Pour la première fois à l’échelle nationale, le thème des cancers professionnels est abordé d’une manière plus pragmatique par la direction de la Caisse nationale des assurances sociales des travailleurs salariés (CNAS).
C’est dans ce contexte qu’une rencontre régionale a été organisée, hier, à l’hôtel Novotel de Constantine, par la direction générale de la CNAS, réunissant tous les partenaires concernés, notamment les directions régionales de la CNAS, celles de l’emploi, les inspections et les médecins du travail et surtout les associations des entrepreneurs et les regroupements d’employeurs toutes activités confondues. Le thème choisi, celui de l’identification de ces cancers, représente une problématique pour la CNAS.
«L’identification des cancers professionnels est un sujet très important, compliqué, complexe et peu étudié chez nous, surtout dans le milieu de la cancérologie. En réalité, sur le plan du pourcentage, on ne sait pas exactement la part des cancers d’origine professionnelle parmi l’ensemble des cancers, mais on sait que des dizaines de milliers de travailleurs respirent, touchent, utilisent un certain nombre de produits qui peuvent entraîner chez eux un cancer», a affirmé dans son intervention Pr M. Nasri, du service de médecine du travail au CHU de Constantine.
Pour les spécialistes concernés par la lutte contre le cancer, dans le cadre du plan national quinquennal 2015-2029 puis 2020-2024, un intérêt particulier devra être donné aux cancers d’origine professionnelle pour dresser un état des lieux et assurer une meilleure prise en charge des travailleurs exposés aux risques de ces cancers, que rien ne différencie des autres, puisqu’ils se développent de la même manière. En Algérie, les chiffres disponibles ne sont pas actualisés, faute d’études sérieuses.
Des estimations anciennes donnent un taux de 10,2% de travailleurs exposés à un ou plusieurs facteurs de risque. Le problème du diagnostic du cancer d’origine professionnelle se pose aussi pour les travailleurs qui aspirent à bénéficier de leurs droits à la couverture des frais de soins. «S’agissant d’une affection multifactorielle, qui met également en jeu des facteurs environnementaux ou personnels, il est difficile d’évaluer avec précision la part attribuable aux facteurs professionnels.
Toutefois, on estime que chez les hommes, cette origine professionnelle est de 85% dans les cancers de la plèvre, 10 à 20% des cancers du poumon, et 7 à 40% des cancers ORL», a ajouté Pr Nasri. Ce dernier a précisé que l’origine professionnelle des cancers en Algérie est largement sous-diagnostiquée et par conséquent sous-déclarée. «Il serait judicieux de répertorier sur les registres du cancer l’origine professionnelle parmi les facteurs de risque, avec l’élaboration de travaux de recherche afin d’établir des statistiques fiables de la pathologie cancéreuse professionnelle en Algérie», a-t-il conclu.
Cette initiative s’inscrit dans un plan d’action tracé par la CNAS pour cibler en premier lieu les employeurs et les ouvriers, principaux concernés par ces risques qui n’épargnent la santé de personne, notamment avec la modernisation et le développement économique qui ont conduit à l’usage d’un nombre très important de produits cancérigènes, ou qui peuvent l’être.
Des maladies évitables
Ces produits sont chimiques, biologiques ou autres. Si la législation algérienne en matière de protection des risques professionnels, de sécurité et de santé au travail compte un arsenal important, son application sur le terrain rencontre encore des écueils liés essentiellement à l’absence de la culture de prévention chez les employeurs et les ouvriers. Leur inconscience amène souvent à des conséquences graves qui ne feront leur apparition que 10, 20 ou 40 ans plus tard. Dans ce volet, les cas diagnostiqués de cancer s’avèreront beaucoup plus compliqués.
«Durant les années 2022-2023, nous avons effectué 3479 contrôles de prévention dans des entreprises tous secteurs confondus, alors que 21 308 recommandations en matière d’hygiène de sécurité et de médecine de travail ont été notifiées aux employeurs suite aux manquements relevés», a déclaré M. Matari, directeur de la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles à la CNAS.
Le non-respect des conditions d’hygiène et de port des équipements de protection lors des interventions et de la manipulation des produits dangereux et toxiques est flagrant. Les actions de sensibilisation menées durant la même période dans 1040 entreprises ayant ciblé 14 833 travailleurs font partie d’un programme pré-établi par la CNAS.
«L’employeur est tenu d’appliquer la réglementation comme il est tenu d’obliger ses employés au respect strict des normes de sécurité et d’hygiène sous peine de sanction», a ajouté l’intervenant. Pour M. Matari, les cancers professionnels demeurent sous-déclarés.
Avec 216 cas seulement recensés en 2022, le chiffre est loin de la réalité. Le même responsable conclut son intervention en insistant sur le fait que la lutte contre les cancers professionnels passe avant tout par la protection et la prévention, car il s’agit de pathologies qui sont évitables. Tout est un problème de conscience.