert Ondo Ossa, qui n’a recueilli que 30,77% des suffrages, a dénoncé des «fraudes orchestrées par le camp Bongo».

Plus d’un demi-siècle au pouvoir

Ancienne colonie française, pays de l’Afrique centrale, le Gabon proclame son indépendance le 17 août 1960. En février 1961, Léon Mba devient président. Trois ans plus tard, il est renversé par un coup d’Etat puis réinstallé grâce à une intervention de l’armée française. Lui succède à sa mort en décembre 1967, Albert-Bernard Bongo qui impose en mars 1968 le PDG comme parti unique.

Converti à l’islam, il devient Al Hadj Omar Bongo. Unique candidat, il est élu président en 1973, 1979 et 1986. En avril 1990, le multipartisme est adopté. En mai-juillet de la même année, l’opération militaire «Requin» permet à Paris de rétablir l’ordre à Libreville après des émeutes. Mais Omar Bongo remporte toutes les présidentielles (1993, 1998 et 2005). Scrutins tous contestés.

En 2010, la justice française a ouvert une enquête sur le patrimoine amassé en France par Omar Bongo et d’autres chefs d’Etat africains. En 2014, le journaliste français Pierre Péan affirme, dans son livre Nouvelles affaires africaines, que Ali Bongo a falsifié son acte de naissance. Démentie par le pouvoir, la thèse soutient aussi que le Président est un enfant nigérian adopté par Omar Bongo pendant la guerre du Biafra (1967-1970) au Nigeria.

Selon la Constitution, il faut être né gabonais pour prétendre à la Présidence. A la fin de la même année, de violents heurts opposent manifestants de l’opposition et forces de l’ordre, lors d’un rassemblement interdit réclamant le départ de Ali Bongo, faisant officiellement un mort.

Avant la présidentielle d’août 2016, l’opposition a demandé en vain l’invalidation de la candidature de Ali Bongo, indiquant qu’il est un enfant nigérian adopté et ne peut ainsi être Président. Le 31 août, la commission électorale annonce sa réélection, devant son adversaire Jean Ping.

En début janvier 2019, une tentative de coup d’Etat contre le président Bongo a échoué. En février, éclate le «kevazingogate». Il s’agit de la découverte d’un important trafic de bois précieux interdit d’exploitation, qui provoque un scandale politique et le blocage des exportations de bois. Le 5 décembre, le fils aîné d’Ali Bongo, Noureddin Bongo Valentin, est nommé «coordinateur des affaires présidentielles».

Le Gabon est l’un des pays les plus riches d’Afrique en PIB par habitant (8,820 dollars en 2022), grâce à son pétrole, son bois et son manganèse. En 2020, l’or noir a représenté 38,5% de son PIB et 70,5% de ses exportations, selon la Banque mondiale. Mais «le pays peine à traduire la richesse de ses ressources en une croissance durable et inclusive» et un tiers (32,9%) de ses habitants vit sous le seuil de pauvreté, a indiqué la même institution en avril 2023. 

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