Alors que la grande manifestation du 12 octobre dernier est passée devant l’ambassade de France à Tunis sans crier le moindre slogan anti-français, ce n’est plus le cas depuis l’assimilation le 24 octobre par le président Macron de Hamas à Daech et son appel à une coalition internationale anti-Hamas, comme celle initiée en 2014 contre Daech en Irak et en Syrie.
Les Tunisiens, pro-Palestiniens à fond, ont, depuis cette date, ciblé la France et les Etats-Unis par des slogans spécifiques dans leurs manifestations. L’emplacement de l’ambassade de France en plein centre de la capitale Tunis, sur le boulevard Habib Bourguiba, en a fait une cible idéale. Par deux soirées consécutives, quelques centaines de jeunes manifestants ont crié des slogans condamnant la France et les Etats-Unis, alliés d’Israël et appelant à expulser l’ambassadeur.
Le ministère tunisien de l’Intérieur a barricadé, par des barbelés, les accès à l’ambassade française et placé deux rangées d’agents des forces de l’ordre pour dissuader contre tout éventuel dérapage. Par ailleurs, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, avait reçu à sa demande, le 24 octobre, soit le jour même de la déclaration de Macron en Israël, l’ambassadrice de France parmi les cinq représentants des pays membres permanents du Conseil de sécurité.
Nabil Ammar a tenu à transmettre la position tunisienne appelant les puissances internationales à une action immédiate pour un cessez-le-feu et éviter un chaos tragique dans les Territoires palestiniens occupés. Malheureusement, en face du ministre tunisien, les Etats-Unis, la Grande- Bretagne et la France sont des alliés sûrs d’Israël, comme l’attestent les arrivées de leurs leaders à Tel-Aviv, alors que la Russie est occupée à sa guerre en Ukraine et la Chine n’a jamais été très impliquée dans la question palestinienne.
La sympathie russo-chinoise à la cause palestinienne s’est limitée à un veto contre la résolution américaine faisant la part belle à Israël au Conseil de sécurité de l’ONU. La position française s’est caractérisée, cette fois-ci, par une sympathie outrancière avec Israël à l’opposé des anciennes positions plus équilibrées, basées sur la solution des deux Etats. Les jeunes Tunisiens ont été pris à contre-pied par cette volte-face française.
Susceptibilité
Ces manifestations anti-françaises sont quasiment nouvelles en Tunisie. La France et la langue française se sont ancrées en Tunisie depuis longtemps. Le sentiment anti-français n’a vu le jour que ces deux dernières années en Tunisie, spécialement chez les jeunes, en raison des multiples rejets abusifs de demandes d’obtention de visas. Cela vaut également pour des jeunes qui ont pourtant suivi le parcours d’études Campus France. Beaucoup de médecins spécialistes n’arrivent pas à décrocher leur visa, alors qu’ils sont invités à des journées médicales en France.
Ces incidents à répétition ont créé des susceptibilités. Ce ressentiment a été renforcé considérablement par les propos du président Macron. «Il est important que l’Occident, spécialement la France, comprenne que la majorité des Tunisiens ne font pas de différenciation entre les factions palestiniennes, Hamas, Fath, FPLP, Jihad ou autres. Il s’agit de la résistance palestinienne, de ‘Moujahdine’ défendant leur patrie.
D’où ces manifestations», explique Mofdi, un manifestant. Les foules tunisiennes, arabes et internationales n’ont finalement que leurs voix pour aider les Palestiniens à faire face aux crimes de guerre sionistes, soutenus par le monde occidental. Et, même si le président Saïed a exprimé sa colère contre ce qui se passe à Ghaza. Même chose pour le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui s’est lui aussi montré outré par ce qui se passe à Ghaza. Pareils propos n’ont pas d’impact suffisant permettant de contrebalancer les puissances internationales favorables à Israël. Les crimes d’Israël seraient peut-être condamnés à travers une motion de l’Assemblée générale de l’ONU, mais cela n’aurait aucun aspect exécutif.
En face, les Etats-Unis ont déployé deux porte-avions sur la rive droite de la Méditerranée et mis en alerte deux mille soldats pour soutenir Israël et dissuader d’éventuelles réactions de l’Iran. La cause palestinienne a, semble-t-il, besoin d’un nouvel ordre mondial pour trouver une issue tenant compte des intérêts des Palestiniens.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami
La bourde de l’ambassadeur d’Allemagne en Tunisie
Les écarts de langage, portant préjudice aux Palestiniens, se multiplient dans le monde diplomatique occidental. Ainsi, lors de l’inauguration le 26 octobre d’un collège secondaire à Mhamdia, dans les environs de Tunis, l’ambassadeur d’Allemagne a pris la parole pour dire, entre autres, que «les Israéliens sont victimes du terrorisme palestinien». Le ministre tunisien de l’Education, Mohamed Ali Boughdiri, présent sur place, a recadré le diplomate en rappelant la position tunisienne, à savoir que «ce ne sont pas les Arabes qui sont derrière l’Holocauste». Il a ainsi fallu exfiltrer l’ambassadeur pour éviter d’éventuelles réactions à son encontre ainsi que des précisions de l’ambassade. Drôle de propos dans un espace d’éducation.