La quarantaine à peine entamée et déjà une œuvre très dense. Depuis son très remarqué recueil Faiblesse n’est pas de dire, publié en 2001 chez Barzakh, Samira Negrouche se voue à son art avec la même persévérance.
Précoce et précieux, son talent s’affirme au fil de ces textes que son éditeur a eu la formidable idée de rassembler dans une excellente anthologie intitulée : J’habite en mouvement. Negrouche creuse son sillon propre certes, mais est marqué par des figures poétiques puissantes.
Le premier d’entre elles est bien sûr Arthur Rimbaud, «référence essentielle», comme l’atteste le poète tchadien Nimrod, qui a écrit la préface bien fournie de l’anthologie qui regroupe des textes publiés dans une dizaine de recueils.
Les premiers poèmes du recueil nous font sentir pleinement l’influence assumée du poète des «Illuminations» auquel Negrouche consacre un long poème : A chacun sa révolution. Ecrit en 2003 et publié dans l’ouvrage collectif, J’ai embrassé l’aube d’été, sur les pas d’Arthur Rimbaud, la poète tisse très tôt des liens forts avec ce «monstrueux prématuré» de la poésie française.
Rimbaud m’a dit
Fais le désir ta raison ultime
jusqu’à en être le caprice
qui te possède ouvrira tes plaies
et plantera des iris
D’autres poètes comptent aussi pour Samira Negrouche : Fernando Pessoa, Djamel Amrani ou encore Léopold Sédar Senghor.
Rimbaldienne chérissant les grands horizons et luttant sans rechigner contre l’ennui, Negrouche s’attache néanmoins à la terre natale et à ses compatriotes «citoyennes et citoyens de beauté», auxquels elle dédie son anthologie. Un personnage est là très présent : la ville, la sienne, Alger, où, écrit-elle, des «hommes se cherchent sur des terrasses inesthétiques aux odeurs sueur et frites. Des haleines se croisent, des regards, pas tout à fait». (Le Jazz des oliviers, Tell, 2010).
Les révolutions arabes avortées ont été pour la poète un prétexte pour évoquer les blessures béantes du pays meurtri. «En cette journée lézardée de déceptions où le bleu a quitté la mer pour envahir la colline de chaînes blindées dans l’amas minuscule Minuit avorte le jour laissant La Casbah à ses débris. J’en appelle à la mémoire d’Alger de ses comptoirs marins aux chars de l’occupation, j’en appelle à Hassiba, à Djamila, à Didouche et à Boudiaf, aux ancêtres et aux amnésiques, aux violeurs de rêves et aux traîtres de toujours, j‘en appelle à chaque goutte versée, à chaque humiliation, que jaillisse enfin la baie et qu’elle nous habite, qu’elle ouvre nos paupières assommées.[…]» (Histoire minuscules des révolutions arabes) (2011).
L’Ailleurs ne fait pas peur à l’auteure qui «regarde résolument au Sud». Elle regarde son cœur battant et sa chère universelle (Nimrod).
«Je suis au Sud de la vie avec ma mémoire d’esclave rouge de ce sang imbibé de nos craintes, il n’est point de nation qui me réclame. La nuit viendra me prendre lorsque ces rivages ensoleillés de passions futiles», écrit-elle dans Le Jazz des oliviers (édition Tell, 2010).
Mais comme tous les poètes tourmentés, Samira Negrouche chérit : «La liberté libre» et ne saurait donc être attachée à une géographie.
«Te ne te résignes pas
A relâcher le bord du ciel»
(Six arbres de fortune autour de ma baignoire» (éditions Mazette, 2017).
Native d’Alger, où elle vit, Samira Negrouche, médecin de formation, est une des voix majeures de la poésie algérienne. Traduite dans une trentaine de langues, elle collabore avec plusieurs artistes, à l’instar du peintre Lamine Sakri, de la poète et traductrice Anna Moschovakis ou encore de la chanteuse et musicienne Angélique Ionatos.
A son actif, plusieurs recueils : Faiblesse n’est pas de dire… Alger : Barzakh, 2001, L’Opéra cosmique, Alger, Al Ikhtilef, Mars 2003. Réédition, Alger, Lettres Char-nues, novembre 2003, Iridienne, Lyon : Color Gang, 2005, Le Jazz des oliviers, éditions du Tell (2010), Six arbres de fortune autour de ma baignoire, éditions Mazette (2017) et Traces, Fidel Anthelme X (2021), Stations, éditions Chèvre-feuille étoilée, 2023.
Samira Negrouche , Anthologie poétique J’habite en mouvement, Barzakh, 900 DA./
La couverture du recueil est ornée d’un dessin représentant une «silhouette élastique, nonchalante, un peu penchée, portant un oiseau si imposant» de Nawel Louerrad, architecte et scénographe de formation.