La chronique littéraire / Bonne année !

04/01/2025 mis à jour: 18:47
464

On affirme que la coutume des étrennes et ces cadeaux accompagnant les vœux du Nouvel an remontent à fort loin, au moins aux Romains qui avaient l’habitude d’offrir, et d’abord aux puissants, un brin de verveine qui, rapidement, fut remplacé par du miel, et enfin, pragmatisme oblige, par de l’argent en bonne et due forme.

L’Antiquité révolue, la tradition s’est conservée par d’autres croyances et s’est démocratisée et personnalisée pour se faire le témoignage, par une attention, de l’estime et ou de l’affection. Former des vœux de bonne année, eux-mêmes formant un présent, est devenu une tradition universelle de partage, de sympathie et de respect. C’est dans cet esprit, qu’aux lectrices et aux lecteurs, nous voudrions aussi, au travers de ces lignes, offrir un poème à même de s’inscrire dans l’air du temps et dans la littérature, valant estime et considération. La poésie offre un florilège de pensées qui, par sa puissance évocatrice, répond à l’esprit des vœux et à la lettre de la littérature. 

Les vers ressemblent aux jours qui se suivent et les rimes aux mystérieuses combinaisons qui font l’heureuse fortune, tandis que les thématiques reprennent en écho la vie et ses chatoyants répertoires. Bien sûr, les esprits étroits s’en tiendront toujours à leur petitesse, malheureux de ne pouvoir faire «la magique étude du bonheur que nul n’élude», cherchant vainement à déchiffrer en la beauté, inaccessible pour eux, le reflet de leur laideur, convaincus que nul ne saurait ne pas leur ressembler. 

C’est pourquoi il est un poème, en offrande aux jeunes générations, qui parait d’à propos, en ces jours premiers de l’année. Ecrit il y a plus d’un siècle, en 1895 et publié en 1910, ce poème nous rappelle aux valeurs qui doivent guider une vie, car pauvres ou riches, faibles ou puissants, les hommes ne sont rien sans les valeurs qu’ils portent ; tout au plus, seraient-ils, un repoussoir ou un obstacle, pour déterminer les positions des uns et des autres et conforter la justesse de Joseph, en proie à l’accusation, car «le faux est toujours voué à la disparition», n’en déplaise aux illusionnistes. Ecrit en anglais, le poème, porté par l’universalité des idées qu’il développe, prouve, encore une fois et si besoin en était, la communauté d’âme de toute l’humanité soulignée, par ailleurs, par notre tradition religieuse. 

Le texte lyrique mais réaliste pose, en trente-deux vers, dans sa version française, les conditions d’élévation de l’homme, en s’adressant à un jeune garçon, celui-ci, donc, en cet âge abrahamique de détruire les idoles par usurpation érigées. Exhortation à l’abnégation et à la volonté, le poème commence par poser l’objet même de l’existence : construire, élever et bâtir, en le liant, de prime abord, au danger qu’encourt toute édification, celui d’une subite destruction. 

Danger qui ne doit nullement nous décourager ou nous détourner de nos objectifs, tant nos, pourtant frêles, poitrines sont porteuses de ce vaillant palpitement, qui commande aux grandes œuvres. Ode à la mesure et à la retenue, le poème s’en va ensuite nous entretenir du sentiment qui, jamais ne doit nous aveugler, nous enseignant la tempérance sans la sécheresse et la réaction sans l’outrance. Fin connaisseur de la nature humaine et de ses travers, le texte nous renseigne sur la perversion de celle-ci et nous commande de ne point nous abaisser à de telles extrémités dussions-nous en être les victimes, car ça serait nous rabaisser à ressembler à nos adversaires. 

Tout aussi connaisseur des sociétés, dont Ibn Khaldoun a toujours souligné la subordination aux relations humaines et aux forces qui les régissent, le poème préconise la dignité, la modestie, la bonne entente et l’équité, autant de points de force tant pour l’individu que, par conséquent, pour la communauté à laquelle il appartient et à laquelle la fidélité est de mise. Notre poème n’est pas en reste, quand il s’agit, aussi, de s’intéresser aux questions de l’esprit, où la méditation, l’observation et la connaissance, comme autant de voies de réflexion, ne doivent jamais nous conduire à oublier que «science sans conscience n’est que ruine de l’âme».

 Et en ce siècle de transhumanisme et d’éthique de l’intelligence artificielle, les vers concernés résonnent singulièrement justes, malgré le temps écoulé. Avant que de se terminer, le poème revient sur le sentiment, ce propre de l’homme avec l’intelligence, en s’intéressant au comportement qu’il soumet à la retenue, à la pondération et à l’humilité, dont nous espérons avoir fait preuve en vous présentant ce texte, qui, à nous aussi s’adresse. Tout à la fin, le poème, réservant sa chute, affiche les deux «menteurs» de l’existence : le triomphe et la défaite, avers et revers d’une même pièce de monnaie, auxquels nous devons réserver le même accueil empreint de sagesse et de lucidité.

 Pour, enfin, en arriver à conclure, qu’au terme de tant d’épreuves, si nous aurons soumis toutes ces choses, qu’on croit grandes et qu’on nomme rois, dieux, chance, victoire, fortune et gloire, nous aurons surtout atteint ce qui les dépasse : être des hommes et des femmes dignes de ce nom, c’est-à-dire porteurs de valeurs, car rien ne saurait être bâti en dehors de celles-ci. 

Le poème est, bien sûr, If de Rudyard Kipling, librement traduit en français sous le titre d’«Etre un homme», puissions-nous le lire ou le relire encore, avec les yeux des jeunes garçons ou des jeunes filles que nous avons été. Bonne année à toutes et à tous ! 

Par Ahmed Benzelikha

Copyright 2025 . All Rights Reserved.