L’avenir se construit au présent, en fidélité au passé, la littérature y contribue grandement, car elle demeure un formidable vecteur de transmission, de novation et d’éthique. C’est en effet ce triptyque qui fonde une vision prospective du futur.
Un futur que la littérature laisse à voir, sinon à deviner, tant les jeunes et nouveaux romanciers d’aujourd’hui seront les classiques de demain. Source d’inspiration et modèles de ce qu’ils auront su écrire, décrire et faire (re)vivre, leurs œuvres démontreront la pérennité de nos valeurs et donneront du sens aux actions à venir en se faisant le reflet ou pas de ce que fut le passé.
Un passé dont ils sauront tirer et souligner l’essentiel, c’est-à-dire ce qui est, à défaut d’être éternel, intemporel, valable hier, aujourd’hui et demain, la bravoure des braves, l’intelligence des justes et la conviction des croyants, doublées de l’effort et de la patience. Autant de principes que la littérature peut illustrer et défendre.
Car le monde de demain, fruit d’Internet et de l’intelligence artificielle, aura, plus que jamais, besoin d’éthique et d’humanité. Une humanité défendue d’abord par la parole, par l’expression, par ce qui est manifesté et proclamé, par un texte qui, exceptionnellement, peut être fondateur, pour ceux qui l’ont écrit d’abord, puis pour toute une nation, dont il est l’émanation, puis pour toutes les générations à venir qui auront à s’en inspirer et à en saisir la quintessence, notamment au travers de la littérature. La littérature devra alors aller à l’essentiel, aux valeurs défendues par ce même texte, qu’elle défendra, à son tour, de mille et une manières, avec mille et une œuvres, toutes différentes et diverses, mais toutes car issues du même creuset.
Un creuset d’éthique et d’humanité, à partir duquel nous avons pris la parole, en argument décisif et qui fonde et fondera notre position de locuteur algérien. Un creuset algérien mais dont les valeurs sont et demeureront universelles. L’universalité n’exclue pas la novation et au contraire de ce que pourraient penser les technicistes, celle-ci n’est point de la technologie la chasse gardée, bien au contraire, c’est le sens éthique et l’engagement portés, principalement, par les œuvres de l’esprit, dont la littérature fait partie, qui confère à la novation sa valeur de progrès véritable et sa portée humaine. Une novation dont notre littérature féconde, à voir, par exemple, le nombre de nouveaux romans enregistrés pour cette rentrée littéraire, coïncidant avec un Salon international du livre d’Alger, opportunément placé sous les auspices du 1er Novembre.
Qu’écrire donc pour célébrer cette date chère à nos cœurs d’Algériens, sans artifices ni ton emprunté, sans masque ni stéréotypes, qu’écrire pour nous réunir tous, dans la même communion, le même élan et la même sincérité. De quelle spontanéité se réclamer, pour enfin faire dire aux mots ce que diraient tous ces morts, tombés en martyrs, durant cette terrible guerre, qui nous a arrachés à la colonisation et à notre effroyable condition de colonisés ? Ces mots, c’est à la littérature de les dire, en les revivifiant, en fait en nous revivifiant, car ces mots n’ont eu de cesse de vivre, comme leurs auteurs martyrs connus ou inconnus tombés anonymes ou qui, jusqu’à ce jour, n’ont pas de sépulture, hormis celle, parfaite, qu’offre Dieu en Son Paradis. Ces mots, dont la littérature a le dépôt, serviront certes la mémoire mais surtout l’avenir.
D’aucuns, qui, eux, exaltent toujours leur mémoire, à travers notamment la littérature, veulent dénier aux autres de cultiver la leur. La mémoire mondialisée est ainsi devenue celle du plus fort, de Netflix aux écrivains, du cinéma à la littérature, nous nous engouffrons dans un monde nouveau, où, comme dans Usual suspect, tout est relaté par celui que nous croyons innocent, pour nous convaincre de la manière de voir (et de ne pas voir) le monde, la sienne, la meilleure, bien sûr, pour construire l’avenir. La littérature participe de l’universel, un universel qui ne saurait être biaisé par les discours dominants, y compris littéraires, qui cherchent à infantiliser l’autre ou à en ridiculiser les thèses. Les uns vous trouveront exalté, d’autres passéistes, enfin, arme pseudo ultime dans la bouche ou le texte de vos détracteurs, vous serez étiquetés «wokiste».
Pourtant, que vous teniez le même discours, mais en vous plaçant du bon côté de la barrière, vous serez porté au pinacle et verrez votre «courage» vanté et votre «franc-parler» encensé, tout en soulignant, toutefois, que vous faites toujours partie des «autres», j’allais écrire, des «barbares».
Car pour nous en tenir à un pays où cette approche fait flores, si Jean Moulin est digne de mémoire et c’est un écrivain, André Malraux, qui a écrit le discours du transfert de ses cendres au Panthéon, Larbi Ben M’hidi, aux yeux de ceux-là, ne saurait être, pour notre jeunesse, le visage de l’Algérie. Mais l’Algérie qui connaît son passé, sait et saura, en sa jeunesse, reconnaître les siens, aujourd’hui et demain, tous ces talents littéraires juvéniles sont autant de Ben M’hidi, à leur manière, à leur style, dans chacune de leur langue d’écriture, dans leur diversité et celles de leurs opinions.
Le champ littéraire, que certains veulent transformer en champ de bataille, en utilisant la littérature comme une lance roquette, est celui du dialogue et de l’édification d’un monde plus libre et plus juste pour tous, celui de la novation et de l’éthique, celui de l’ouverture, des valeurs et des vraies idées, pas des clichés, de la standardisation et d’une nouvelle forme d’asservissement. La littérature algérienne s’inscrit dans cette vision généreuse des hommes libres, des hommes du 1er Novembre.
Par Ahmed Benzelikha