Jeudi 10 novembre 1955 à la prison du Coudiat de Constantine : Évasion spectaculaire de Mostefa Ben Boulaïd

10/11/2024 mis à jour: 02:18
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Le chef charismatique de la Révolution dans les Aurès a porté un sérieux coup aux autorités françaises

Jeudi 10 novembre 1955 à 18h30, les sirènes de la prison du Coudiat avaient été déclenchées et leurs bruits avaient retenti dans tout le centre-ville de Constantine. L’établissement, dont la construction remonte à 1850, se trouve à quelques dizaines de mètres de la place de la Pyramide.

 L’information avait déjà fait le tour de la ville comme une traînée de poudre : Mostefa Ben Boulaïd s’est évadé. Ce n’était pas n’importe quel évadé. Il s’agissait de l’un des responsables du FLN, chef de l’insurrection du 1er novembre 1954 dans les Aurès, plus connue par la «Nuit de la Toussaint». 


Le fait avait été qualifié de spectaculaire par la presse française de l’époque, laquelle n’avait pas manqué pas d’évoquer le génie de Mostefa Ben Boulaïd, qui avait réussi une pareille tentative dans l’une des prisons les mieux surveillées et les plus fortifiées d’Algérie. Arrêté au sud de la Tunisie le 11 février 1955, alors qu’il était en mission pour ramener des armes pour les combattants de l’Armée de libération nationale, le chef charismatique de la région des Aurès avait été condamné à la peine capitale en septembre 1955 par le tribunal militaire de Constantine. 


À la prison du Coudiat, il n’avait qu’une seule idée en tête : s’évader. Les détails de cette opération avaient été rapportés par Mohamed Tahar Abidi dit El Hadj Lakhdar, l’un des chefs de la wilaya I historique, tels qu’ils lui avaient été racontés par Ben Boulaïd lui-même. Pour l’histoire, c’est Hadjadj Bachir, le chef du groupe chargé de déclencher les opérations du 1er novembre dans la région d’El Khroub, qui avait suggéré à Ben Boulaïd l’idée de creuser un tunnel au-dessous de la cellule. Après avoir recueilli toutes les informations sur la prison, Si Mostefa s’était  rendu compte que la cellule collective du rez-de-chaussée, où se trouvaient les 30 détenus, tous condamnés à mort, était mitoyenne d’une cellule désaffectée servant de dépôt de matelas, lits et draps.  C’était une sorte de débarras qui s’ouvrait sur une petite cour intérieure. Les deux locaux de la prison se trouvaient du côté de la rue de Généraux Morris (actuelle rue Benlazrag Brahim). Le plan commençait à se dessiner : il suffit de desceller la dalle de ciment et creuser un tunnel pour rejoindre ce débarras. C’est ainsi que les détenus avaient commencé à creuser le sol de la cellule au début du mois d’octobre 1955. Ils opéraient à tour de rôle entre 11h et 14h. Le trou creusé était couvert avec une dalle et les joints camouflés avec du savon. La terre déblayée était vidée dans les toilettes.Un travail de longue haleine qui durera 28 jours. Une fois le tunnel creusé, on se retrouvait dans le débarras qui donnait sur la petite cour. Il ne restait qu’à fabriquer une échelle, en assemblant trois lits, attachés avec des bandelettes de toile découpées des draps.


Onze détenus prennent la fuite

Le jour de l’évasion avait été choisi : le jeudi 10 novembre 1955. Lors du tirage au sort, tous les détenus s’étaient entendus pour que Mostefa Ben Boulaïd soit le premier à sortir.  L’heure avait été fixée juste après 17h. C’était le moment durant lequel les gardiens commençaient à quitter la prison pour rentrer chez eux. Il n’en restait plus que trois gardiens. 


L’un à la porte d’entrée, et deux autres pour effectuer les rondes. Les détenus commençaient à passer dans le tunnel. Dans le débarras, la serrure avait cédé rapidement et la porte s’était ouverte sur la petite cour intérieure. Il n’y avait aucun gardien. Les ballots de crin adossés au mur intérieur avaient servi à le grimper. Une fois sur le mur, ils le traversèrent jusqu’à la partie située en face de l’ex-rue Stephane Gsell (aujourd’hui la station du tramway Benabdelmalek Ramdane). Les évadés s’étaient servis de l’échelle comme passerelle pour franchir la distance entre  le premier mur (intérieur) et le deuxième (extérieur) au-dessus du chemin de ronde les séparant. Au passage du 12e évadé, la passerelle avait lâché. Celui qui passait à ce moment était Saïd Chouki. Il sera trouvé entre les deux murs avec une jambe cassée. Onze détenus avaient réussi à descendre le mur extérieur et prendre la fuite à 17h30. Le premier était Mohamed Laïfa, suivi de Mostefa Ben Boulaïd, Tahar Zbiri, Brahim Taïbi, Mohamed Beziane, Hocine Arif, Hamadi Krouma, Ahmed Bouchemal, Lakhdar Mechri, Slimane Zaïdi et Ali Haftari. Les 19 autres détenus, descendus dans le chemin de ronde se sont trouvés enfermés. Ils regagneront la porte du garage, près de l’entrée de la prison où ils se sont rendus. Ils seront reconduits vers leur cellule. Les recherches déclenchées une heure après pour retrouver les évadés n’en donneront rien.

 Ces derniers étaient déjà loin. Le coup a été très dur pour les autorités françaises. Dans son édition du samedi 12 novembre 1955, La Dépêche de Constantine avait révélé qu’en se rendant à la prison, le préfet de Constantine, Pierre Dupuch, avait été choqué à la vue du trou creusé dans la cellule. Les premières mesures tombèrent. Louis Maudru, directeur de la prison du Coudiat, et Louis Bernardino, surveillant-chef, ont été relevés de leurs fonctions et mis sous mandat de dépôt pour négligence grave dans l’accomplissement de leur service.

 Ils avaient été écroués dans le même établissement. Les sanctions avaient touché Mr Augusti, directeur de la Circonscription pénitentiaire de Constantine, relevé également de ses fonctions. La nouvelle de l’évasion n’avait pas été publiée le lendemain dans la presse sur ordre des autorités «pour ne pas alerter les complices qui auraient pu aider les évadés». La nouvelle ne fut donnée que le samedi 12 novembre 1955. Les 19 autres détenus seront transférés en janvier 1956 vers la prison de la Casbah, où les exécutions à la guillotine furent entamées dès le mois d’août de la même année. 

Selon le témoignage de Mohamed Beziane, l’un des évadés, décédé en 2023, Ben Boulaïd avait pris le soin de laisser une lettre à l’administration de la prison où il avait écrit : «Nous aurions pu tuer les gardiens de la prison pour nous évader ; nous étions plus nombreux, mais nous ne l’avions pas fait, car nous ne sommes pas des criminels».  
 

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