Jacques Cavanna. Avocat franco-algérien pied-noir algérois : «L’extrémisme est un concentré de haine et de graves dérives»

04/03/2025 mis à jour: 13:35
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Photo : D. R.

La vérité existe, on n’invente que le mensonge.

Il a le sourire en guirlande, un regard malicieux derrière ses petites lunettes et une énergie de tout instant. Jacques sait conquérir son monde. C’est normal, car il est avocat, et en tant que tel, il a forcément le sens de la communication. Lorsqu’il égrène sa vie, on a l’impression d’écouter une flamboyante plaidoirie. 

t ce n’est pas de la tchatche ! Sa vie. Une succession de faits, des déchirures surtout et des plaies pas tout à fait cicatrisées malgré l’épreuve du temps. Il lui en a fallu du culot pour forcer les portes, prendre le dessus sur l’histoire et réapprendre à vivre ! 
Mais des vocables comme l’exode, l’enracinement profond, les traumatismes et les crève-cœurs font partie de son langage.

Des réminiscences ? Non, des mots marqués au fer qui ont certainement donné une trajectoire à son existence. Il exerce son métier à Montpellier où il réside depuis 1962 et à Alger, sa ville natale, où il partage un cabinet avec un confrère. C’est toujours avec un plaisir non dissimulé qu’il retrouve la cité qui l’a vu naître, il y a près de  80 ans, où il avait ses marques du côté de Belcourt.

Belcourt, mon amour

Quand il évoque la déchirure, l’avocat tombe alors la robe noire pour se glisser dans son apparat de tous les jours. «Durant l’été 1962, nos parents ont fait comme les autres. Les enfants d’abord. Ma mère nous a emmenés à la métropole le 17 juillet 1962. Mon père ne nous a rejoints qu’en février 1963. A l’arrivée en France, on nous avait parqués au centre des rapatriés de Montpellier dans un vieux collège désaffecté.

On nous avait mis dans des dortoirs avec au pied du lit nos deux valises. Au plan psychologique, on n’a pas eu droit au soutien, mais au mépris et aux insultes.» Au milieu des années 1940, la famille Cavanna, établie ici, depuis plusieurs années déjà, déménage de Fontaine Fraîche pour habiter dans un immeuble rue de Lyon, au Hamma. Ses parents exploiteront une épicerie rue d’Amourah.

Des Français de condition modeste, en somme. «Je garde des souvenirs extraordinaires de Belcourt, un quartier populaire où les gens étaient mêlés, où l’on votait plutôt communiste. J’ai grandi avec des copains de toutes confessions dans une parfaite harmonie. C’était presque la même famille. Le bonheur total quoi ! 

Ma spécialité, c’était la carriole à roulettes. Quel boucan on faisait qui irritait les riverains, en descendant de Guesprates jusqu’à la rue de Lyon en attaquant la rue d’Amourah. Il y avait Hadj Djebli, dont je me rappelle très bien, car il tenait notre commerce. Je l’ai revu depuis. Mais, comme ils ont rasé le quartier, je n’ai plus de repères, ni sur les lieux ni sur mes anciens  amis. J’ai donc résidé au voisinage du Jardin d’essai et du Musée jusqu’en 1962, date à laquelle nous avons «émigré» à Montpellier. Mon père est décédé à l’âge de 56 ans des conséquences du drame d’une réinstallation difficile.

Ancien élève de l’école Caussemille, puis du collège du Champ-de-Manœuvre (Luteaud), j’ai passé le bac (en 2 parties à l’époque) en France, puis J’ai fait Sciences Po avec une licence en droit à Aix-en-Provence. J’ai ensuite passé deux DES, un de sciences politiques et le second de droit international public.

J’ai parallèlement passé l’examen du CAPA (examen pour l’exercice de la profession d’avocat) et je me suis installé en qualité d’avocat en 1974 à Montpellier. Le souvenir du pays et les merveilleuses années de l’adolescence. Cependant les nuits, pendant de longues années, ont été souvent entrecoupées de rêves qui me transportaient dans mon Hamma ou à Fontaine Fraîche chez ma grand-mère.

Ce n’est qu’en 1982 que je suis revenu pour la première fois à Alger, et en 1984, j’ai accompagné ma mère à El Biar, dont les grands-parents étaient de Saïda qui étaient ensuite venus s’installer dans les années 1905 à El Biar. En 1975 au début de mon installation dans la profession, j’ai sollicité la faculté de droit d’Alger pour venir faire, parallèlement à ma profession, de l’enseignement. Ce qui ne fut pas possible à l’époque. Je n’ai donc pu  revenir à Alger qu’en l’an 2000.»

France-Algérie, liées par l’histoire et la géographie

«A cette date, j’ai créé l’association de sauvegarde des cimetières français en Algérie. J’ai eu cette même année l’honneur d’être reçu par Ould Kablia, ministre de l’Intérieur qui a reçu officiellement la première délégation de membres de l’association de sauvegarde des cimetières français en Algérie et qui m’a apporté son aide chaque fois que je l’ai sollicité.

Parallèlement à la création de l’association de sauvegarde des cimetières, j’ai été à l’initiative du jumelage du barreau d’Alger avec celui de Montpellier et du partenariat entre les barreaux de Nîmes et de Blida. J’ai organisé avec le Word trade center les journées du droit à Alger  et en même temps j’ai été impliqué dans l’initiative de la signature d’une convention entre la faculté de médecine de Montpellier et celle d’Alger, ainsi qu’entre la même faculté de médecine de Montpellier et celle de Béjaïa.

J’ai par ailleurs eu l’honneur d’être autorisé à avoir un cabinet secondaire à Alger, ce qui m’a amené à partager les locaux avec ma consœur Me Fatima Chenaif, ancienne magistrat de la Cour suprême. Depuis 2005, je suis donc présent chaque mois à Alger, aussi bien pour la profession que pour l’association. 

Le bâtonnier Silini et le conseil de l’Ordre m’ont honoré en me remettant la médaille de l’Union nationale des barreaux algériens. J’ai eu l’honneur d’échanger de nombreux courriers avec le président Bouteflika qui y répondait personnellement. J’ai sollicité le Président Tebboune afin d’être reçu - étant rappelé qu’il m’avait reçu en 2010 à la demande du président Bouteflika - pour lui confirmer l’attachement de la communauté rapatriée à ce pays et lui renouveler que les natifs du pays restent viscéralement attachés à l’Algérie, et qu’«ils sont les maillons naturels entre les deux rives.

Nous pouvons, à mon avis, apporter cette compréhension fraternelle entre la France et l’Algérie pour les relations apaisées. Aujourd’hui, les relations entre les deux pays sont le moins que l’on puisse dire tendues, mais non rompues –Inch’Allah – Personnellement, j’ai œuvré durant plusieurs années pour dire qu’il fallait que les relations soient tournées vers l’avenir.

Face à l’évolution politique évoquée avec des Algériens, et lors d’un entretien avec des personnalités, nous avons évoqué certains sujets et naturellement, il a été émis l’idée de la création d’une association pour le développement des relations entre les deux pays. L’idée a pris forme très rapidement avec l’espoir de renouer les liens. L’association a donc été constituée et les membres m’ont demandé d’en assurer la présidence

Association France-Algérie, un pari et un défi

Nous avons donc créé l’association Avenir France Algérie. C’est, nous l’espérons, une nouvelle page qui va s’écrire, mais c’est surtout la volonté de développer relations franches et fraternelles en partageant notre histoire commune mais c’est aussi créer une autre manière de développer des relations diplomatiques.

Cela peut parfaitement être une nouvelle page qui s’ouvre et c’est bien notre volonté au sein de l’association. Les objectifs majeurs de l’association sont dans un esprit de fraternité, le développement des relations entre les deux pays sur le plan diplomatique, sur le plan culturel, sur le plan économique, mais aussi en luttant contre toute forme de racisme et d’extrémisme délirant, pourvoyeur de graves dérives.

Je ne suis rattaché à aucun parti politique, mais en tant qu’enfant du pays, j’ai la chance d’avoir la double culture, ce qui m’a toujours permis de mieux comprendre et de mieux appréhender les rapports entre Paris et Alger – c’est ma part d’algérianité dont je reste fier. 
Certains de mes amis m’ont gratifié d’un surnom «d’olivier sauvage», avec sûrement ses qualités, mais aussi ses défauts. J’ai toujours tendu la main à tous ceux qui ont voulu la prendre.

L’Algérie est indépendante et est souveraine et c’est ainsi que si chacun veut comprendre l’autre, nous pouvons avancer ensemble, faire un bond en avant pour retrouver des relations apaisées et pleines d’avenir. Je reste optimiste, car les bonnes volontés ne manquent pas de chaque côté de la Méditerranée. 

Chaque année pour la Toussaint, j’amène à Alger une délégation de membres de la communauté et chaque année, je les ramène heureux d’avoir revu l’Algérie et d’avoir été reçus avec chaleur et fraternité. Comme l’on dit en Algérie «li fet met». Alors, essayons de nous tourner vers un avenir prometteur. Les personnes qui nous rejoignent sont en symbiose avec l’ensemble des buts de l’association. Nous espérons que nous pourrons, dans l’intérêt commun, remplir cette mission.

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