Production d'huile d'olive et filière oléicole : Le lourd poids des traditions

10/01/2022 mis à jour: 00:32
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La cour de l’huilerie traditionnelle / Photo : El Watan

Avec ses 400 huileries, son parc oléicole de plus 5 millions d’oliviers et une production annuelle moyenne de 20 millions de litres d’huile d’olive, Béjaïa reste la principale place forte de l’oléiculture en Algérie. Cependant, elle risque d’être détrônée par les zones steppiques  des Hauts-Plateaux, comme Djelfa où la culture de l’olivier connaît de très beaux succès. Pourtant, malgré son immense potentiel, l’oléiculture algérienne peine à tenir toutes ses promesses. L’absence d’accompagnement de la part de l’Etat des principaux acteurs de la filière et le poids de traditions dans ce secteur retardent le décollage.

Hakim Aïssat, chef de service production au niveau de la Direction des services agricoles de Béjaïa, est catégorique. Il n’y a qu’une seule manière de dynamiser le secteur de l’oléiculture à l’échelle locale ou nationale, c’est d’améliorer l’itinéraire technique. «Cela fait des années que nous insistons là-dessus mais sans grands résultats», dit-il.

Ce que les spécialistes appellent l’itinéraire technique est l’ensemble du parcours de l’huile d’olive de l’arbre à la table du consommateur. Les olives doivent être récoltées à la main à un stade précoce, puis acheminées dans les meilleurs délais vers le moulin pour être triturées.

Riche en polyphénols, ces précieux antioxydants qui font toute sa valeur, l’huile ainsi obtenue doit être stockée dans des cuves en inox avant sa mise en bouteille et sa commercialisation dans des bouteilles qui ne laissent pas passer la lumière pour qu’elle ne s’oxyde pas et garde toutes ses propriétés.

De l’avis de tous les experts, l’amélioration de cet itinéraire passe par la mise en place de coopératives agricoles. «Nous ne pouvons pas avancer sans mettre en place les coopératives agricoles qui regroupent l’ensemble des acteurs de la filière, des producteurs aux transformateurs», dit encore Hakim, qui a passé toute sa carrière professionnelle à accompagner les agriculteurs et connaît donc parfaitement son sujet.

Pour lui, la dynamisation du secteur de l’oléiculture passe par le regroupement de l’ensemble des acteurs de la filière dans des coopératives qui peuvent avoir un caractère local ou national.

C’est exactement ce que tentent de mettre en place des acteurs importants de la filière locale comme Lakhdar Ibaliden, oléifacteur à Bouhamza et son collègue Sabi Kamel de Takeriets.

«Nous venons de lancer une coopérative qui regroupe plusieurs oléifacteurs de la région. Nous avons l’intention de l’ouvrir à tous ceux qui activent dans la filière en commençant par les fellahs. C’est le premier pour allier qualité et quantité en vue de nous positionner sur le marché international», dit Lakhdar Ibaliden.

«Notre huile est naturellement bio»

Oléifacteur de père en fils dans la commune de Bouhamza, la famille Ibaliden possède trois huileries. Ce métier fait donc partie de la tradition familiale depuis plusieurs générations.

«Mon père m’a raconté qu’il se souvenait avoir vu mon grand-père fabriquer son moulin de ses propres mains dans les années 1940. Il se rappelle l’avoir vu tailler les meules de pierre dans le lit de la rivière Bousselam», dit Lakhdar. Son premier moulin ayant été brûlé par l’armée française durant la guerre de Libération, la famille rachète une huilerie à traction animale en 1969.

Un créneau et un métier dont elle ne va jamais se séparer puisque aujourd’hui Lakhdar, ses frères et ses cousins possèdent plusieurs huileries, y compris la dernière version de la gamme Vanguard de Pieralisi. «Notre région, Bouhamza, est connue depuis toujours pour sa production d’olives. Nous avons beaucoup de clients, y compris des régions limitrophes comme Bordj mais avec une seule huilerie, on ne peut pas satisfaire tous les fellahs qui nous ramènent leurs productions. Par contre, quand on en a plusieurs, les olives ne tardent pas trop longtemps avant d’être triturées, ce qui est quand même un gage de qualité d’huile produite», dit-il encore.

Ainsi, Lakhdar peut aujourd’hui faire dans le conditionnement en vue d’exporter son produit. Dès que les salles de stockage, les cuves en inox et les chaînes d’embouteillage seront prêtes. «Nous travaillons aujourd’hui avec des palox, des caisses en plastique spécialement conçues pour les olives. Nous pouvons exporter très facilement, d’autant que l’huile de nos montagnes est naturellement bio sans engrais chimiques», explique Lakhdar.

Sebai Zohir, ingénieur assistant au niveau de la ferme de démonstration de l’ITAF, l’Institut technique de l’arboriculture fruitière, sise à Takeriets et membre du jury national de dégustation des huiles, plaide également pour un travail de sensibilisation afin de changer les mentalités dans les milieux de l’oléiculture.

«On ne pourra se porter mieux que si nous changeons notre façon de faire à toutes les étapes de la production», dit-il Pour lui, la filière oléicole qui avait une place à l’international mais elle a régressé par manque d’organisation depuis la dissolution de l’Onapo (Office national algérien des productions oléicoles) en 1981 pour laisser place à des offices régionaux.

«Avant, les producteurs n’avaient pas de difficultés à commercialiser leur production. Aujourd’hui, la filière est complètement désorganisée. Malgré tout, le potentiel du pays reste énorme surtout avec l’introduction et la réussite de l’oléiculture dans les zones steppiques. Il suffit d’un peu plus de moyens de la part de l’État et d’une meilleure organisation pour arriver à dynamiser la filière et à exporter», dit-il.

Béjaïa possède un parc oléicole de 58 000 hectares dont 51 000 en production. Cela représente un peu plus de 5 millions d’arbres. Cette année, malgré la sécheresse, le rendement est au rendez-vous en haute Soummam, là ou se trouve l’essentiel du parc oléicole.

Avec une production moyenne de 20 quintaux l’hectare, on table sur une production globale de 19 millions de litres malgré la perte de 2400 hectares lors des incendies de l’été dernier. A elle seule, Béjaïa possède une dizaine d’excellentes variétés d’oliviers.

«Au plan national, l’Algérie possède 36 variétés dûment homologuées, mais en prospectant nous découvrons encore d’autres variétés qui ne l’ont pas encore été», précise Zohir Sebai.

«Il faut changer les habitudes et les mentalités»

«Le travail qui nous reste à faire en matière de sensibilisation est énorme», insiste pour sa part Hakim Aïssat, pour qui il faut absolument convaincre les agriculteurs de récolter selon les normes internationales et d’abandonner les sacs de jute dans lesquels ils transportent leurs olives.

Pour lui, il est indispensable de travailler aussi à changer les habitudes et les mentalités. «Pour le commun des Algériens, une bonne huile est forcément douce. Nous n’avons pas l’habitude de l’huile vierge extra qui est amère et piquante. Pourtant, seule l’huile extra vierge avec un taux inférieure à 0,3% peut être exportée. C’est ce qu’il faut produire», plaide Hakim Aïssat.

Ces dernières années, des Algériens activant dans cette filière sont allés voir ce qui se passe dans les grands pays producteurs d’huile d’olive, comme le Maroc, la Tunisie, l’Espagne ou l’Italie. Ils reviennent avec une vision plus concrète de ce qui doit se faire et corrigent ainsi le tir. Installée à Takeriets, la famille Sabi possède trois grandes huileries et reste l’un des acteurs incontournables de la filière oléicole dans la vallée de la Soummam.

«Nous comptons bientôt démarrer le conditionnement et nous avons aussi pour projet une chaîne de transformation du grignon pour produire de l’aliment de bétail et du combustible», explique Kamel Sabi.

Le marché national offre également un potentiel à ne pas négliger, la moyenne nationale de la consommation d’huile nationale n’étant que de 2 litres par an et par habitant.

Pour rappel, l’objectif arrêté par le ministère de l’Agriculture était de passer, à l’horizon 2025, à une consommation de 7 litres d’huile d’olive par habitant et par an. «Il y a les nouvelles plantations qui vont rentrer progressivement en production et c’est là que les grands volumes vont arriver. Nous devons aider les petites exploitations familiales en Kabylie à réaliser leur transition.

Elles sont menacées par les nouveaux systèmes de production plus modernes et plus mécanisés et il faudrait les préparer à cela car il est important que ce système de production ne disparaisse pas car il valorise la montagne, valorise la ressource locale et stabilise la population en diminuant l’exode rural», nous expliquait récemment Ali Ferrah, coordinateur national du PASA, le fameux Programme d’appui au secteur agricole que pilotent des experts nationaux et internationaux et qui est financé principalement par l’Union européenne. 

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