Rafik Baba Ahmed. Hydrogéologue et enseignant-chercheur dans la conservation de la biodiversite : «Hausse continue de la demande»

10/11/2024 mis à jour: 00:03
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  • La nappe albienne du Sahara septentrional, très peu connue du grand public, l’hydrogéologue que vous êtes, peut-il nous en donner un aperçu ?

Dans le langage commun on la nomme «la mer souterraine du Sahara», une gigantesque nappe d’eau enfouie sous les sables du Sahara, région la plus sèche de la planète où il ne pleut quasiment jamais (2 mm/an). Contrairement à l’image qu’on s’en fait, ce n’est pas un plan d’eau souterrain qui repose sur le fond d’une grotte monumentale comme on en voit dans les documentaires d’expéditions spéléologiques.

Une nappe d’eau souterraine du Sahara, c’est de l’eau qui est contenue dans des couches de roches poreuses qu’on appelle aquifères. Elle est essentiellement formée par deux grands aquifères. Le plus proche de la surface qu’on nomme Complexe Terminal (CT) atteint 600 m de profondeur et donne des eaux saumâtres utilisables. Le second plus profond, appelé Continental Intercalaire (CI) va jusqu’à 2000 m de profondeur et contient des eaux salées.

Ces couches géologiques se sont déposées en formant un bassin sédimentaire de roches meubles, sablo-gréseux et argilo-sableux d’environ 1 000 000 km². Elles affleurent sur ses bords dans le plateau du Tademaït (In Salah, Reggane) et en Tunisie (Djeffara, Gabès) où les eaux coulent à la surface sans forage, ce qu’on nomme artésianisme. Les aquifères atteignent leurs profondeurs maximales au centre du bassin dans le grand erg oriental (Hassi Messaoud). 70% du bassin sont en Algérie, 20% en Libye et 10% en Tunisie.

Dans le langage scientifique et technique ces deux immenses réservoirs hydrogéologiques sont appelés SASS (Système aquifère du Sahara septentrional). Il contiendrait entre 30 000 et 100 000 milliards de mètres cubes d’eau. C’est la plus grande réserve d’eau souterraine connue à ce jour.

  • Ces impressionnantes ressources sont-elles renouvelables ?

Jusqu’à récemment, les nappes d’eau du SASS étaient considérées comme fossiles, parce que les pluies sont trop faibles et l’évapotranspiration trop grande pour recharger les aquifères. Cependant, on sait depuis quelques années, qu’il y a une réalimentation des nappes et que cette recharge a pu être quantifiée.

C’est par une méthode s’appuyant sur des données obtenues par satellite qui ont permis de mesurer les variations du champ de pesanteur terrestre. On a pu ainsi déduire les variations de la masse de l’eau contenue dans les couches et estimer l’évolution du volume de l’eau stockée et déduire la recharge des aquifères. Ce qui pour d’autres chercheurs ne doit pas écarter les méthodes proprement hydrogéologiques, c’est-à-dire des mesures du niveau d’eau relevé dans les puits et les forages. Les eaux de pluie et de ruissellement apportent donc en moyenne 1,4 km3 par an au système Pour la période 2003-2010, la recharge s’est élevée en moyenne à 1,4 km3 (1,4 milliard de m3) c’est-à-dire environ 2 mm/an sur la surface d’alimentation des nappes.

La recharge annuelle a même atteint 4,4 km3 certaines années, soit 6,5 mm par an. Pour la même période, les prélèvements pour les besoins de l’irrigation des systèmes oasiens et de l’alimentation en eau potable des populations, 2,5 km3 sont pompés chaque année par les trois pays selon l’OSS, l’Observatoire du Sahara et du Sahel. Ce qui représente plus de double de la recharge.

  • La croissance démographique, l’intensification de l’agriculture, l’augmentation de l’utilisation de l’eau dans l’industrie ont entraîné une hausse continue de la demande en eau souterraine issue de cette nappe. Comment repenser sa gestion et son utilisation ?

Effectivement, les puits et forages se sont multipliés, à un rythme inouï, et les retraits annuels sont passés de 0,5 km3 en 1960 à 2,75 km3 en 2010, entraînant un abaissement généralisé du niveau piézométrique, atteignant 25 à 50 m selon les endroits. De nombreux puits artésiens et sources naturelles, autour desquels se sont développées les oasis, se sont d’ores et déjà taris.

La diminution de l’artésianisme, c’est-à-dire de la pression de l’eau au sein des nappes souterraines, risque d’impacter la viabilité de l’économie oasienne. Le cas de la région d’El Oued, la plus étudiée jusqu’à ce jour notamment sur la qualité des eaux pour l’irrigation, est typique : en 1956, le premier forage sur Le CT est creusé pour la ville aux mille coupoles avec l’augmentation de la population et l’extension des cultures. L’augmentation de la population et l’extension des cultures ont conduit à creuser en 1956 le premier forage dans le Complexe terminal (CT) pour l’AEP d’El Oued.

Un deuxième est réalisé entre 1957 et 1969, ensuite un nouveau forage par an de 1970 à 1980, 2 forages par année dès 1980, où on commencer à observer les premiers «ghouts», cratères artificiels creusés dans le sable pour planter des palmiers, ennoyés avec une montée progressive persistante et alarmante de la nappe phréatique, nappe libre près de la surface superposée aux aquifères profonds.

Entre 1980 et 1987, une centaine de nouveaux forages sont réalisés dans le CT et trois forages dans Continental Intercalaire (CI), ses derniers sont fortement artésiens, et débits de 200 l/s, soit de 5 à 10 fois plus importantes que ceux de CT. En 1993, la nappe avait ennoyé la palmeraie sur 25 km. A partir de 2004, les autorités ont interdit de nouveaux forages pour l’irrigation dans le CT et le CI, et leur remplacement par des puits dans la nappe phréatique mais dans la ville d’El oued, la nappe phréatique continue à monter de 40 à 60 cm par an. En 2011, un réseau de drainage de 38 km de conduites devient opérationnel et maintien le niveau d’eau à 1m de profondeur sous les zones les plus basses (ghouts).

La mauvaise gestion des ressources en eau dans la région d’El Oued a provoqué une élévation de niveau piézométrique avec des effets sont désastreux parmi lesquels le noyage des palmeraies et leurs asphyxies, le noyage des fosses septiques domestiques et la propagation de la pollution bactériologique dans la nappe, la contamination des eaux par les nitrates d’origines domestique et agricole, la forte minéralisation d’eau à cause de l’évaporation.

Durant ces trente dernières années, la remontée des eaux a conduit à des migrations internes de populations et le changement progressif de l’occupation des sols. La progression semble se poursuivre inexorablement et avec elle les besoins croissants de la population qui atteindra selon l’Office national des statistiques près de 5 millions d’habitants dans la région de l’Oued Souf (Biskra-El Oued-Touggourt-Ouargla).

On ne connaît pas à ce jour le nombre exact des forages et puits qui prélèvent sur la nappe et qu’on estime à plus de 15 000, rien que pour l’Algérie. Beaucoup plus affirment d’autres sources. C’est tout l’enjeu de la préservation et de l’utilisation rationnelle de cette précieuse ressource fortement surexploitée à l’heure actuelle sans qu’on en sache dans quelle mesure avec exactitude. La gestion rationnelle et durable de ce «trésor transfrontalier du Sahara» exige une connaissance approfondie du SASS.

  • Toutes les graves atteintes que vous évoquez et tous les risques et conséquences de cette aveugle surexploitation, les autorités des trois pays, en Algérie surtout, s’en rendent-elles compte ?

Les responsables des trois pays exploitants ont pris conscience de ces risques. En 1972 un grand programme algéro-tunisien, l’ERESS, a permis de procéder à une première modélisation de l’exploitation de cet aquifère sur la base des prélèvements dans les deux pays et de prévisions d’utilisation. Vingt ans plus tard, l’ l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) prend le relais.

En 2012, la décision prise par le gouvernement algérien en faveur de l’exploration du gaz non conventionnel dont le gaz de schiste fait planer une nouvelle menace sur la mer souterraine du Sahara avec des risques aggravés de pollution de l’eau avec les adjuvants chimiques employés dans le processus de la fracturation hydraulique qui constitue déjà une accélération dans épuisement de la ressource avec des besoins importants en eau que nécessite le processus d’extraction du gaz.

En mai 2015, à la suite des protestations des populations du sud de l’Algérie, l’exploitation du gaz de schiste est mise en pause. En 2019, l’avant-projet de la nouvelle loi sur les hydrocarbures ne mentionne pas l’exploitation ni la production de gaz de schiste dans le futur. Faut-il penser que l’exploitation du gaz de schiste dit non conventionnel est abandonnée ?

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