La nouvelle année de référence et le rebasage des comptes économiques nationaux : le cas de l’Algérie en 2023

15/04/2024 mis à jour: 02:56
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Un changement d’année de référence et de rebasage des comptes économiques nationaux d’un pays est une étape incontournable pour mettre à jour et disposer de données macroéconomiques fiables, exhaustives et cohérentes.

 Ces dernières permettront ainsi au pays : (1) de mieux mesurer ses performances économiques ; (2) de tenir ses engagements vis-à-vis de partenaires économiques et financiers internationaux, régionaux et nationaux en termes de données économiques fiables ; (3) d’assurer une meilleure comparabilité historique et internationale ; et (4) d’articuler des politiques macro-économiques de meilleure qualité. 


L’exercice de rebasage (dont la décision relève exclusivement de la souveraineté de chaque pays) demeure, toutefois, complexe et coûteux. Il doit également obéir à une mécanique précise et rigoureuse pour assurer son succès. Pour ce qui est de l’Algérie, elle vient de publier les résultats des comptes économiques pour la période 2001 à 2022 produits par référence à une nouvelle année de base 2001 (la précédente était 1989). Un travail énorme qu’il faut saluer et qui permet de jouer un rôle fondamental dans la présentation des données et performances du pays. Cette initiative de rebasage était devenue impérative et pressante pour éviter l’érosion de la qualité des comptes économiques du pays. Elle pose, toutefois, un certain nombre de questions que nous soulèverons dans les lignes ci-dessous. Discutons de tous ces points. 


Le système des comptes nationaux (SCN) : L’analyse des développements macroéconomiques et la conception des politiques publiques requièrent des données économiques fiables et leur publication en temps opportun. Le système des comptes nationaux (SCN) offre un cadre approprié pour ce faire qui est reconnu internationalement.Les agrégats de base du SCN sont la production brute, la valeur ajoutée (VA), le produit intérieur brut (PIB), la consommation, l’investissement net (investissement moins dépréciation), la demande intérieure (absorption) et les exportations nettes. La quantification du PIB, l’indicateur le plus utilisé dans le monde pour mesurer la production et le revenu d’un pays, souffre de certaines faiblesses, y compris la sous-évaluation de certaines productions (volontariat, activités charitables, agriculture de subsistance) qui ne sont pas échangeables sur un marché, la non prise en compte de l’amélioration de la qualité des biens et l’exclusion des activités informelles et de contrebande.  


La régularité du changement d’année de base. Selon le dernier SCN des Nations unies (SCN 2008), les pays membres sont invités à réviser tous les cinq ans (sans dépasser toutefois 10 ans) l’année de référence de leurs indicateurs macro-économiques (PIB, valeur ajoutée brute, indice de production industrielle et indice des prix à la consommation) afin de mieux capturer les changements structurels de l’économie. 

De plus, un rebasage permet d’apporter : (1) de nombreuses améliorations en termes de mesure de l’activité économique (économie informelle, action sociale, échanges extérieurs) ou corriger des erreurs d’estimation ; et (2) des changements au niveau des concepts, des sources statistiques, des nomenclatures d’activités et de produits, des méthodes de traitement et de l’année de référence des prix constants (inflation exclue). Beaucoup d’états en développement ne sont pas en mesure de le faire en raison des coûts financiers et humains de l’opération. Pour leur part, la plupart des pays développés adoptent désormais la pratique du chaînage (les indices chaînés sont des indices à base variable ou glissante contrairement aux indices à base fixe) dans laquelle les prix relatifs sont mis à jour chaque année.


La logique du rebasage des comptes nationaux. Ce dernier permettra de tenir compte alors d’une série de changements intervenus entre temps dans la structure économique d’un pays ; les habitudes de consommation, de production ou de commercialisation ; la variation des prix relatifs du fait de la disparition ou de l’apparition des produits ; et l’amélioration de la qualité des biens et des services d’un secteur ou branche d’activité. Trois autres éléments importants justifient un rebasage régulier : (1) l’évolution des références internationales (SCN 2008, manuel de balance des paiements de 2009, manuel des statistiques des finances publiques de 2014, etc.,) qui modifient en profondeur le contenu de certains concepts, les méthodes de calcul et même le domaine de couverture ; (2) la disponibilité de nouvelles sources de données, dont un recensement général de la population (RGP) récent et une nouvelle enquête budget consommation ; et (3) la capture de nouvelles estimations du secteur informel (le FMI vient de mettre au point un certain nombre de techniques d’estimation dans ce sens).


Les critères de choix d’une année de base idéale.  Quatre principaux : (1) une année stable sur le plan sociopolitique ; (2) une année normale sur le plan économique (d’où le besoin d’écarter les années ayant connu des chocs économique (pétrole, sanitaire, alimentaire, changement climatique) ; (3) une année proche de celle en cours ; et (4) une année caractérisée par des données complètes afin de réussir le rebasage (par exemple une année couvrant un RGP). 


Le rebasage est une opération complexe. Elle implique de nombreuses phases, à commencer par la préparation d’un document détaillant l’opération ; suivie de l’élaboration des nomenclatures d’activités et de produits ; de la mobilisation des sources de données ; d’une compilation des comptes nationaux ; de la quantification des implications du rebasage ; de l’analyse, validation et publication des résultats du rebasage des comptes nationaux et se termine par un travail de rétropolation (qui vise à reconstruire sur la nouvelle base les données du passé). 
Les ramifications d’un rebasage. Elles sont multiples. La réactualisation de l’année de référence et la révision du PIB donnent l’opportunité aux comptables nationaux de repondérer l’importance relative des différents secteurs d’activité économique et de modifier ou de reconsidérer davantage les méthodes et les sources de données. 

De ce fait, ce travail offre aux décideurs la possibilité d’articuler de meilleures politiques de croissance, d’emploi et de commerce extérieur. Cela donne également une meilleure visibilité au pays et aux investisseurs internationaux. Cependant, le rebasage et la modification du niveau du PIB vont inévitablement affecter toute une série de ratios macro-économiques exprimés en termes de PIB, y compris le service de la dette, le déficit budgétaire du secteur public, le stock de la dette publique, le compte courant de la balance des paiements (et la position créditrice extérieure nette d’un pays) ainsi que le coût et l’accès des états et des entreprises publiques aux marchés financiers. C’est donc tout le cadre macroéconomique qu’il faut revoir de fonds en comble. 


Les conditions de succès d’un exercice de changement d’année de base. Elles incluent la détermination des autorités politiques de renforcer la qualité des statistiques ; la disponibilité qualitative et quantitative des ressources humaines, matérielles et financières ; l’implication de tous les rouages de l’écosystème statistique national ; et la coordination avec les partenaires internationaux et nationaux. 


Le cas de l’Algérie : Des comptes nationaux révisés en prenant 2001 comme année de base. Quelques clarifications seront les bienvenues pour apprécier ce travail de grande ampleur et méritoire. 


Un rebasage bienvenu : en mars 2024, l’ONS a publié les résultats des comptes économiques (2001-2022) produits par référence à une nouvelle année de base 2001 (remplaçant la base 1989). Pour l’ONS, le rebasage a permis : (1) de prendre en considération les changements structurels de l’économie ; (2) d’intégrer de nouvelles sources d’information (enquête de structure approfondie 2001 et enquête détaillée sur la consommation des ménages et le niveau de vie en 2000/2001), des données élaborées par les différentes structures ministérielles et de s’appuyer sur un groupe d’indices (commerce extérieur, prix à la production, prix à la consommation) ; (3) de prendre en compte des nouvelles nomenclatures de produits et d’activités nationales liées aux nomenclatures internationales ; (4) de s’aligner sur les références internationales (SCN 2008, Manuel de la Balance des Paiements 2009 et Manuel des Statistiques des Finances Publiques 2014 ; et (5) de revoir l’ensemble des estimations en se calant sur les opérations structurantes réalisées pour l’année de base choisie (2001).  


Finalement, sur le plan méthodologique, citons l’ ONS qui précise ce qui suit : (1) un affinement des travaux sur les nomenclatures, notamment les tables de passage entre les différentes nomenclatures ; (2) l’élargissement de la formation brute de capital fixe aux dépenses de recherche-développement ; (3) le traitement de la consommation du capital fixe pour le secteur des administrations publiques en tant que production des services non marchands dans l’évaluation de la production brute des administrations publiques; et (4) une meilleure prise en charge des composantes de l’économie informelle, notamment la réévaluation des loyers imputés (production des ménages pour usage final propre) aux prix pratiqués sur le marché de l’immobilier au lieu des prix administrés.
Les résultats du rebasage.  Les grands agrégats macro-économiques ont donc tous connu une augmentation en termes nominaux qui se situent dans des fourchettes internationales raisonnables. Si nous nous focalisons sur le PIB, les constatations suivantes émergent :


1.La répartition de la valeur ajoutée au niveau du PIB de 2022 a évolué de façon significative avec la prééminence des services (43,4%), suivies des industries extractives (20,7%), de la construction (12,6%), de l’agriculture et de la pêche (11,2%) et du manufacturier (10,8%).  


2.Le PIB réel sur la période 2001-2022 n’a pas varié de façon marquée : sur la base 1989, la moyenne des taux de croissance entre 2001 et 2022 se situe à environ 2,9% tandis que sur base 2001, elle s’établit à 2,7 %. Des données proches après révision du PIB. 


3.Les PIB nominaux, a contrario, ont enregistré certaines années des accroissements marqués, notamment en raison du niveau des déflateurs du secteur pétrolier qui ont connu des hausses pendant une grande partie de la période 2001-2022 (une moyenne de 35,8%). Reflétant ainsi la volatilité des marchés pétroliers internationaux. 


4.Une augmentation de 12,8% du PIB nominal en 2022 est dans les fourchettes de hausse au niveau des pays d’Asie (12%) et bien en deçà de celles des pays d’Afrique (23,6%). 
5.Le nouveau chiffre du PIB pour 2022 (32028 milliards de dinars) est repris dans le cadrage macroéconomique inclus dans le rapport 2023 des services du FMI. 


Les questionnements sur le processus de rebasage : Le travail accompli par l’ONS est remarquable. Toutefois, certaines questions se posent :


1.L’écart entre les années de base (ancienne et nouvelle) : se situe à 12 ans. Un écart trop faible pour capturer les réalités d’aujourd’hui et qui se situe bien au-dessus des moyennes constatées en Afrique (9,7 années) et en Asie (9 ans). 


2.Le choix de 2001 comme année de base. Un écart de 23 ans est un choix qui ne répond pas à un des critères de base, à savoir le choix d’une année proche de celle en cours. Certes, la période 1989-2022 se distingue par une succession de chocs externes (grande crise financière de 2008, chocs pétroliers de 2014 et 2020, choc sanitaire de 2020, choc alimentaire de 2022), une détérioration de la sécurité (décennie 1990s) et des dérèglements climatiques (décennies 2010-2020) qui ont vraisemblablement limité le choix des comptables nationaux. En revanche, ce choix de l’année 2001 maintient une certaine cohérence avec l’indice des prix à la consommation (base 2001 également). 
Un outil qui a grandement besoin d’être réactualisé. Nonobstant ces contraintes, les comptables nationaux auraient dû porter leur choix sur une année plus proche. Peut-être 2009 ? dans le sillage du recensement général de la population de 2008 (une pratique courante dans de nombreux pays, notamment en Inde). 


3.L’intégration des nouvelles sources d’information pose un problème. L’enquête de structure approfondie 2001 et l’enquête détaillée sur la consommation des ménages et le niveau de vie en 2000/2001sont obsolètes. Ces sources d’information représentent un passé lointain et non une réalité contemporaine pouvant renforcer la qualité des agrégats consommation et production.  


4.L’argument du besoin de refléter le changement de structure de l’économie est difficile à justifier. Le processus de réformes entamé au cours de la seconde moitié de la décennie 1990s a été interrompu à partir de l’année 2000 en raison de la hausse des prix du pétrole. 


Toutes les mesures successives qui ont conduit à un système d’échanges commerciaux extérieurs libre de toutes restrictions quantitatives à partir de 1996 ont été abandonnées en faveur d’une multiplicité des barrières tarifaires et non tarifaires. Parallèlement, l’insertion internationale était en panne et les rigidités structurelles étouffaient et continuent d’étouffer l’économie nationale.  

5. La structure de l’économie nationale en 2022 montre les limites des moteurs de la croissance du pays : au vu de la domination des services à faible valeur ajoutée, du poids des industries extractives et du processus de désindustrialisation au cours des trois dernières décennies. Elle souligne plus que tout l’urgence de mettre en place des réformes globales pour se doter d’une économie de production élargie, soutenable et inclusive.  
 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international en macroéconomie 

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