La littérature fantastique ne trouve pas encore d’adeptes : A quand un Stephen King algérien ?

20/02/2024 mis à jour: 18:52
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 Les écrivains majeurs algériens, tels que Mohammed Dib ou même Tahar Ouettar, sont parfois passés du réalisme à l’onirisme, mais les textes élaborés qui permettent un voyage épique dans des mondes imaginaires restent rares. 

 

L’écrivain américain E. A. Poe a de nombreux lecteurs, mais pas de grands adeptes. Les traductions, telles que celles du poète français Charles Baudelaire, ont popularisé les textes du génial auteur des Histoires fantastiques. La littérature algérienne (avec ses différentes graphies) n’a pas adopté ce genre. Les écrivains majeurs, tels que Mohammed Dib ou même Tahar Ouettar, sont certes parfois passés du réalisme à l’onirisme, mais les textes qui permettent un voyage épique dans des mondes imaginaires sont rares. 

Ce n’est qu’à partir des années 2000 que de jeunes auteurs ont pu utiliser, avec plus au moins de bonheur, les ingrédients des sous-genres des littératures de l’imaginaire : le fantastique, le fantasy et la SF (science-fiction). «Les nouvelles écritures algériennes des années 2000, qui ont suivi les fictions dites de ''l’urgence'' censées refléter avec fidélité la quotidienneté de l’horreur vécue dans sa chair par le peuple algérien durant la décennie noire, s’inscrivent dans l’optique d’une nouvelle esthétique du sens, d’un nouveau souffle du roman algérien», note Henni Ahmed, dans son étude : «L’intrusion du fantastique dans les nouvelles écritures algériennes : le cas des romans de Djamel Mati». 

Pour le chercheur, l’auteur de Point B 114 fait partie de ces écrivains «de l’après-urgence qui participent activement à cette nouvelle architecture de l’esthétique de la forme, véritable espace d’écriture, de réflexion, du dialogue, de métissage et de croisement permanents qui permet à la littérature algérienne de continuer son expansion dans l’hybridité, de se revendiquer d’un universel auquel tend l’humanité dans le monde actuel».
 

«Écart injustifiable » 

Ingénieur en chef en météorologie et en géomagnétisme, Djamel Mati «incarne, note Belarbi Habiba, une nouvelle mouvance d’écriture qui emploie avec adresse des techniques discursives et narratives d’émiettement, avec une structure dédale à la quête de l’onirique et du fantasmagorique». Mais pourquoi ce genre n’arrive pas à percer ? 

Non-maîtrise des techniques ? Mépris ? Des auteurs estiment que l’introduction du surnaturel dans le récit est considérée comme un «écart injustifiable». «Introduire le merveilleux dans l’écriture romanesque a constitué, pour le discours critique, un écart injustifiable. Le merveilleux littéraire, par son étrangeté, son excentricité, sa référence à l’inexplicable, au surnaturel, au fantastique même, déroutait plus d’un. Inséré dans le champ romanesque, il impliquait une infraction à la clarté, au visible, au rationnel, à l’explicable, bref à l’ordinaire et au banal», précise Mohamed Daoud dans une étude publiée par Insaniyat : «Le merveilleux dans le roman algérien de langue arabe». Des textes, parfois de bonne facture, ont toutefois été publiés ces dernières années, et il suffit visiblement d’«aider» leurs auteurs. 

Le soutien est venu de l’Institut français d’Algérie (IFA), qui a lancé en 2013 son premier concours de la nouvelle fantastique avec pour thématique d’écriture «Noces». «Destinée aux écrivains en herbe, l’initiative de l’IFA a attiré beaucoup de participants», se réjouit-on. Assia Bougherra, nouvelliste originaire de Constantine, a décroché la première place. Parmi les lauréats cette année-là figurait Mohamed Elkeurti, auteur d’une nouvelle : Le costume. 

Présidant d’une association culturelle qui anime le plus ancien ciné-club d’Algérie (1987), ce féru de littérature et de BD saura persévérer en publiant dix ans après ce premier succès, un recueil très remarqué de ses textes : Nouvelles de l’Infra-monde (voir entretien). Verra-t-on un jour l’émergence d’autres auteurs algériens qui feront jeu égal avec Stephen King, J. R. R. Tolkien, Bernard Werber ? L’imaginaire fantastique marque la vie des auteurs du cru : le monde des djinn et autres démons est omniprésent dans la tradition religieuse et les contes populaires. Les textes classiques de la littérature arabe font également la part belle à des intrusions de l’horreur dans le réelle. Il suffit de lire les Milles et une Nuits. Et de s’en inspirer. 


Mohamed Elkeurti a publié en 2023 Nouvelles de l’Infra-monde aux éditions Casbah
 

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