L’Allemagne poursuivie pour complicité de génocide : De lourdes accusations pèsent sur Berlin à la CIJ

09/04/2024 mis à jour: 08:29
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Le chancelier allemand Olaf Scholz

Ouvertes hier, les audiences relatives à la requête d’indication introduite le 15 mars dernier par le Nicaragua, devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’Onu, contre l’Allemagne pour «complicité» de génocide à Ghaza, ont été entamées par les exposés de l’équipe juridique du Nicaragua, au Palais de la Paix, à La Haye, aux Pays-Bas, et doivent se terminer aujourd’hui avec les plaidoiries de la partie allemande. 

Durant deux heures de plaidoirie, l’équipe juridique du Nicaragua n’a laissé aucune place au doute sur les accusations qu’elle a portées contre l’Allemagne. «Le peuple palestinien fait l’objet de la plus importante opération militaire de destruction à travers l’histoire moderne», lance le premier défenseur de la partie plaignante. Pour lui, l’Allemagne «est responsable du génocide à Ghaza, à travers l’aide qu’elle apporte à Israël. Elle a violé la Convention de lutte et de prévention contre le génocide et le droit international depuis le début de l’opération militaire israélienne à Ghaza». 

L’intervenant a expliqué en outre que depuis le début de la guerre à Ghaza, «les entreprises de l’industrie militaire allemandes ont généré des gains colossaux» en raison de la poursuite des livraisons d’armes à l’Etat hébreu, «alors qu’elles savaient qu’il y avait un risque de génocide contre la population de Ghaza». Pour l’intervenant, Israël «ne peut user du droit à la légitime défense pour justifier ses crimes de génocide». 

Selon lui, «ce qui s’est passé le 7 octobre n’est pas venu du néant, comme l’a affirmé le secrétaire général de l’Onu. La population civile de Ghaza n’est pas protégée et la situation s’est gravement détériorée dans les autres territoires occupés de la Palestine. Le peuple palestinien a le droit à l’autodétermination et de se défendre contre le colonialisme». 

Lui succédant à la barre, un autre membre du collectif du Nicaragua a affirmé que l’aide militaire fournie par l’Allemagne à Israël a été multipliée par dix durant les derniers mois. «En 2023, Berlin a exporté vers Israël 326 millions d’euros de matériel militaire. Ce soutien ne s’est pas arrêté même après les décisions rendues par la CIJ le 26 janvier dernier. Pourtant 600 fonctionnaires allemands ont exhorté leur gouvernement à cesser l’aide militaire à Israël en raison du génocide. L’Allemagne doit mettre un terme à ce soutien et ne pas se contenter uniquement de déclarations.» 

L’intervenant a rappelé la décision prise par le gouvernement allemand de suspendre l’aide destinée à l’Unrwa, «privant ainsi l’agence de 450 millions d’euros, sans se soucier de la situation de guerre et ses conséquences sur la population de Ghaza». 

Il va plus loin en disant : «C’est en effet une excuse pathétique pour les enfants, les femmes et les hommes palestiniens, de fournir une aide humanitaire, notamment par le biais de largages aériens, d’une part, et de fournir le matériel militaire utilisé pour les tuer et les anéantir d’autre part». Pour l’intervenant, l’Allemagne «est responsable de violation du droit international et de ses obligations internationales par rapport à la situation à Ghaza. Elle a failli à ses obligations d’empêcher le génocide et les crimes de guerre à Ghaza».


«Les ventes d’armes ont connu une hausse considérable durant la guerre» 

Poussant plus loin son argumentation, l’avocat a affirmé que «les ventes d’armes allemandes ont connu une hausse considérable durant la guerre au lieu de s’arrêter. L’Allemagne facilite les violation du droit international par Israël, au lieu d’augmenter les aides humanitaires à la population de Ghaza victime de génocide». L’avocat s’en prend à ses adversaires en déclarant : «Berlin veut nous convaincre que ses armes ne sont pas utilisées dans les génocides. Il doit savoir que la Convention fait obligation aux Etats d’empêcher la commission de ces crimes et de punir les auteurs et non pas de leur vendre des armes.» Bien plus. «La situation à Ghaza s’est aggravée malgré les décisions de la CIJ sur de possibles génocides le 26 janvier», a-t-il déclaré, en rappelant que l’ordonnance de la Cour «a assimilé la négligence à un crime». 

Devant ces griefs, l’intervenant a plaidé pour «des décisions à caractère obligatoire pour appuyer les mesures provisoires conservatoires en ce qui concerne la guerre à Ghaza». Il a également exigé de Berlin de mettre un terme à son soutien militaire à Israël en faisant remarquer : «Il y a des Etats qui attisent la situation à Ghaza en fournissant des armes à Israël. Cela constitue une violation du droit international. L’Allemagne sait que les armes qu’elle livre à Israël sont utilisées dans les raids contre la population civile. Nous voulons que la Cour oblige l’Allemagne à arrêter son aide à Israël et à revenir sur sa décision de suspension de l’aide humanitaire à l’Unrwa.» 

Lui succédant à la barre, un autre avocat a noté que «depuis le dépôt de la requête de l’Afrique du Sud, au mois de décembre 2023, il n’y a rien eu à part des génocides à Ghaza», puis a déclaré : «Nous espérons que l’Allemagne acceptera les décisions de la CIJ. Les USA et l’Allemagne sont les principaux soutiens d’Israël. 

Washington ne reconnaît pas la compétence de la CIJ. Raison pour laquelle, nous n’avons pas déposé de requête contre elle. Nous ne sommes pas inquiets d’une quelconque pression. Ce qui nous importe c’est le respect du droit international et l’aide à la population de Ghaza.» L’intervenant a demandé à la Cour «d’ordonner à Berlin d’arrêter de livrer des armes et du matériel militaire à Israël pour l’aider dans son opération de destruction de la Palestine et du peuple palestinien», avant de conclure en demandant, comme ses prédécesseurs, des mesures provisoires urgentes, car, a-t-il souligné, «c’est impératif et urgent du fait que la vie de centaines de personnes est en jeu». 
 

Les plaidoiries du Nicaragua ont pris fin vers 12h et reprendront aujourd’hui avec les réponses de la partie allemande. Il est important de savoir que dans sa requête de 43 pages, rendue publique par la CIJ, le Nicaragua a estimé que «la défaillance de l’Allemagne est d’autant plus répréhensible qu’elle entretient des relations privilégiées avec Israël qui lui permettraient d’influencer utilement sa conduite». 

Cette audience intervient deux jours après l’entrée en lice de la Colombie, dans la plainte intentée par l’Afrique du Sud contre Israël, pour génocide, devant la CIJ, mais dont l’examen au fond n’a pas encore été programmé. La Colombie s’est référée à l’article 63 du Statut de la Cour, qui stipule : «Lorsque est en cause l’interprétation d’une Convention à laquelle ont participé d’autres Etats que les parties en litige, chacun de ces Etats a le droit d’intervenir en l’affaire. Si un Etat exerce cette faculté, l’interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard.» 

Dans sa déclaration, elle a indiqué que la Convention sur le génocide est «un instrument fondamental de droit international», et affirmé que l’affaire «soulève des questions essentielles concernant l’interprétation et l’application de différentes dispositions de (ladite) convention (…) qui reflètent des obligations dues à la communauté internationale dans son ensemble, et des obligations dues à tous les Etats parties au traité». Elle fait valoir qu’elle soumet sa déclaration «avec la conviction sincère que les Etats parties à la Convention sur le génocide doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour contribuer à prévenir, réprimer et punir le génocide (…) et, partant, pour aider la Cour à établir la responsabilité d’un Etat partie à la Convention qui aurait manqué aux obligations qui y sont énoncées». 

Comme le prévoit l’article 83 du Règlement de la Cour, l’Afrique du Sud et Israël ont été priés de présenter des observations écrites sur la déclaration d’intervention de la Colombie. Si la Colombie a fait usage de son droit d’intervention dans l’affaire opposant l’Afrique du Sud à Israël, en soutien à la plainte, l’Allemagne avait annoncé faire de même mais en faveur d’Israël. Aujourd’hui, il lui faudra des arguments extrêmement solides pour pouvoir déconstruire ceux des avocats du Nicaragua.    Salima Tlemçani
 

 

 

 

OMS : L’accès aux soins de santé «totalement inadéquat»


L’accès aux soins de santé à Ghaza est désormais «totalement inadéquat», a déclaré l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’issue d’une mission conjointe d’évaluation à l’hôpital Al Shifa, devenu une «coquille vide avec des tombes humaines après le dernier siège» sioniste. La mission multi-agence, menée par l’OMS le 5 avril, en collaboration avec le directeur intérimaire de l’hôpital Al Shifa, a examiné l’étendue des destructions suite à des agressions des forces israéliennes d’occupation contre l’enclave palestinienne.

Comme la plus grande partie du nord de Ghaza, l’hôpital Al Shifa «n’est plus qu’une coquille vide après le dernier siège», a déclaré l’OMS, et il ne reste plus aucun patient dans l’établissement où la plupart des bâtiments sont gravement endommagés ou détruits et la majorité des équipements inutilisables ou réduits en cendres. «Dans la même zone, de nombreux cadavres étaient partiellement enterrés avec leurs membres visibles. Au cours de la visite, le personnel de l’OMS a vu au moins cinq corps partiellement recouverts sur le sol, exposés à la chaleur», avec «une odeur âcre de corps en décomposition qui envahissait l’enceinte de l’hôpital», a ajouté l’OMS, rappelant que «la sauvegarde de la dignité, même dans la mort, est un acte d’humanité indispensable». Selon le directeur intérimaire de l’hôpital, les patients ont été détenus dans des conditions épouvantables pendant le siège sioniste. Au moins 20 d’entre eux sont tombés en martyrs, en raison du manque d’accès aux soins et des déplacements limités autorisés pour le personnel de santé. Alors que l’OMS a célébré dimanche la Journée mondiale de la santé sur le thème «Ma santé, mon droit», ce droit fondamental est totalement hors de portée pour les Palestiniens à Ghaza, a déclaré l’agence, rappelant que les hôpitaux «ne doivent pas être militarisés, utilisés à mauvais escient ou attaqués». Entre la mi-octobre et la fin mars, plus de la moitié des missions de l’OMS ont été refusées, retardées, entravées ou reportées. «Alors que les besoins en matière de santé augmentent, l’absence d’un système de déconfliction fonctionnel constitue un obstacle majeur à l’acheminement de l’aide humanitaire à l’échelle nécessaire», a déclaré l’agence sanitaire des Nations unies. La destruction de l’hôpital Al Shifa et du complexe médical Nasser dans la ville de Khan Younès, «a brisé la colonne vertébrale d’un système de santé déjà mal en point». Sur les 36 hôpitaux qui desservaient plus de deux millions de Palestiniens de Ghaza, seuls 10 restent à peu près fonctionnels, et les types de services qu’ils peuvent fournir sont très limités, a encore signalé l’OMS, redoutant à l’occasion, toute incursion militaire sioniste à Rafah, où près de 1,5 million de personnes sont réfugiées, et qui «ne pourrait qu’entraîner une perte supplémentaire de soins de santé et aurait des conséquences sanitaires inimaginables». Agences

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