Karim Khan, premier sur la liste des personnes sanctionnées par Donald Trump : Le procureur en chef de la CPI sur la liste noire des Etats-Unis

15/02/2025 mis à jour: 14:37
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Moins d’une semaine après la signature d’un décret portant sur des sanctions économiques et une interdiction d’entrée aux Etats-Unis aux personnes et aux membres de leurs familles, qui «porteraient atteinte aux intérêts des USA et de leurs alliés», le président Donald Trump a inscrit Karim Khan, le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), sur la liste jointe en annexe, comme premier fonctionnaire de la CPI ciblé par les sanctions américaines, en raison de ses enquêtes pour des crimes de guerre et contre l’humanité commis par Israël à Ghaza et de sa décision de demander des mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant. 

Après avoir exprimé son «soutien» à son personnel et sa «volonté à continuer à rendre justice et à redonner espoir à des millions de victimes innocentes d’atrocités à travers le monde, dans toutes les situations dont elle est saisie», la présidente de la CPI a déploré, dans une déclaration rendue publique jeudi dernier, «la décision de l’administration américaine de désigner le procureur en chef de la Cour pour des sanctions et réitéré son engagement à continuer à remplir son mandat judiciaire dans l’intérêt de millions de victimes innocentes d’atrocités». 

Elle a en outre exhorté «les 125 Etats parties, la société civile et toutes les nations du monde à s’unir pour la justice internationale». Signé juste avant la visite de Benyamin Netanyahu aux Etats-Unis, le décret de Trump pourrait viser aussi d’autres fonctionnaires de la CPI et leurs familles, notamment les trois magistrats de la chambre pénale, qui ont émis les mandats d’arrêt contre les dirigeants d’Israël. Il (le décret) a qualifié les enquêtes de la CPI «d’illégitimes et sans fondement, qui ciblent l’Amérique et notre proche allié Israël», à travers les mandats d’arrêt contre Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. «La CPI n’a aucune juridiction sur les Etats-Unis ou Israël», a précisé le décret, qui avait été condamné par la présidente de la CPI, Tomoko Akane, en le qualifiant de tentative «d’interférer dans le travail judiciaire indépendant et impartial». 

A l’exception d’Israël, qui a fermement soutenu les décisions contre la CPI, celles-ci ont néanmoins soulevé un tollé au niveau international, à travers une condamnation unanime. En fait, Trump a réaffirmé les mêmes sanctions qu’il a avait promulguées lors de son premier mandat, à travers une loi dite «Illegitimate Court Counteraction Act», infligées d’ailleurs à deux fonctionnaires de la CPI en 2020, en raison de leurs enquêtes sur des crimes de guerre commis par l’armée américaine en Afghanistan, et annulées par l’administration Biden en 2021. 


Gel des biens et des actifs et interdiction d’entrée aux USA

Dès son investiture, en janvier dernier, Trump a pu faire voter le texte par le Congrès, mais a échoué à le valider par les membres du Sénat. Pour contourner cet échec, il a entériné le texte sous forme de décret, en le faisant passer comme une loi d’urgence, afin d’éviter de recourir à une nouvelle législation. Le décret comporte une déclaration «d’urgence nationale pour faire face à une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis». Il est également indiqué dans ce texte que «les récentes actions de la CPI contre Israël et les Etats-Unis créent un précédent dangereux, mettant directement en danger le personnel actuel et ancien des Etats-Unis, y compris les membres actifs des forces armées, en les exposant au harcèlement, aux abus et à une éventuelle arrestation». Pour Trump, ni les USA ni Israël ne font partie de la CPI, et donc ne relèvent pas de la compétence de cette juridiction basée à La Haye. 

Le décret a évoqué des «conséquences tangibles et importantes» contre le personnel de la CPI, dont «le gel des biens et des actifs et une interdiction d’entrée aux Etats-Unis pour les personnes sanctionnées et leurs familles». 

Cela sous-entend que l’opération de gel des fonds ne vise pas uniquement les fonds déposés dans les banques américaines aux Etats-Unis, mais aussi dans tous les établissements financiers à travers le monde connectés à celles-ci. Cette législation ne nomme pas les personnes à sanctionner, mais prévoit une liste en annexe que les secrétaires d’Etat et du Trésor auront la charge de remplir dans un délai de 60 jours. 

De telles mesures auront des conséquences importantes sur le travail de la CPI, une juridiction ouverte en 2002 qui dispose d’une compétence internationale pour poursuivre les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre dans les Etats membres ou si une situation est déférée par le Conseil de sécurité de l’ONU. 

En vertu d’un accord entre les Nations unies et les USA, le procureur en chef de la CPI est tenu de se rendre régulièrement à New York pour informer le Conseil de sécurité de l’ONU sur les affaires qu’il a renvoyées à la CPI, comme celles de la Libye et dans la région soudanaise du Darfour. Avec les sanctions américaines, Karim Khan ne pourra plus entrer aux Etats-Unis. 

Trois jours avant que le nom de Khan ne soit mentionné en annexe du décret présidentiel américain, la présidente de la CPI, la juge Tomoko Akane, le premier vice-président, le juge Rosario Salvatore Aitala, et le greffier Osvaldo Zavala Giler se sont rendus à Bruxelles, en Belgique, afin de rencontrer des responsables de l’Union européenne (UE) et des représentants des Etats parties. Une réunion a regroupé la délégation de la CPI et le président du Conseil européen, António Costa, la représentante pour les affaires étrangères et politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, Kaja Kallas. Tomoko Akane a exhorté l’UE à «prendre des mesures concrètes et rapides pour protéger la Cour», qui dispose d’un outil de protection, appelé Loi de blocage, qui permet à la Cour de survivre à toute sanction qui pourrait être imposée. Mme Akane a aussi interpellé la représentante de la Pologne à «concentrer les efforts de l’UE pour protéger la CPI, en tant que présidence actuelle du Conseil de l’Union européenne». 

L’UE appelée à appliquer la loi de blocage pour protéger le personnel de la CPI
Profitant de son passage à Bruxelles, elle s’est également adressée au groupe de travail sur le droit international public du Conseil de l’UE et la CPI (COJUR-CPU) pour l’informer «des menaces concrètes auxquelles la Cour est confrontée et de l’impact que ces menaces peuvent avoir sur les opérations de la Cour», avant d’appeler l’Union à prendre des mesures, notamment en adoptant la Loi de blocage. Mme Akane a déclaré que «la Cour et l’Union européenne partagent des valeurs et des idéaux communs : l’Etat de droit et la justice pour les victimes de crimes internationaux». 

C’est pourquoi, dans la décision du Conseil du 21 mars 2011, il a été décidé qu’il était «de la plus haute importance que l’intégrité du Statut de Rome et l’indépendance de la CPI soient préservées». «Mais pour préserver la Cour, vous devez agir maintenant.» 

La Loi de blocage de l’Union européenne est un dispositif réglementaire qui protège les opérateurs économiques de l’Union contre l’application extraterritoriale de lois des pays tiers. Il s’agit du règlement CE n°2271/96, adopté le 22 novembre 1996, connu en anglais sous le nom de «Blocking Statute». Il vise à protéger les ressortissants de l’UE ainsi que «toute personne morale constituée en société» dans l’Union contre les effets d’une décision administrative, judiciaire ou arbitrale fondée sur un règlement de sanctions à portée extraterritoriale. 

L’application extraterritoriale d’une règle peut être définie comme «la situation dans laquelle l’Etat à l’origine de cette règle prétend l’appliquer à une personne ou à une entreprise de nationalité étrangère, pour sanctionner des agissements commis hors du territoire de cet Etat». Pour l’instant, le procureur en chef de la CPI et les membres de sa famille risquent de voir leurs comptes bancaires gelés. La précédente procureure en chef de la juridiction, la Gambienne Fatou Bensouda, avait subi d’énormes pressions de la part de l’administration américaine sous Trump, qui lui a appliqué en septembre 2020 des sanctions économiques, mais aussi de lourdes menaces du Mossad israélien, alors qu’elle était chargée des enquêtes sur les crimes de guerre en Palestine et en Afghanistan. 

«Aujourd’hui, nous passons de la parole aux actes», avait déclaré le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, «car la CPI continue malheureusement de viser des Américains». Le responsable avait annoncé l’inscription sur la liste noire des Etats-Unis de Fatou Bensouda et de Phakiso Mochochoko, directeur de la division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération de la CPI. 

Leurs éventuels avoirs aux Etats-Unis seront gelés et l’accès au système financier américain est supprimé. «Tout individu ou entité qui continuera à assister matériellement ces individus s’expose également à des sanctions. 

Nous ne tolérerons pas les tentatives illégitimes de la CPI pour soumettre les Américains à sa juridiction», avait averti Mike Pompeo . 

La CPI avait réagi en déplorant «une série d’attaques sans précédent» à son encontre et condamné «ces actes coercitifs, dirigés contre une institution judiciaire internationale et ses fonctionnaires, (ils) sont sans précédent et constituent de graves attaques contre la Cour, le système de justice pénale internationale du Statut de Rome et l’Etat de droit en général». 

Des sanctions annulées par le successeur de Trump en 2021, mais à son retour à la Maison-Blanche, Trump a vite déterré sa hache de guerre contre la CPI et il a un mandat de cinq ans pour exécuter ses menaces contre le droit international. 
 

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