La générale de la nouvelle pièce de Mohammed Adar présentée au TRO : Errabaâ, lla ! mais de quoi s’agit-il au juste ?

22/03/2025 mis à jour: 10:34
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Mohamed Adar au milieu des comédiens de sa piece errabââ lla - Photo : D. R.

Si la pièce intitulée Errabaâ, lla ! (La quatrième….Non !), écrite, mise en scène et produite par Mohamed Adar (coopérative Boudoud el Intadj) a été présentée en 2014, elle aurait très certainement été vue comme une allégorie de la situation politique vécue en Algérie à ce moment-là, ce qui lui aurait, à tort ou à raison, conféré un peu plus de sens comme l’étaient, dans un tout autre contexte, les pièces adaptées  par Abdelkader Alloula (1939-1994) de l’œuvre de l’écrivain turc Aziz Nesin (1915-1995).

Ce n’est pas le cas ici, et cette œuvre, dont la générale a été présentée mardi  au TRO ne doit pas être prise en compte dans ce cadre-là. L’auteur y tient tout particulièrement. «Certains m’ont effectivement fait la remarque en pensant que Eerrabâa pourrait se référer  à El ôuhda (le mandat présidentiel, féminin en arabe et régulièrement prononcé à l’époque,  ndlr) mais non !

Je suis loin de ces considérations et il n’y a aucune allusion de quelque nature que ce soit au politique proprement dit si ce n’est le contexte de la pièce elle-même, c’est-à-dire quelqu’un qui vit dans la misère, dans un  habitat précaire (fawdhaoui, dans le texte) mais dont le seul souci se résume à vouloir se marier encore et encore».

En plus, ce serait un non-sens pour une pièce écrite il y a seulement une année et demie et donc loin de la frénésie qui a caractérisé cette période-là. «J’ai pris en considération une  quatrième, car c’est le maximum admis, sinon, si ça ne tenait qu’au personnage que j’ai imaginé, on en serait à la sixième ou septième et que sais-je encore», explique-t-il également pour lever toute équivoque.

En effet, l’intrigue, à supposer qu’il y en a réellement, met en scène un «petit» personnage, Bendada, interprété néanmoins et de fort belle manière par le talentueux Fethi Hadj Chetouki, comédien fétiche de la compagnie, qui s’entête à prendre une quatrième épouse envers et contre tous.

Les ingrédients sont là avec la panoplie folklorique (ici el gallal) et son vacarme qui caractérise évidemment les cérémonies de mariage, notamment à Oran, mais qui, juste une parenthèse pour revenir à l’idée de départ, est également une constante dans les rencontres et meetings politiques et notamment aussi les campagnes électorales à l’époque et même avant.

C’est sur un ton exagérément répétitif, mais peut être voulu pour accentuer l’idée d’un matraquage, que la volonté d’un futur «mariage» est annoncée.  Deux espèces d’aèdes (Redouane El Hak et Abdelmadjid Zaiter) en tenue traditionnelle, consacrant par la même le retour sur les planches de la «chéchia», sont chargés de cette mission pouvant constituer un prologue.

C’en est un pour l’auteur. Cependant, déclamés avec un lot à répétitions, à la limite agaçantes et pendant de longues minutes, les supposés poèmes composés à l’occasion sont très largement étouffés par les échos de la percussion, ce qui pousse l’ensemble des comédiens impliqués dans ce travail à se surpasser en termes de performance vocale.

Un naturel qui se passe des artifices de la technologie du son, un héritage de la vieille école transmis sans doute par le mentor Mohamed Adar dont un des deux comparses essaye même d’en imiter le style et le ton de la diction. Les quelques passages mélodiques de la composition musicale (signée Mustapha Adar) ne sont pas assez mis en valeur non plus. Au milieu de tout cela, il y a bien des situations cocasses et des performances des comédiens, le principal notamment, qui poussent au rire mais la pièce dans sa globalité ne s’inscrit pas réellement dans le registre de la comédie pure.

Un assemblage de couleurs très improbable

Aussi, même si tout tourne autour d’elle, la femme n’a qu’un rôle accessoire dans la mise en scène et ses rares apparitions n’apportent finalement pas de l’eau au moulin de l’intrigue. Le personnage féminin dont il est question ici (Nasera, rôle confié à Lolla) est le représentant d’un triptyque qui s’oppose au nouveau mariage.

Une opposition d’abord non frontale car prise en charge par un personnage masculin, le neveu (rôle tenu par Abdessalem Benayed), une espèce de porte-parole officieux, un médiateur, un peu déglingué dans sa démarche comme s’il est tout le temps ivre mais assumant bien son rôle de bouffon, y compris dans le costume avec un assemblage de couleurs très improbable.

«Je voulais engager trois comédiennes pour donner  beaucoup plus de relief aux personnages féminins, mais les restrictions financières, une subvention insuffisante, m’ont obligé à renoncer et à réadapter le texte orignal», indique Adar qui voulait également renforcer la section folklorique par deux autres éléments pour davantage de décibels.

Dans la vie réelle, la polygamie est toujours en vigueur,  mais elle est encadrée par la loi et, de toutes les façons et dans tous les cas de figure, y compris dans la religion, le consentement de la précédente ou des précédentes épouses est toujours exigé.  Justement et tout le problème est là dans la mesure où, avec le refus tranché exprimé dès le départ, l’histoire aboutit de fait à une impasse et la preuve en est une fin laissée en suspens non pas pour susciter le débat, mais parce qu’il ne peut y avoir de solution.

On est un peu désarçonné, car on est tenté de considérer que si morale de l’histoire il devait y en avoir, elle consisterait en la réflexion suivante : d’accord pour trois femmes, mais il n’est pas question d’une quatrième !

Dans l’absolu c’est un non sens pour la simple raison que les concernées acceptent leur sort en laissant dire : «S’il s’entête à prendre une quatrième épouse qu’il divorce ou c’est nous qui allons le demander  (el khol’â, également encadré par la loi)». Si l’homme en question  est aussi irresponsable et sans moyens tel qu’il est décrit, une seule femme est déjà de trop !

Dans les envolées lyriques décrivant l’ampleur de la contestation, il est bien question d’associations féminines, mais surtout aussi de syndicat ou autre organisation de  magistrats et même de  la société civile en général, mais juste pour empêcher la nouvelle union. «Qu’ont-ils tous à se liguer contre moi et de quoi se mêlent-ils ?», s’interroge le principal concerné avant de justifier sa volonté de prendre une quatrième épouse par le fait qu’il n’ait pas eu d’héritiers avec les trois précédentes.

Comme c’est le cas pour sa fin, la pièce ne prend aucune position se limitant à décrire l’entêtement de l’un et la détermination à s’opposer des autres. C’est aussi ce qui est  symbolisée par l’horloge plantée au milieu du décor et arrêtée pile sur la quatrième heure. Un temps suspendu et une expectative de plus dans le théâtre algérien.    

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