Il est impératif de savoir que seuls les médecins sont autorisés à injecter de l’acide hyaluronique ou du botox et de pratiquer des gestes de médecine esthétique l D’ailleurs, ces pratiques, qui se multiplient dans les salons de beauté, chez les coiffeuses ou même dans certains Spa, relèvent de l’exercice illégal de la médecine et sont contraires aux mœurs de la population.
Dossier réalisé par Sofia Ouahib
Profitez d’une offre exceptionnelle à l’occasion du nouvel an», «Des réductions de dingue vous attendent en ce début d’année», «Plus qu’une semaine pour profiter de notre offre. Saisissez l’occasion pour démarrer l’année en beauté»… Autant d’offres qui inondent les réseaux sociaux en ce début d’année. Mais si l’on peut penser qu’il s’agit d’offres pour des habits ou du mobilier de maison, ce n’est pas le cas. Il s’agit en réalité de publicités de rabais pour tout genre d’injections de médecine esthétique. Le comble est que ces prestations ne sont pas proposées par des médecins mais bien par des esthéticiennes dites «professionnelles».
Et nombreuses sont les femmes qui succombent à ces offres «alléchantes», sans tenir compte des répercussions sur leur santé, qui, pour certaines, ont été dramatiques. C’est le cas d’une patiente qui a dû se faire hospitaliser en urgence en raison d’une grave infection due à une injection faite par une esthéticienne «spécialiste en injections», d’acide hyaluronique au niveau des fesses. Une autre a même dû décaler son mariage d’une année à cause d’injections ratées, faites dans un salon de coiffure.
A cet effet, une assistante médicale raconte : «La future mariée en question a décidé, à deux semaines de son mariage, de se faire injecter les lèvres. N’ayant pas trop les moyens de consulter un médecin, elle cherche sur Instagram et tombe sur une offre promotionnelle proposée par un institut de beauté. Elle saute le pas. Une fois l’injection faite, les lèvres de la future mariée gonflent beaucoup. Mais l’esthéticienne la rassure et lui garantie que d’ici le lendemain, ça va dégonfler. A peine arrivée chez elle, la jeune fille constate que le produit a migré ! Une catastrophe», poursuit l’assistante médicale. Le lendemain, la patiente a fait le tour des médecins pour retirer le produit mais aucun ne voulait la prendre.
Et pour cause : les médecins ne veulent pas endosser la responsabilité d’un acte qu’ils n’ont pas réalisé. Elle est alors retournée chez l’esthéticienne chez qui elle s’est fait injecter. Et cette dernière lui a injecté la hyaluronidase, ce qui est encore plus dramatique.
La raison : cette enzyme, très utile après une injection ratée, permet de dissoudre l’acide hyaluronique, peut engendrer, si les injections sont réalisées par un personnel non habilité, des complications graves et notamment une thrombose d’un vaisseau, une nécrose ou une inflammation importante des tissus. L’assistante médicale, qui confie en avoir vu de toutes les couleurs en matière d’injections ratées, se souvient d’un autre cas, celui d’une patiente qui a appelé le cabinet médical, cherchant à tout prix à parler au médecin.
L’assistante lui demande quelle prestation elle souhaite réaliser. La patiente ne répond pas. «Je la sens mal à l’aise. Je lui explique que je dois avoir ce détail afin que je puisse lui donner le créneau qui conviendrait à la prestation souhaitée», explique l’assistante médicale. La patiente finit par lui avouer qu’elle s’est fait injecter au niveau des lèvres chez une esthéticienne, qu’elles ont triplé de volume et qu’elle cherche désormais à les faire dégonfler. «Je lui explique alors qu’il s’agit de la responsabilité de l’esthéticienne ; et que le médecin ne peut pas la toucher et endosser cette responsabilité».
La patiente lui confie alors que l’esthéticienne a bloqué son numéro. Malheureusement, ces cas ne sont pas isolés. Les médecins spécialistes ne cessent de mettre en garde les femmes quant à la pratique illégale de la médecine esthétique. En effet, des esthéticiennes dites «professionnelles» proposent des injections de comblement à l›acide hyaluronique et de botox. Et c’est sur les réseaux sociaux qu’elles font leur promotion. Leur stratégie est simple : publier des photos avantageuses avec, en légende, des offres alléchantes pour attirer le plus de clientes. Or, elles n’ont aucunement le droit de procéder à ce type d’acte réservé au médecin seulement.
Nécrose cutanée
En effet, il est impératif de savoir que seuls les médecins sont autorisés à injecter de l’acide hyaluronique ou du botox et de pratiquer des gestes de médecine esthétique. D’ailleurs, ces pratiques, qui se multiplient dans les salons de beauté, chez les coiffeuses ou même dans certains Spa, relèvent, selon le Pr Mustapha Khiati, de l’exercice illégal de la médecine et sont contraires aux mœurs de la population. «Il existe manifestement une absence de contrôle de ces pratiques et les victimes n’osent pas déposer plainte», se désole-t-il.
«Il faut savoir que les produits utilisés comme la toxine botulique (botox) ou l’acide hyaluronique sont ramenés dans des cabas à travers des circuits bien rodés», affirme le Pr. Khiati. Et le recours à des injections de botox (toxine botulique) ou d’acide hyaluronique en utilisant des seringues mal stérilisées peut entraîner des infections, des nécroses, voire des accidents plus graves, comme l’amputation d’un morceau de lèvre ou de nez. Le botox peut aussi, selon lui, donner un visage figé qui n’arrive pas à sourire ou avoir une mimique expressive. «Avec l’acide hyaluronique, des œdèmes, petits saignements ou hématomes, peuvent apparaitre.
Ce sont surtout des nodules sous forme d’une petite boule au niveau de la zone injectée qui apparaissent et risquent de perdurer», ajoute-t-il. Et en cas de mauvaise injection, telle une injection dans une artère et la bouche, Pr. Khiati fait savoir qu’une nécrose cutanée peut survenir ou provoquer des emboles vasculaires.
La qualité du produit choisi et injecté sous la peau peut aussi, selon M. Khiati, être responsable de conséquences graves sur la peau allant jusqu’à la lipoatrophie ou la nécrose qui se traduit par l’apparition d’une zone de peau noircie à distance de l’injection. La chirurgie plastique n’est donc pas dénuée de risques.
Pour le Pr. Khiati, même entre des mains expertes, des accidents peuvent survenir. «Le chirurgien a le devoir de signaler à son patient les risques possibles de son geste», poursuit-il.
Sachant que tout acte de chirurgie comporte des risques et des limites, et qu’en chirurgie, il n’y a pas de risque zéro. Lorsqu’elle concerne le visage, le Pr. Khiati assure que la chirurgie plastique, notamment par injections, expose à quatre risques classiques, à savoir l’hémorragie (ou l’hématome), l’infection, les cicatrices et la paralysie faciale.
Les cicatrices peuvent par exemple persister sans aucune possibilité de les faire disparaitre. «Parfois, elles deviennent hypertrophiques voire chéloïdes nécessitant un traitement particulier», prévient-il. Plus grave est la survenue d’une nécrose cutanée, c’est-à-dire la mort d’une zone de la peau plus ou moins importante donnant le résultat inverse de celui attendu. Une perte de sensibilité de la peau peut aussi survenir.
D’ailleurs, M. Khiati a assuré que toutes les interventions pratiquées sur le visage peuvent grandement affecter la qualité de la peau. «La chirurgie des paupières ou le lipofilling (injection de graisses) peut également entrainer de graves conséquences à savoir des infections, une désunion des cicatrices, des douleurs, des chéloïdes, une nécrose, des troubles de la sensibilité, une embolie graisseuse…
Certaines interventions particulières comme la dépigmentation de l’iris, qui peut altérer la vue», ajoute-t-il. Précisant au passage que des interventions beaucoup plus douloureuses commencent à connaitre un engouement particulier, comme l’augmentation du volume fessier. D’ailleurs, le journal britannique le Guardian a publié, en 2021, une étude sur les effets indésirables provoqués par le traitement anti-âge qui toucherait une personne sur six en Europe, soit 16% des bénéficiaires de ce traitement.
Les complications les plus fréquentes observées sont : une raideur musculaire, des étourdissements, des vertiges, des douleurs, parfois même des signes cardiovasculaires, à savoir hypertension artérielle, infarctus du myocarde (crise cardiaque).
De plus, M. Khiati assure qu’en cas d’injections au visage, des complications ont été signalées comme des œdèmes, des points bleus au point d’injections, une chute d’une paupière supérieure dont la rémission peut demander plusieurs mois, une diplopie (vision double). «Il en est de même pour les soins dentaires esthétiques comme le blanchiment ou les facettes qui doivent être faits par des professionnels», conclut le spécialiste.
Manipulation des produits par des non spécialistes : «Ces pratiques illégales compromettent la santé des utilisateurs»
Une mauvaise manipulation de l’acide hyaluronique, du botox ou d’autres produits injectables peut avoir de graves conséquences sur la santé de l’utilisateur. En effet, selon Pr. Y. Zebbiche, pharmacien, maître de conférence A en toxicologie et chef de département de pharmacie industrielle, faculté de pharmacie, explique que l’utilisation d’autres produits injectables mal maîtrisés ou de qualité douteuse augmente le risque de complications sévères.
Selon lui, une injection d’acide hyaluronique dans un vaisseau sanguin peut causer une occlusion vasculaire, entraînant une ischémie ou une nécrose tissulaire. «De plus, des infections, des granulomes, ou encore des résultats esthétiques décevants peuvent survenir», poursuit-il. Concernant le botox, une administration inappropriée peut provoquer une paralysie de muscles adjacents, entraînant des effets indésirables tels qu’une chute des paupières ou des difficultés à avaler.
Un avis partagé par Mme Fazia Kerkoub, maitre assistant hospitalo-universitaire en toxicologie, qui assure qu’une mauvaise manipulation de l’acide hyaluronique, du botox et d’autres produits injectables peut entraîner de graves complications pouvant inclure des infections, des réactions allergiques, des nécroses tissulaires (mort des tissus) et des asymétries faciales. «Les produits mal injectés peuvent aussi migrer vers d’autres zones, causant des déformations ou des blocages vasculaires dangereux», précise-t-elle. Si la manipulation de ces produits n’est pas anodine et peut s’avérer dangereuse, il y a pire encore.
En effet, certaines esthéticiennes injectent même l’hyaluronidase, une enzyme utilisée pour corriger les surcorrections ou les complications liées à l’acide hyaluronique. Pour M. Zebbiche, il s’agit d’un produit qui nécessite une maîtrise absolue. «Lorsqu’elle est injectée par des non-spécialistes, elle peut entraîner des effets indésirables graves, notamment une dégradation excessive des tissus environnants, des réactions allergiques sévères, ou une aggravation des complications initiales», prévient-il.
Et l’absence de conditions stériles ou de diagnostic médical préalable rend, selon lui, ces injections encore plus risquées. Pour sa part, Mme Fazia Kerkoub explique qu’une manipulation incorrecte de cette enzyme peut entraîner une dégradation excessive des tissus et provoquer des réactions allergiques sévères. «Entre des mains non qualifiées, son utilisation peut aggraver les complications au lieu de les résoudre», rappelle-t-elle.
A noter que ces produits, normalement réservés à l’usage médical, n’ont, de manière générale, aucune traçabilité. A ce titre, M. Zebbiche fait savoir que les produits sans traçabilité, souvent utilisés dans des salons de beauté, représentent un danger majeur. Ces pratiques illégales compromettent, selon lui, la santé des utilisateurs. «Ces substances, qui ne portent ni certification médicale (CE) ni agrément de sécurité, peuvent être contrefaites, périmées ou contenir des substances toxiques», affirme-t-il.
Leur qualité et leur stérilité ne sont donc pas garanties, ce qui expose les utilisateurs à des infections graves, des réactions allergiques, des granulomes ou des effets indésirables durables. Mme Fazia Kerkoub appuie ses propos et assure à son tour que les produits sans traçabilité présentent un risque élevé car leur qualité, leur stérilité, et leur composition ne sont pas garanties. «Utiliser de tels produits expose les patients à des infections, des réactions toxiques et des résultats imprévisibles. De plus, il est difficile de corriger les effets si on l’ignore la composition exacte ou le fabricant», confie-t-elle. Plus loin encore. Lors de l’enquête, certaines esthéticiennes ont assuré que leurs gestes sont pratiqués sous anesthésie.
Choc anaphylactique
Mais d’où peuvent-elles se la procurer ? Pour M. Zebbiche, les anesthésiques locaux, tels que la lidocaïne, sont des produits réglementés qui ne devraient être utilisés que par des professionnels de santé qualifiés. «Ces produits peuvent être obtenus illégalement via des circuits non officiels, et ce type d’approvisionnement constitue une violation grave des réglementations de santé publique», explique-t-il.
De son côté, Mme Fazia Kerkoub estime préoccupant que certaines coiffeuses utilisent des anesthésiques, car leur acquisition sans licence est généralement illégale et dangereuse. «Elles peuvent les obtenir via des sources non réglementées, ce qui soulève des questions sur la pureté et la sécurité de ces substances», précise-t-elle. Mais concrètement, quel est le danger d’une anesthésie dans les mains de non-spécialistes ? L’utilisation d’anesthésiques par des non-spécialistes est extrêmement risquée.
En effet, un surdosage peut, selon M. Zebbiche, provoquer une toxicité systémique aiguë, avec des effets potentiellement mortels tels que des convulsions, une dépression respiratoire ou un arrêt cardiaque. «De plus, les non-spécialistes ne disposent ni de la formation ni d’équipements nécessaires pour gérer les complications graves, comme un choc anaphylactique ou un arrêt cardio-respiratoire», ajoute-t-il.
Pour sa part, Mme Fazia Kerkoub fait savoir que l’utilisation d’anesthésiques par des non spécialistes peut entraîner des complications graves, telles que des réactions allergiques, des surdosages, des infections et des interruptions respiratoires. «Les médecins sont formés pour gérer ces risques et intervenir en cas de complications, ce qui n’est pas le cas des non professionnels», poursuit-elle. S’il est essentiel que ces produits soient manipulés que par des médecins, c’est parce qu’«ils possèdent la formation et l’expertise nécessaires pour garantir une utilisation sûre et efficace des produits injectables», explique M. Zebbiche. «Ils sont habilités à évaluer les indications médicales, à réaliser des injections précises, et à gérer rapidement toute complication éventuelle», poursuit-il.
De plus, les médecins utilisent, selon lui, des produits agréés, traçables et de qualité certifiée, ce qui réduit considérablement les risques pour le patient. Mme Fazia Kerkoub ajoute que les médecins ont la formation nécessaire pour comprendre l’anatomie, les dosages appropriés, et les techniques d’injection sécuritaires. «Ils peuvent également gérer et prévenir les complications potentielles, garantissant ainsi la sécurité et le bien-être des patients», ajoute-t-elle. Finalement, les injections clandestines ne sont pas sans risque sur la santé, bien au contraire. «En l’absence de stérilité et de traçabilité des produits, les patients s’exposent à des infections graves, telles que des abcès, des septicémies ou des inflammations chroniques.
De plus, les substances injectées, souvent de qualité douteuse, peuvent provoquer des réactions toxiques ou allergiques sévères et entraînent des complications esthétiques importantes, nécessitant parfois des traitements correctifs coûteux», conclut M. Zebbiche. Plus loin encore, «les conséquences de celles-ci peuvent être irréversibles et nécessiter des interventions chirurgicales correctives coûteuses et complexes», conclut Mme Kerkoub. Sofia Ouahib
Dr Lynda Oumnia-Idir. Spécialiste en médecine esthétique : «Lorsqu’on ne maîtrise pas l’aspect médical, on risque de faire de très gros dégâts»
- Les 18-24 ans sont désormais plus nombreux que les 50-60 ans à avoir recours à la médecine esthétique. Quel est le profil de ces jeunes ?
Effectivement, les plus jeunes sont de plus en plus nombreux à consulter pour des soins de médecine esthétique. Souvent, ce n’est pas pour du botox mais d’avantage pour des problèmes de peau. Il y a aussi certaines jeunes patientes qui cherchent à faire des soins un peu plus approfondis en raison d’une sécheresse de la peau.
Sachez en tout cas que les motifs de consultation les plus fréquents sont les cicatrices d’acné et les vergetures. Il faut savoir que les vergetures apparaissent de plus en plus chez les jeunes car les patients font beaucoup d’effet yoyo et énormément de sucre, ce qui fragilise la peau. C’est pourquoi, il est important de souligner que la médecine esthétique n’est pas une histoire d’âge mais de qualité de peau.
- Comment expliquer une telle augmentation des actes de médecine esthétique chez les jeunes ?
On explique cet engouement pour la médecine esthétique par le fait que les jeunes s’occupent de plus en plus de leur peau et de leur visage, et ce, de manière précoce par rapport aux générations précédentes. Mais il faut juste connaître ses limites et ne pas répondre à toute demande des plus jeunes, en particulier quand il s’agit de botox ou d’acide hyaluronique, surtout au niveau des lèvres.
Il est donc très important de freiner ce genre d’engouement pour la médecine esthétique. Moi je dirai que la médecine esthétique reste très utile pour les jeunes, mais encore une fois, pour des problèmes de peau et non pour des transformations physiques.
- Quels sont les risques de la médecine esthétique chez les jeunes ?
Si une patiente cherche seulement à injecter de l’acide hyaluronique au niveau des lèvres ou du botox alors qu’elle n’en a pas besoin, cela risque de fragiliser sa peau. Il faut savoir que la lèvre rouge est très fragile. Et lorsqu’on la dilate avec de l’acide hyaluronique, la fibre élastine qu’il y a au niveau de la lèvre se fragilise.
Et si on commence très tôt ce type d’acte, la lèvre finira par devenir disgracieuse. Et à 50 ans, elle sera complètement transformée. C’est pourquoi, il est important de freiner ce type d’acte. Car ne l’oublions pas, la médecine esthétique n’est pas là pour transformer les gens quand on applique avec déontologie.
- Malheureusement, il y a beaucoup de pratiques illégales. Quelles sont-elles ?
Il important de souligner que la médecine esthétique est un acte médical. Il faut avoir un bac +7 et une spécialisation en médecine esthétique. D’ailleurs, les médecins généralistes par exemple doivent aussi avoir une formation adéquate d’une année ou deux pour pouvoir la pratiquer. On ne sort pas de l’école de médecine et on s’installe en tant que médecin esthétique.
C’est une spécialisation à part entière. Il faut faire de l’anatomie très approfondie pour pouvoir faire de la médecine esthétique. Il y a malheureusement beaucoup de personnes qui ne sont pas médecins et qui font des injections de la toxine botulique ou de l’acide hyaluronique sans tenir compte des risques, or ils ont très importants. Et ces derniers sont multiples à l’exemple des ptoses lorsque le botox est mal injecté en raison d’une mal-connaissance de l’anatomie. Cela reste un acte très dangereux.
Pour l’acide hyaluronique, les risques sont encore plus dangereux. Il y a des contre-indications médicales qu’un non médecin ne peut pas connaitre. Il y a des zones qu’on appelle «sens interdit» où il ne faut absolument pas injecter l’acide hyaluronique car on risque d’avoir des lésions et nécroses définitives au niveau du visage et parfois, on risque même la déformation. En résumé, lorsqu’on ne maitrise pas l’aspect médical, on risque de faire de très gros dégâts.
- On voit beaucoup de ratés. Quelles solutions face à cela ?
Lorsqu’il y a des ratés, le patient doit aller à l’hôpital. En fait, on ne rattrape pas les ratés des personnes qui se font injecter par des non médecins. Les solutions face à cela, c’est de vraiment lutter contre la pratique illégale de la médecine esthétique.
D’ailleurs, les gens qui pratiquent la médecine esthétique sans diplôme de médecin appellent ça «l’esthétique sans chirurgie». Donc, dès que vous voyez «Esthétique sans chirurgie», sachez que ce n’est pas fait par des médecins mais des charlatans. Il faut créer des syndicats, mettre en place des lois et règles. Et les autorités sont la aussi pour lutter contre la pratique illégale de la médecine esthétique.
- Est-ce normal et surtout légal que ces dernières fassent des injections avec anesthésie ?
Non, ce n’est ni légal ni normal que les noms médecins fassent des injections. Déjà que l’injection est un acte interdit pour les non médecins, mais utiliser l’anesthésie est une catastrophe. Il faut savoir qu’il existe de très gros risques suite à l’utilisation de celle-ci à l’exemple d’un choc vagal, un choc anaphylactique, des allergies, une syncope…
Et un non médecin ne pourra jamais gérer ces risques qui peuvent même entrainer la mort lorsqu’on utilise l’anesthésie injectable. D’ailleurs, même un dentiste a parfois peur de faire des injections d’anesthésie, comment des non médecins peuvent-ils la faire ? C’est encore une fois une pratique illégale qui est extrêmement dangereuse qui peut couter la vie des patients.
- Qui a le droit de pratiquer la médecine esthétique ?
La médecine esthétique exige un minimum de bac+7 et une spécialisation d’une année ou de deux ans avec de la pratique et une connaissance très approfondie de l’anatomie. Il est très important que le patient sache choisir son médecin esthétique de manière très adéquate. S. O.
Attention à la santé mentale !
«L’image de soi est importante pour réaliser le contentement de soi, qui est essentiel pour ressentir le bonheur, un élément constitutif de la santé mentale», assure tout d’abord le Pr. Houria Ahcene Djaballah, psychologue clinicienne. Selon elle, chaque individu aspire à atteindre un idéal d’image de soi. Et cet idéal est plus ou moins tributaire de critères dictés par la «mode» en cours dans la société.
Selon elle, lorsque chez un individu, la mode est prégnante non seulement concernant les critères de beauté mais aussi et surtout quant aux moyens artificiels disponibles pour corriger les défauts, alors le recours aux opérations esthétiques est facilité. «Les opérations effectuées par des esthéticiennes et coiffeuses sont des actes non contrôlés et non accompagnés psychologiquement», affirme-t-elle.
Or, ces actes, très lucratifs, se sont largement répandus, appuyés par les réseaux sociaux. «Malheureusement, certaines personnes candidates à la correction d’un défaut physique, réel ou supposé, se retrouvent victimes d’une véritable disgrâce très préjudiciable pour leur santé mentale», se désole-t-elle.
Selon la spécialiste, ces personnes ont subi un véritable traumatisme psychologique qu’il faut traiter d’abord comme tel. «La déception, la souffrance, le sentiment de culpabilité, le désespoir et autres sentiments négatifs vont marquer leur vie, avec un risque sérieux de trouble dépressif et aussi de risque suicidaire», prévient Mme Ahcene Djaballah.
C’est pourquoi, elle estime important que ces personnes consultent un psychologue qui doit évaluer leur cas et décider de la conduite à tenir, car il doit non seulement choisir la prise en charge psychologique la plus adaptée mais il doit aussi en parallèle orienter vers les médecins appropriés selon le cas. «Une bonne prise en charge pluridisciplinaire pourrait permettre à la personne lésée de rétablir une bonne image de soi et de réhabiliter son estime de soi», assure-t-elle.
Par ailleurs, Mme Ahcene Djaballah assure qu’aucun acte sur soi n’est anodin, et si certains actes maladroits sont faciles à corriger, d’autres nécessitent hélas des interventions lourdes, quand ce ne sont pas des actes irrémédiables. «Et dans ce cas, comme pour les victimes d’accidents ou de catastrophes ayant entraîné un handicap, il faut aider la personne à apprendre à vivre avec et à se projeter dans l’avenir en dépit de cet handicap», recommande-t-elle. S. O.
Me Amel Aziz Taiebi. Maître de conférences classe A. faculté de droit et des sciences politiques, université Oran 2 Mohamed Ben Ahmed : «L’esthéticienne n’a pas la qualité de médecin»
- La chirurgie et médecine esthétique connaissent, en Algérie, un boom sans précédent ces dernières années. Qu’est-ce qui a changé entre hier et aujourd’hui ?
Il y a bien une évolution, et ce, pour plusieurs raisons. Il y a d’abord l’aspect socio économique. La société a bien changé. On observe un reclassement des besoins des individus. Ces derniers réservent des moyens importants de leurs revenus pour répondre à des besoins qui, il y a quelques années en arrière, on y pensait même pas, à l’instar de la préoccupation exagérée de son apparence physique, bien s’apprêter, être à la pointe de la mode, corriger les complexes physiques (calvitie, nez crochu,...). Il y a aussi les exigences de certains employeurs, certains secteurs d’activité, qui recherchent un standard physique. Les personnes en surpoids par exemple ont du mal à intégrer certains domaines.
Les médias, les moyens de télécommunications, les réseaux sociaux, le phénomène des influenceurs et la téléréalité poussent indirectement les individus à consommer toujours plus, jusqu’à vouloir ressembler physiquement à tel et à telle en essayant des pratiques de la chirurgie esthétique, sans occulter l’aspect invisible des réseaux sociaux. Il y a aussi l’aspect psychologique et cette envie de rentrer dans le cadre du standard de la beauté.
En fait, on observe ce phénomène à l’échelle mondiale, et pas seulement en Algérie. Les opérations de chirurgie esthétique les plus fréquentes sont les mêmes, pour les hommes et les femmes, augmentation mammaire, liposuccion, retouches nasales, rajeunissement du visage, l’implantation capillaire...
Il est à noter qu’aujourd’hui, on observe la pratique des opérations non invasives, relevant de la chirurgie esthétique, à l’exemple des injections de toxines botulique botox, lasers, acide hyalironique, le microblinding, par des personnes non qualifiées, dans des instituts de beauté, qui en font même de la publicité sur les réseaux sociaux, en postant des photos avant et après des prestations effectuées, moyennant des prix élevés.
Il est important de se rappeler que le risque zéro n’existe pas, et que les bavures sont possibles et la répartition n’est pas garantie. Bon nombre de ces facteurs n’existaient pas hier. Notre pays fait partie de ce monde qui est devenu un village, où les frontières se sont réduites du fait d’internet et de l’évolution technologique, ce qui explique le boom de la chirurgie esthétique.
- De plus en plus d’esthéticiennes pratiquent, dans des salons de beauté, des gestes médicaux. Quels sont les dangers de ces pratiques ?
Les esthéticiennes sont des professionnelles ayant fait une école de formation en esthétique cosmétique parfumerie ou en métier de coiffure. Il existe en Algérie des centres de formation publics et des écoles privées, délivrant des diplômes reconnus et validés par l’Etat.
Pour ce qui est des actes d’esthétique autorisés, on retrouve : l’épilation, la pose de prothèses angulaires, la beauté des ongles, la pose de vernis ou de semi-permanent, ainsi que la dépose des prestations citées. Il n’existe aucune manipulation des tissus avec instruments ni de bloc opératoire ni d’équipe médicale, à l’instar de la chirurgie esthétique.
Pour ce qui est de la pratique de la radiofréquence, qui est une technique utilisée pour lutter contre le relâchement cutané, le vieillissement de la peau, elle doit être absolument pratiquée par un professionnel de la médecine et non par une esthéticienne ou une nutritionniste. Les dangers de la pratique de la chirurgie esthétique par les esthéticiennes sont divers. Il y a le danger de nécrose, la perte cutanée, œdèmes, troubles oculaires, brûlures, chutes de cils ou de sourcils, inflammations...
Déjà que la chirurgie esthétique elle-même, pratiquée par un chirurgien plasticien diplômé, en milieu hospitalier ou en clinique, comporte des risques pour le patient, c›est pour cela que ce dernier dispose d’un délai de réflexion, et doit signer pour signifier son consentement pour la pratique de l’opération. Ensuite, il y a la question du résultat, sachant qu’en droit, le médecin est tenu par une obligation de moyens et non pas de résultat, ce qui signifie que le médecin doit faire tout ce qui est en son possible pour soigner son patient, sans être responsable du résultat.
L’esthéticienne est dans l’ignorance totale de l’obligation d’informer, l’obligation de moyen ou de résultat, le principe de précaution. Elle ne dispose pas de la formation médicale, ni anatomique qui lui permet d’anticiper le déroulement, le suivi et les conséquences de la pratique des actes de chirurgie esthétique, et c’est normal. On ne peut pas la comparer à un chirurgien plasticien qui a accompli 14 ans d’études après un baccalauréat scientifique, c’est une situation qui ne se pose pas dans les pays développés.
- Que faire en cas de dommage corporel ?
Il est fondamental de rappeler que toute pratique médicale, chirurgicale ne peut être pratiquée que par un professionnel de la médecine (loi n 18-11 datée du 02/07/2018 relative à la santé), à savoir un chirurgien diplômé en la spécialité et pratiquée en milieu hospitalo-universitaire, ou privé dans le cadre de la loi en vigueur, puisque les cliniques sont habilitées à recruter des chirurgiens spécialistes en la matière pour effectuer ce type d’opération.
L’erreur médicale survient suite à un acte médical, liant deux parties contractantes, le médecin praticien et le patient. Cet acte est assujetti au droit de la santé, notamment la loi n°18-11, citée précédemment, ainsi que l’article 106 du code civil. En cas d’erreur médicale, il y a clairement une responsabilité contractuelle médicale. Pour ce qui est des erreurs médicales survenues dans le secteur médical public, la responsabilité du service public est engagée devant le juge administratif pour la demande en réparation.
Concernant l’erreur de l’esthéticienne, il ne s’agit pas d’une erreur médicale, et pour cause, l’esthéticienne n’a pas la qualité de médecin ni de professionnel de la santé et le ou la contractante, n’a pas la qualité de patient. Il s’agit simplement d’une professionnelle avec sa cliente. Ce dommage engendre une responsabilité civile contractuelle (article 106 du code civil), puisque les parties se sont entendues pour la pratique d’un geste moyennant une contrepartie, duquel un préjudice corporel s’en est suivi.
En cas où il est difficile de prouver le contrat, la victime elle reste le parcours de la responsabilité civile délictuelle (article 124 du code civil), qui stipule l’obligation de la répartition du dommage causé. La responsabilité pénale est aussi mise en cause, par l’article 416 de la loi sur la santé qui punit tout exercice illégal des professions de la santé, conformément à l’article 243 du code pénal.
- Que recommandez-vous pour limiter les dérives et les dégâts graves ?
Afin de limiter les dérives et dégâts, il faudrait agir en prévention, par la voie des médias, attirer l’attention du consommateur sur le danger de la pratique de la chirurgie esthétique par un non professionnel de la santé. Il faut aussi informer sur la différence entre un acte chirurgical médical, ses conditions... et ce qui ce fait en institut de beauté ou chez son esthéticienne.
J’estime aussi important de faire des compagnes de prévention des dangers de ces pratiques, en faveur des lycéens et des universitaires. Malheureusement, de plus en plus de jeunes filles ont recours au botox et autres injections sur les lèvres et les pommettes, pour ressembler aux célébrités, alors qu’elles n’ont tout simplement pas besoin, étant donné que leur peau fabrique le collagène le plus normalement du monde.
Ensuite, il faudra mettre en place un dispositif de mesures strictes et répressives, à savoir définir le cadre législatif et réglementaire des pratiques relevant de la chirurgie esthétique à caractère non invasif, car ceux sont celles-ci qui posent problème, comme l’injection de botox (autorisé à sa commercialisation depuis 2003) dans le visage, ou dans d’autres parties du corps, l’utilisation de la radiofréquence, le laser pour l’épilation définitive. Aussi, recadrer les prestations relevant du domaine des instituts de beautés, des SPA, des esthéticiennes, en définissant clairement les limites entre la chirurgie esthétique et les prestations autorisées à commercialiser par ces professionnels.
Il est essentiel également d’envisager des mesures administratives (fermeture des locaux, saisie du matériel) et pénales, en cas de préjudice corporel. Il faut aussi penser à mettre en place des cellules ou un organisme de contrôle des pratiques en milieu de salon de beauté, même en envoyant des clientes mystères. Et enfin, réglementer l’activité des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui ont des pages officielles, qui sont sponsorisés pour commercialiser certains types de prestations ou de produits, qui pourraient engendrer des dégâts pour le consommateur. S. O.