Quand la reconnaissance viole l’obligation de non-reconnaissance : Retour sur le soutien de la France à l’occupation de la dernière colonie d’Afrique (1re partie)

24/11/2024 mis à jour: 08:22
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Au moment où la Cour internationale de justice (CIJ) vient de réaffirmer, dans son avis consultatif historique sur la Palestine, le caractère impératif «du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» et l’opposabilité erga omnes de l’obligation de non-reconnaissance d’une situation née de violations graves de normes impératives du droit international, le président français a décidé de reconnaître le fait colonial imposé par le Maroc au Sahara occidental, en déclarant, dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, à l’occasion du 25e anniversaire de son accession au trône, que «le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine» et que  le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 constitue désormais «la seule base» pour aboutir à une solution politique du conflit du Sahara occidental. 

Un revirement hasardeux qui, au demeurant, vient contredire les prétentions de la France qui ne cesse de clamer son attachement au respect du droit international lorsqu’il s’agit d’autres situations qui, pourtant, au plan juridique sont similaires à celle du Sahara occidental. 

En effet, et dans son exposé soumis à la CIJ en juillet 2023, dans le cadre de la procédure consultative portant sur les «conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-est», la France, se référant à l’avis consultatif de 1975 sur le Sahara occidental, a affirmé que «c’est le respect de la volonté réelle et authentique du peuple considéré qui permet à l’autodétermination de s’exercer en tant que droit, dans les multiples déclinaisons qu’il peut connaître dans une situation donnée»(1). 

La France a indiqué également dans son exposé que «le fait que l’occupation soit d’une durée particulièrement longue ne saurait, en tout état de cause, permettre de légitimer des prétentions d’annexion. Le passage du temps ne suffit pas, en matière d’acquisition de territoires par la force, à rendre licite une situation gravement illicite»(2), précisant que «dans les territoires palestiniens occupés, comme partout ailleurs, la France ne reconnaîtra jamais l’annexion illégale de territoires»(3).

Concernant la colonisation de peuplement, la France a rappelé que «le droit international interdit clairement la mise en œuvre, par la puissance occupante, de mesures qui seraient de nature à modifier la composition démographique du territoire considéré»(4), tout en soulignant qu’«il incombe encore à l’ensemble des états de ne pas aider au maintien d’une situation contraire au droit international et de faire respecter le droit international humanitaire»(5).

Manifestement, ce changement de position de la France s’explique, en partie, par l’ampleur des pressions lobbyistes soutenant les manœuvres  marocaines visant à contourner la légalité internationale et légitimer son occupation illégale du Sahara occidental, aussi bien en amenant certains pays à déclarer explicitement ou implicitement leur reconnaissance de la prétendue souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ou en exprimant leur soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc. Cette légitimation de l’occupation, pourtant condamnable, par certains États, à travers notamment l’ouverture de pseudo-représentations consulaires dans les territoires occupés ou par la participation  à  des activités officielles qui y sont organisées dénotent du mépris de ces derniers à l’égard du droit international et de ses normes fondamentales. 

Au plan juridique, la décision de la France constitue, entre autres, un manquement flagrant à l’obligation de non-reconnaissance d’une situation illégale, créée suite à des violations graves de normes impératives (jus cogens), consacrée par les règles du droit international les plus établies en matière de responsabilité des etats. Une obligation  réaffirmée à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour internationale de justice. Il s’agit en particulier des principales normes impératives que le Maroc a violées par son occupation prolongée du territoire du Sahara occidental, à savoir le non-recours à la force, le droit à l’autodétermination et la prohibition de la colonisation de peuplement.

Cette position française est de fait une violation flagrante qui engage la responsabilité juridique internationale de cet Etat de même que celle de ses dirigeants, y compris la responsabilité pénale, en raison de crimes de guerre et de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire perpétrés par le Maroc au Sahara occidental, au premier rang desquels le crime de colonisation de peuplement, qui est interdit par le Statut de Rome et la Quatrième Convention de Genève.

 En tout état de cause, la décision française ne pourra aucunement changer la destinée de la juste cause du Sahara occidental ni le statut juridique de cette dernière, comme ne l’ont, d’ailleurs, pas changé l’annonce de la reconnaissance de la prétendue souveraineté du Maroc sur ce territoire par l’administration Trump, le soutien du gouvernement espagnol au plan d’autonomie, l’ouverture de pseudo-consulats ni même les investissements étrangers dans ce territoire. Le Sahara occidental demeure un territoire non autonome et un territoire sous occupation, comme nous essaierons de l’expliquer et de l’analyser dans cette contribution basée sur des sources juridiques et des références documentées.  

I- Le Sahara Occidental : un territoire non autonome sous protectorat espagnol depuis novembre 1884 (Pointier 2004 : 64), le Sahara occidental a été inscrit par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur la liste des territoires non autonomes en 1963 (6). L’Espagne a accepté en août 1974 le principe de l’autodétermination du peuple sahraoui (Pointier 2004 : 93). 

Dans son avis consultatif rendu le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice a affirmé que «les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établiss(ai)ent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part (…) de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (7) quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire».(8) 

L’Accord de Madrid, conclu le 14 novembre 1975 par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie, qui portait sur l’instauration d’une administration temporaire dans le territoire, en remplacement de l’administration espagnole qui devrait prendre définitivement fin avant le 28 février 1976(9), «ne prévoyait pas de transfert de souveraineté sur le territoire ni ne conférait à aucun des signataires le statut de puissance administrante, statut que l’Espagne ne pouvait d’ailleurs unilatéralement transférer».(10) Le transfert des pouvoirs administratifs au Maroc et à la Mauritanie en 1975 n’a donc pas eu «d’incidence sur le statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome».(11)  

Une grande partie du Sahara occidental a été occupée par les troupes marocaines et mauritaniennes dès le 27 novembre 1975, suite à des affrontements violents avec le Front Polisario  (Bontems 1984: 151). La partie du territoire du Sahara occidental évacuée par les forces mauritaniennes, suite à l’accord de paix conclu avec le Front Polisario le 9 août 1979, a été immédiatement occupée par le Maroc. Il s’en est suivi une ferme condamnation de l’Assemblée générale dans sa résolution 34/37 (1979) du 21 novembre 1979, qui recommandait par ailleurs que le Front Polisario, «représentant du peuple du Sahara occidental», devrait participer pleinement à toute recherche d’une solution politique juste, durable et définitive de la question du Sahara occidental (12).  

Après des négociations sous l’égide de l’OUA et de l’ONU, le Maroc et le Front Polisario ont accepté, le 30 août 1988, un plan de règlement(13), qui prévoyait l’instauration d’un cessez-le-feu et l’organisation par l’ONU d’un référendum d’autodétermination au profit du peuple sahraoui. Cependant, la détermination de l’électorat concerné par ce référendum s’est heurtée à de nombreuses entraves et la commission d’identification n’a pu achever son travail que le 17 janvier 2000 (14), en recensant 86 386 personnes habilitées à voter sur un ensemble de 198 469 requérants interrogés. Contestant ces résultats, le Maroc a introduit 131 038 recours à partir du 11 février 2000, avant de  décider de ne plus poursuivre le processus de mise en œuvre du plan de règlement, en arguant son «inapplicabilité»(15). Par conséquent, le plan de règlement a été mis depuis en «veilleuse»(16).

Comme le peuple sahraoui n’a – à ce jour – pas pu exercer son droit à l’autodétermination, le Sahara occidental est toujours considéré par les Nations unies comme un territoire non autonome. Ce statut de territoire non autonome a été réaffirmé, entre autres, par la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait mis en exergue le statut «séparé et distinct» qui en découle afin de démontrer la non-applicabilité des accords économiques conclus entre le Maroc et l’Union européenne au territoire du Sahara occidental (17). 

De plus, et bien que l’Espagne se considère, depuis le 26 février 1976, déchargée de toute responsabilité et engagement international liés  à l’administration du Sahara occidental, elle conserve toujours, en vertu du droit international, sa qualité de puissance administrante du territoire. Cette qualité de puissance administrante de jure est reconnue aussi bien par les Nations unies (18) que par les juridictions espagnoles (19). 

En effet, le Ministerio Fiscal (ministère public espagnol) ainsi que l’Audiencia Nacional (Cour centrale espagnole) ont affirmé en 2014 que l’Espagne demeure toujours la puissance administrante du Sahara occidental qui, en tant que telle, maintient, jusqu’à la fin de la période de décolonisation, les obligations découlant des articles 73 et 74 de la Charte des Nations unies, au sein desquelles figure la protection, y compris la protection juridictionnelle, de ses citoyens contre tout abus (20). 

Il y a lieu de souligner que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été consacré par la Charte des Nations unies. Le deuxième but de l’ONU, inscrit à l’article premier de la Charte, est de «développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix dans le monde». Plus loin, à l’article 55, le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes a été érigé comme base des relations pacifiques et amicales entre les nations. 

Dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, la CIJ a souligné que «(c)es dispositions intéressent directement et particulièrement les territoires non autonomes que vise le chapitre XI de la Charte».(20) Dans son avis consultatif du 21 juin 1971 sur le Sud-Ouest africain, la Cour a également précisé que «l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires».(21) 

Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été canalisé au profit de la décolonisation à travers plusieurs résolutions pertinentes de l’Assemblée générale. Parmi lesquelles l’on citera la Résolution 1514 (XV)  du 14 décembre 1960, intitulée «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux» ; la Résolution 1541 (XV) du 15 décembre 1960 qui avait fixé les modalités d’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; et la Résolution 2625(XXV) du 24 octobre 1970, intitulée «Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les états conformément à la Charte des Nations unies».  

Ces résolutions «présentent sans doute un caractère incontournable, parce qu’elles ont été à peu près unanimement saluées comme les archétypes de textes dont l’adoption présentait une signification sur les plans à la fois juridique et politique, révélée et confirmée par une pratique subséquente, prenant expressément appui sur leurs dispositions».(22) 

L’appartenance du droit à l’autodétermination au jus cogens est affirmée par la doctrine majoritaire. Certains auteurs considèrent que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas seulement une norme impérative, mais que c’est un principe qui a largement contribué à l’inclusion de la notion de jus cogens dans la Convention de Vienne sur le droit des traités (Christakis 1999 : 28) (Cassese 1995 : 136). Selon d’autres juristes, l’autodétermination est devenue, avec le temps, «un principe primaire, d’où découlent les autres principes qui régissent la société internationale. Ce principe fait partie du jus cogens». (23) .(A suivre)


 

Par Hamza Hadj Cherif
Chercheur en droit international,
diplômé d’un Doctorat en droit de l’Université de Bordeaux
 

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