La Tunisie rejette le diktat du FMI : Le défi à haut risque du président Saïed

08/04/2023 mis à jour: 06:48
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Le président tunisien Kaïs Saïed - Photo : D. R.

Choix très symbolique par le Président Saïed de s’aligner sur les traces de Bourguiba, pour annoncer son refus de tout diktat. C’est la Marche vers une nouvelle indépendance. Démarche très risquée.

A partir du mausolée Habib Bourguiba à Monastir, et en marge du Mémorial de décès du très symbolique «leader de la Nation», le Président Kaïs Saïed a déclaré avant-hier qu’il est de son devoir de préserver la paix citoyenne en Tunisie.

L’application des programmes de levée des subventions risque d’entraîner des émeutes comme celles de début janvier 1984. Les projections et les bilans des expériences comparées ne sont pas prometteurs. «La Tunisie ne va pas plier sous le diktat de quiconque et va compter sur ses propres moyens», a-t-il martelé.

Le Président tunisien a clairement préparé son coup sur le plan médiatique et populaire. Habitué à plus de réserve dans ses contacts avec les médias, il a pris tout le monde à contre-pied, en permettant aux journalistes présents avant-hier à Monastir de lui poser des questions.

Et alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il soit sur la défensive, aussi bien en termes de politique interne que sur le volet socioéconomique, la Tunisie étant en pleine crise politique, socio-économique et financière, Kaïs Saïed s’est permis d’aller de l’avant, en présentant, pour une fois, des arguments à son discours chargé de slogans.

«Les expériences comparées et les projections n’augurent rien de bon si l’on retire la compensation des produits alimentaires de base. Nous nous rappelons tous des émeutes du 3 janvier 1984 en Tunisie suite à une décision pareille.

Nous devons certes chercher d’autres solutions.» En guise d’alternative, le Président Saïed s’est limité à dire que «la Tunisie doit compter sur ses propres moyens». Manœuvre à haut risque pour un pays dont l’économie est au bord de la faillite. Coup de maître, toutefois. La levée de compensation devient le sujet de tous les plateaux et Saïed se présente en sauveteur.

Cela revient à dire que la Tunisie veut renégocier les termes de son accord, obtenu en octobre dernier au niveau des experts, avec le Fonds monétaire international (FMI) pour ce qui est du volet «levée de la compensation», synonyme pour le Président Saïed d’atteinte majeure aux fondements de la paix civile.

«Ce n’est pas une chose simple que de toucher à la paix citoyenne !» a-t-il réagi. A l’actif de Saïed d’avoir dit haut ce que les précédents gouvernements n’osaient déclarer.

Cet objectif de levée de la compensation était également dans l’accord, étalé sur 48 mois, approuvé le 30 juin 2016 par le Conseil d’administration du FMI en faveur de la Tunisie. Le gouvernement tunisien avait alors avancé le refus de la centrale syndicale UGTT de la levée des subventions comme raison de sa non-réalisation.

Aujourd’hui, la Tunisie est allée plus loin, puisque c’est le chef de l’Etat, lui-même, qui a annoncé le refus de cette option, tant qu’il n’y a pas d’alternative efficace pour cibler les compensations. Saïed préfère gérer l’inconnu que de jouer avec le feu à l’échelle interne, s’il accepte l’option de décompenser les aliments de base.

Dans le vif

Pour une fois, le Président tunisien a tranché dans le vif du sujet. «Il faudrait une formule viable pour venir en aide aux plus démunis spécialement, sans appauvrir davantage la majorité de la population en général», a-t-il déclaré en réponse à une journaliste concernant les accords avec le FMI. Comme alternative, le Président Saïed n’a parlé que de compter sur les propres moyens de la Tunisie.

Cela pourrait se faire valoir dans le renforcement des exportations des phosphates et des engrais chimiques, prévu à compter de cette année, comme l’a expliqué l’expert économique Mohamed Jarraya sur les ondes de Radio Mosaïque Fm.

Cela pourrait également se percevoir dans les nouvelles manœuvres géopolitiques avec une approche plus équilibrée envers les pôles de ce monde, notamment les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Si l’on ajoute les dernières manœuvres diplomatiques du ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, et ses contacts avec les Chinois et les Russes, il est clair que les propos du Président Saïed ne viennent pas du néant.

Mais rien ne garantit un succès à court terme avec les BRICs et leur banque de développement qui n’est qu’un projet, alors que les besoins financiers tunisiens sont urgents.

Il n’empêche que les réactions internationales à cette hésitation tunisienne sont déjà là. Ce ne serait pas un simple hasard si l’Agence de notation  Fitch Ratings s’est rendu compte, la semaine dernière, qu’elle se serait trompée sur la note souveraine de la Tunisie en décembre dernier. Fitch a ainsi fait passer cette note de CCC à CCC+, tout comme les changements de ton des responsables des institutions financières internationales, plus réceptifs aux réserves tunisiennes.

Les rencontres de la délégation tunisienne la semaine prochaine à Washington, lors des Assises du printemps de la Banque mondiale, nous en diront plus sur la portée de ce changement.

Néanmoins, pour réussir à imposer sa voix sur l’échiquier international, il faut être dynamique et sortir de sa torpeur. L’expression «berceau de la révolution arabe» a perdu de son éclat.  Les Tunisiens sont appelés à retrousser les manches et se remettre au travail comme ils le faisaient avant le 14 janvier 2011 et la chute de Ben Ali. L’avenir demeure incertain.

Plus de 14 000 migrants interceptés en trois mois

La garde nationale tunisienne a annoncé hier avoir intercepté ou secouru sur les trois premiers mois de l’année plus de 14 000 candidats à l’émigration vers l’Europe, essentiellement originaires d’Afrique subsaharienne, soit cinq fois plus que lors de la même période en 2022.

Du 1er janvier au 31 mars, les gardes-côtes ont «déjoué 501 opérations de franchissement clandestin des frontières maritimes et sauvé 14 406 personnes dont 13 138 originaires d’Afrique subsaharienne, le reste étant des Tunisiens», a annoncé le porte-parole de la Garde nationale sur Facebook.

Ces données sont plus de cinq fois supérieures à celles enregistrées lors du premier trimestre 2022, au cours duquel «2532 sauvetages avaient été effectués lors de 172 opérations différentes», a précisé le porte-parole, Houssem Jebabli.

Selon lui, «1657 ressortissants (de pays) d’Afrique subsaharienne» figuraient parmi les migrants interceptés. Les statistiques de 2023 sont «en très forte hausse parce qu’il y a beaucoup de départs», a-t-il ajouté.

La quasi-totalité des interceptions et sauvetages en 2023 ont eu lieu dans les zones de Sfax, la deuxième ville tunisienne et Mahdia, sur la côte centre-est du pays, pour un total de 13 259 personnes concernées dans ces zones. R. I.

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