Le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Issad Mabrouk, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, hier à Alger, lors de sa réunion avec les magistrats du centre du pays, pour dénoncer aussi bien «la trituration» de la mouture des deux projets de lois organiques relatifs au statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et de celui de la magistrature, que pour s’en prendre «au manque de formation», l’«incompétence» et «la fuite en avant» de certains de ses confrères.
Il commence par expliquer que les représentants de l’organisation ont eu une rencontre avec les membres de la commission juridique de l’Assemblée nationale, afin de les sensibiliser sur la question. Il affirme, en outre, que pour le projet de loi lié au statut de la magistrature, «nous avons constaté que la mouture finale présentée par la commission a connu d’importants changements.
Ce qui constitue un recul considérable par rapport à l’engagement des autorités à prendre en compte les propositions de la commission dont nous faisions partie, et nous ignorons les raisons de tels changements. Les deux projets présentés étaient complets et répondaient aux aspirations de tous.
Il est étonnant que l’exposé des arguments de ces deux projets n’a pas été touché». Issad Mabrouk juge «anormal» que le nouveau CSM ne puisse pas tenir sa réunion, du fait que les textes liés à son fonctionnement ne soient pas encore publiés. «Elu de manière légale et transparente, le CSM est paralysé. Il ne peut pas réunir ses membres faute de textes de fonctionnement qui devaient paraître avant la fin de l’année 2021», dit-il. Et de lancer : «Il est demandé aux magistrats de défendre les deux projets de loi. Nous avons une chance d’apporter le changement. Si nous la perdons, il faudra attendre 20 ans pour espérer en avoir une autre et nous serons comptables de nos actes. Il est regrettable que ces lois n’intéressent que les magistrats.
Ni les médias ni la société civile n’ont été entendus. Nous avons une occasion historique pour corriger les erreurs, à travers l’Assemblée nationale. Nous l’avons mise devant un examen. Certains reprochent au syndicat d’être trop ambitieux pour la transition. Mais depuis 1962, nous n’arrivons pas à sortir de la transition. Jusqu’à quand allons-nous attendre ?
Est-ce normal que l’indépendance de la justice s’instaure par palier ? Des lois comme celle liée à la lutte contre la spéculation commerciale ont été promulguées en 24 heures. On semble oublier qu’il est important aussi de lutter contre la spéculation judiciaire.»
A ses détracteurs, Issad Mabrouk déclare : «Le CSM défend la justice et non pas les magistrats. Ceux qui disent que le SNM a mis la main sur le CSM pour défendre ses intérêts se trompent. Chacun à ses prérogatives. Le CSM doit défendre les magistrats intègres et compétents et, en même temps, lutter d’une main de fer contre les incompétents et les corrompus qui parasitent le secteur.»
Il rappelle aux membres du CSM élus «la confiance» mise en eux, et les met en garde contre «tout retournement de veste» en disant : «Nous avons vu certains virer à 180° dès qu’ils sont élus ou promus à des postes supérieurs. Si vous le faites à votre tour, sachez que le temps ne vous épargnera pas. Vous ferez l’objet des pires critiques.»
Appel aux députés
Revenant à ses collègues magistrats, Issad Mabrouk estime que l’indépendance de la justice «reste liée à la formation du juge, son profil et les conditions dans lesquelles il exerce son métier». Selon lui, «certaines décisions de justice sont hallucinantes. Elles nous poussent à nous demander d’où le magistrat les a puisées».
Puis explique : «Les médias focalisent souvent sur les cas liés aux libertés et omettent de mettre la lumière sur les affaires de droit administratif, notamment celles liées au foncier où il se passe des choses effroyables (…). Le rôle des magistrats est de régler les problèmes et non pas les rendre plus compliqués. Ils sont les protecteurs du justiciable. Nous savons tous que les tribunaux administratifs se sont mis au service de l’administration. La majorité des magistrats qui y exercent font dans la fuite en avant en rejetant les procédures. On ne demande pas aux juges de faire des miracles. Il leur est exigé d’appliquer la loi et d’argumenter les décisions ?»
Le président du syndicat appelle les magistrats à «améliorer» leurs relations avec l’environnement dans lequel ils exercent, notamment avec les greffiers, les notaires, les avocats qui, selon lui, sont des corporations complémentaires, et de faire en sorte que le juge «soit cette valeur qui fait avancer le travail de la justice».
La réunion des magistrats s’est poursuivie en absence des médias pour se terminer avec des résolutions. A travers celles-ci, les participants ont affirmé avoir constaté «l’amputation de nombreux articles importants relatifs à la protection du magistrat et à son indépendance, et ce, en violation de l’engagement pris lors de l’installation de la commission d’élaboration de ces deux projets de loi».
Ils ont appelé les membres de l’APN, à «s’attacher» à «leurs prérogatives constitutionnelles de pouvoir législatif pour introduire les amendements nécessaires aux projets de loi de manière à consacrer l‘indépendance de la justice, qui est une revendication populaire».