La bataille pour les ressources minières : L’autre guerre d’Ukraine

02/03/2025 mis à jour: 02:54
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Le pays regorge de métaux, notamment du lithium, du titane, du graphite et du manganèse, tous essentiels à l’industrie militaire et à la transition énergétique

L’administration Trump espérait sceller un accord historique avec Kiev afin d’octroyer aux entreprises américaines un accès privilégié aux ressources minières ukrainiennes. En contrepartie, Washington comptait compenser les 120 milliards de dollars d’aide militaire et financière versés à l’Ukraine depuis le début du conflit avec la Russie. 

Mais cette ambition s’est heurtée à une réalité bien plus complexe. Aucune signature n’a été apposée sur le document censé sceller la coopération entre les deux pays. Une altercation violente entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky a précipité le départ du président ukrainien, compromettant l’issue de la négociation.

Les ambitions de Washington se heurtaient déjà à des interrogations majeures quant aux réserves réelles du sous-sol ukrainien. Si l’Ukraine possède effectivement des ressources minérales variées et stratégiques, leur exploitation soulève de nombreuses incertitudes. Le pays regorge de métaux, notamment du lithium, du titane, du graphite et du manganèse, tous essentiels à l’industrie militaire et à la transition énergétique. 

La  Commission européenne a décrit l’Ukraine comme «une source potentielle de plus de 20 matières premières critiques». 

Les terres rares, en revanche, sont, selon les spécialistes, loin d’être abondantes. Les évaluations des réserves de terres rares en Ukraine datent de l’époque soviétique, et aucune étude moderne approfondie n’est venue les confirmer. «Malheureusement, il n’existe pas d’évaluation moderne des réserves de terres rares en Ukraine», souligne Roman Opimakh, ancien directeur du Service géologique ukrainien dans Commodity Insights. La Russie, ayant accès à ces anciennes données, pourrait en outre posséder un avantage stratégique. 

Les doutes ne portent pas seulement sur la présence des ressources, mais aussi sur leur exploitation effective. L’Ukraine, aujourd’hui classée 40e producteur mondial de minerais, n’a jamais développé d’industrie minéraire spécialisée dans les terres rares. Son industrie minière a historiquement privilégié le fer, le charbon et le titane. «Même si l’Ukraine possède une variété de gisements minéraux, elle n’est pas riche en sites de terres rares viables», note Ellie Saklatvala, analyste chez Argus.

Les conditions d’exploitation sont, de surcroît, loin d’être idéales. La guerre a détruit la moitié des infrastructures énergétiques ukrainiennes, alors que l’extraction et le raffinage des minerais requièrent une quantité d’énergie massive et bon marché. Selon des chercheuses du CSIS (Center for Strategic and International Studies), «l’Ukraine se retrouve avec à peine un tiers de sa capacité énergétique d’avant le conflit», rendant le coût d’exploitation prohibitif. L’exploitation des terres rares ukrainiennes exigerait des investissements massifs et une stabilisation du contexte géopolitique. 

Actuellement, près de la moitié des gisements de terres rares ukrainiens se trouve en territoire occupé par la Russie. Moscou, tout en refusant de restituer ces zones, se dit favorable à des investissements étrangers, y compris américains, dans les territoires sous son contrôle.

L’exploitation minière est une industrie à très long terme, capitalistique et risquée. Selon le CSIS, il faut en moyenne 18 ans pour développer une mine et un investissement initial de 500 millions à 1 milliard de dollars. 

En Ukraine, le seul projet de mine de terres rares à Novopoltavske nécessiterait 300 millions de dollars. Un investissement risqué en pleine guerre, alors que les gisements ukrainiens se situent majoritairement à l’est du pays, en zone de combats. 

L’Ukraine produit actuellement trois minerais critiques : le manganèse (8e producteur mondial), le titane (11e) et le graphite (14e). Le titane, dont l’Ukraine possède environ 7% des réserves mondiales, se trouve principalement dans l’oblast de Jytomyr, à l’ouest de Kiev, ainsi que dans des zones proches de la ligne de front. 

Quant au graphite, il représente environ 20% des ressources mondiales estimées, situées principalement dans l’ouest et le centre du pays.Le lithium, essentiel aux batteries électriques, constitue une autre ressource intéressante. L’Ukraine affirme détenir l’une des plus vastes réserves de lithium en Europe, mais son extraction reste inexistante. Plusieurs gisements sont situés dans des zones sous contrôle russe ou près de la ligne de front, compliquant toute exploitation. 

Les calculs américains sur la valeur des réserves ukrainiennes semblent par ailleurs excessivement optimistes. Donald Trump espérait extraire pour 500 milliards de dollars de ressources minières ukrainiennes. Or, selon Javier Blas, analyste chez Bloomberg, «même si l’Ukraine produisait 20% des terres rares mondiales, cela ne rapporterait que 3 milliards de dollars par an. Il faudrait plus de 150 ans pour atteindre le chiffre évoqué par Trump. Absurde». 

Derrière cet accord avorté se cache une stratégie plus large de Washington pour contrer la mainmise chinoise sur les terres rares. La Chine contrôle actuellement 70% de la production et 90% du raffinage mondial de ces minerais stratégiques. 

La dépendance des Etats-Unis est quasi totale, malgré la relance de la mine de Mountain Pass en Californie. 

Depuis des décennies, Pékin a su imposer sa domination, Deng Xiaoping annonçant dès 1987 : «Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares.» 

En inondant le marché de minerais à bas coût, elle a cassé toute concurrence et rendu difficile la rentabilité de nouveaux projets ailleurs. «La domination de la Chine sur la chaîne d’approvisionnement des terres rares a conduit à un échec du marché, ce qui constitue une menace existentielle pour l’industrie manufacturière occidentale», résume Tom O’Leary, PDG de la compagnie australienne Iluka.

 

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