La chronique littéraire / Transmettre, faire connaître

30/03/2024 mis à jour: 01:30
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Une des fonctions de la littérature est de donner à lire, non seulement des expériences mais aussi des états de société. Cette fonction peut faire de la littérature un moyen de transmission intergénérationnelle et de cohésion sociale, sans rien nier des contradictions ou des oppositions qui peuvent traverser les sociétés.
 

Les profondes mutations que peuvent connaître les sociétés, la notre y compris, du fait de l’histoire, celle-ci faite de ruptures, de fractures aussi, ou plus simplement d’évolution et de transformations à plus ou moins long terme. La société algérienne a connu de nombreux bouleversements, en ne s’en tenant qu’aux périodes post-indépendance, force est de constater de profonds changements qui semblent s’être accélérés ces dernières années, certainement sous l’influence du développement des médias, de la transformation du mode de vie et des mentalités, d’une part, et d’autre part, avec, semble-t-il, l’arrivée à terme de processus de maturation, relevant de la psychologie sociale, issu, respectivement, des années 90 et des années 2000.

 Force est de constater  aujourd’hui que de nombreuses personnes soulignent les différences qu’il y a entre notre mode de vie passé et les valeurs qui le sous-tendaient et celui ayant désormais cours de manière générale. Au-delà de la nostalgie, que l’homme est naturellement enclin à entretenir, vis-à-vis de son passé et qu’on peut résumer par la formule galvaudée «c’était mieux avant», nous sommes enclins à croire, au vu des comportements, attitudes, positions et discours, qu’effectivement une mue sociale s’est opérée, dénoncée par les uns mais considérée comme normale et naturelle par les autres. Or, il apparaît souvent que le manque de dialogue et une certaine indifférence, inter-générationnel d’abord, général ensuite, serait à l’origine des grandes différences constatées.

 A l’inverse d’une certaine continuité générationnelle conduite depuis longtemps avec comme figure centrale celle du père, qui a prévalu, justement, jusqu’aux années 90, des ruptures générationnelles ont eu lieu par la suite. Ces ruptures déboucheront sur l’expression-position dévalorisante de «périmé» à l’intention de la figure précitée et, plus généralement, à l’encontre de la vision du monde des générations précédentes, considérée comme dépassée. 

Dans ce cadre, la littérature, comme d’ailleurs le cinéma, constituerait un excellent moyen pour organiser et favoriser ces fameuses passerelles générationnelles qui, au travers des œuvres romanesques notamment, encourageraient la transmission des acquis, idées et expériences des précédentes générations, dans un cadre propice, celui de l’imaginaire et de l’implication du lecteur, à même de faciliter l’adhésion aux valeurs positives recelées par le passé ou tout au moins la connaissance de celles-ci et donc leur appréciation. La méconnaissance, comme l’ignorance, est souvent à l’origine de ce que nous pourrions minorer ou même mépriser  et la littérature s’avère être un des outils les plus efficaces, par son pouvoir de signification et sa portée didactique, pour lutter contre l’oubli, le déni, les lacunes, le révisionnisme, les clichée et les poncifs qui font le terreau du discrédit gratuit du passé, mais aussi pour valoriser et valider les expériences, à travers leur «sublimation» littéraire en vue de leur transmission et leur pérennité. 

Un partage d’expériences et de visions donc à travers la littérature qui promeut l’inclusion et la cohésion, pour ceux, bien sûr, qui y accèdent ou y sont enclins. Tant, finalement, tout est question de choix. Le roman, s’il n’est pas seul à s’inscrire dans cette perspective, aux cotés des récits autobiographiques, des mémoires et des essais, propose néanmoins une voie privilégiée de transmission d’expériences complexes, car multiformes, qu’on peut retrouver synthétisées sous forme de récit de faits imaginaires et plus largement de vision du monde. L’existence de ces œuvres repères permet de se rendre compte des réalités parfois mieux, plus profondément, plus humainement et plus intimement que la relation historique, à travers un vécu transformé, sublimé peut-être mais jamais traître ou mensonger. C’est le cas, dans ce contexte, des œuvres de Tahar Djaout qui s’avèrent parmi les plus riches témoignages sur un état de société et des modes de pensée, dont les résultats sont aujourd’hui observables et avérés. 

De même Rachid Mimouni, dans Le fleuve détourné ou Tahar Ouettar dans El Zilzel, témoignent aussi, à leur manière, d’états de société changeants, souvent bien loin d’être idéaux, traversés d’antagonismes, mais aussi de résistances, qui demeurent tout à fait utiles à connaître, pour aujourd’hui et à transmettre, pour demain. Car il ne s’agit pas, seulement, de donner à lire une société de référence, mais aussi, par opposition, à pointer les tares, travers et insuffisances que nous avons eus à connaître, malgré tout ce que nous pouvons idéaliser dans le passé par contraste avec le présent. En même temps, les luttes pour la défense des valeurs pérennes de notre société se révèlent dans les œuvres littéraires en la dénonciation, par celles-ci, des manquements et  des détournements. 

Ces valeurs et ces luttes s’avéreront, en revanche, un modèle et un repère pour la transmission intergénérationnelle, la cohésion et la résilience sociale. Le pouvoir démiurgique du roman, s’abreuvant à la mémoire collective, peut ainsi constituer, pour le lecteur,  une sorte d’antidote pour conjurer la répétition des pages les plus sombres et réfléchir sur sa propre société, en ayant, d’abord, une vision plus large et plus exhaustive mais aussi plurielle, puisque la littérature peut donner à lire plusieurs points de vue et se prêter à plusieurs voix. Une pluralité qui induit la compréhension et l’acceptation de ceux qui ne sont pas d’accord avec nous dans le respect mutuel qui sied aux sociétés qui regardent de l’avant parce qu’elles ont pu mieux voir le passé. Pour ce faire  la littérature saura être, pour ceux qui le veulent, cela va de soi, un guide précieux avenant et visionnaire pour transmettre, faire connaître et, peut-être, convaincre.

Par Ahmed Benzelikha

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