Tôt le matin, j’ai parcouru les rues de la grande ville, les magasins étaient fermés et les gens pressés sous la pluie. Puis, trouvant une boutique d’artisan torréfacteur, qui servait du café préparé, je m’y suis arrêté pour en prendre une tasse.
C’était, sans doute, le meilleur café que j’ai dû déguster depuis longtemps. J’ai repris mon chemin, entre-temps, les commerces avaient ouvert, la pluie s’était arrêtée de tomber, et il m’a semblé que les passants étaient moins hâtifs et plus souriants, et je ne sais pourquoi, j’ai eu à l’esprit Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.
Peut-être à cause du message d’espérance, teinté de réalisme, malgré la portée allégorique de l’œuvre, que je n’ai jamais cessé de trouver, dans ce récit qu’on peut assimiler au conte philosophique. Car ce qui se ferme peut s’ouvrir, ne dit-on pas, qu’après la pluie vient le beau temps ? Et qu’aux mines renfrognées, peuvent succéder les sourires radieux ? Alors repousse (le mal) avec le bien et que l’animosité devienne amitié.
Le Petit Prince est certainement une grande leçon de vie et qu’est-ce que vivre, sinon espérer ? Le Petit Prince, porteur d’humanité, de curiosité et de possibilités d’un monde autre, nous invite à redevenir les enfants que nous avons été et à devenir les hommes que nous devrions être, c'est-à-dire, humains, ouverts et clairvoyants. Au moment où nous sommes travaillés par de fausses évidences, semant la haine et la division et reléguant la littérature, l’humanisme, la fraternité et l’intelligence au rang de puérilités, le rappel des valeurs rattachées au bien que partage toute la progéniture d’Adam et Eve à laquelle s’adresse, sans distinction, le message divin. En ces moments où l’empressement est vers la ruse, l’étroitesse d’esprit, la condamnation des autres et l’accumulation des biens, ne faut-il pas souligner que l’empressement prescrit est celui des belles actions ? Et c’est ce à quoi nous appelle Le Petit Prince, qui souligne qu’on ne voit bien qu’avec le cœur.
Récit initiatique par excellence, le livre de Saint-Exupéry, s’organise autour de stations, mettant en scène la rencontre par le Petit Prince de divers personnages, comme autant d’archétypes représentatifs de la vie moderne, où l’échange de propos donne à lire, non seulement une description des aliénations du monde, mais aussi une morale par la bouche innocente de l’enfant.
Le lecteur, transporté dans un monde merveilleux, où l’on va de planète en planète, partageant l’amour déçu du Petit Prince pour une rose, à nulle autre pareille, se trouve charmé par la dimension poétique et imaginaire des épisodes décrits, tout empreints de sensibilité et de délicatesse, sans que cela nuise à la compréhension de la portée d’éveilleur de conscience de l’œuvre elle-même.
Mais la plus grande leçon du Petit Prince est d’avoir (re)placé le cœur au centre du questionnement sur l’homme, dans le sens à donner à son existence et dans son rapport aux autres. Et si le cœur est sain, tout est sain ! C’est pourquoi, la lecture de cet ouvrage, traduit en des centaines de parlers, y compris en daridja algérienne, détenant d’ailleurs le record de la fiction littéraire la plus traduite dans le monde avec 600 langues, est une aubaine en ces temps de scellement des cœurs, des ouïes et des regards.
En effet, le message d’humanisme, d’ouverture et de compréhension de ce livre peut servir d’antidote à la montée des périls extrémistes, que nous observons ces dernières années, à la faveur d’une mondialisation centrée sur les progrès technologiques et peu regardante au plan des valeurs et des principes.
Le Petit Prince est ainsi bien dans son rôle, lui qui a su toucher différentes générations, sociétés et cultures depuis sa parution en 1943, contribuant à promouvoir, ne serait-ce qu’en leur rappelant les notions de bienveillance et de dialogue, qui, seules, construisent la paix entre les hommes et les nations. Nous savons combien il est difficile, aujourd’hui, de parler de paix, au moment où les tocsins sonnent la guerre et alors que les quatre cavaliers harnachent leurs chevaux, mais peut-on s’affranchir de nos convictions et ne pas commander le bien et déconseiller le déni ? Les pérégrinations du Petit Prince représentent aussi le cheminement d’une vie, où on a tout à apprendre et tout à faire, il s’agit alors, pour chacun, de faire de son mieux.
Or, faire de son mieux, comme Le Petit Prince, ce n’est pas être naïf, comme on pourrait faussement le croire, induits en erreur par ces raccourcis que les adversaires de la bonté promeuvent, mais, bien au contraire, lucide et clairvoyant, tout en étant bienveillant. Il s’agit de cultiver en nous cet esprit curieux et ouvert, qui fera que, comme le Petit Prince à la fin de l’histoire, «(nous aurions) l'air d'être morts et ce ne sera pas vrai».
Car nous aurions contribué, dès lors, à faire de cet esprit un élément intemporel et pérenne.
C’est cette curiosité et cette ouverture d’esprit, qui, en fait, avec la confiance, construisent l’espérance d’un monde, où les rois et les empires ne verraient pas en chacun un sujet. Où les businessmans ne seraient pas propriétaires des étoiles et donc de nos rêves – n’est)ce pas SpaceX ?- Où les masses d’allumeurs de réverbères ne seraient pas aliénées. Où les vaniteux ne seraient plus des modèles à suivre sur Tik-Tok et dans la vie quotidienne. Où les ivrognes comprendraient que casser un thermomètre ne fait pas baisser une fièvre. Où les géographes et autres experts seraient bien avisés d’expérimenter le monde, qu’ils entendent régenter en conseillant les rois. Où les Marchands sauraient que l’économie ne peut être qu’éthique.
Et où, enfin, les aiguilleurs, par leurs écrits, leurs idées et leurs réflexions, aiguillent le monde vers le meilleur et non vers le pire. Alors, «s'il vous plaît... dessine-moi un monde meilleur !».
Par Ahmed Benzelikha , linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste