«On peut alors affirmer qu’examiner l’œuvre de Merzak Allouache, dans son ensemble et en continuité, permet de mieux comprendre l’Algérie (…)», tranche Nabil Boudraa, auteur d’un essai sur la production du réalisateur algérois.
Son premier long métrage a marqué les spectateurs. Le film, qui met en scène la vie d’un jeune Algérois de Bab El Oued sera vu comme le miroir fidèle de la première génération post-indépendance. Le moment était, certes, à l’euphorie révolutionnaire, mais les signes d’un malaise social profond, surtout chez les jeunes, commençait à prendre forme. Le réalisateur est Merzak Allouache.
Il a connu la reconnaissance internationale grâce à Omar Gatlato, sélectionné à la semaine de la critique internationale du Festival de Cannes en 1977, mais le prodigieux metteur en scène est loin d’être l’auteur d’une seule œuvre. Suivra à ce jour une quarantaine de films, dont certains ont reçu un accueil exceptionnel.
Un regret : toute cette production filmique n’a suscité que de très rares essais critiques, l’un des plus connus est l’essai de Wassyla Tamzali, En attendant Omar Gatlato, regards sur le cinéma algérien (1979), réédité cette année. Un universitaire très consciencieux vient «combler, non seulement un manque, mais une injustice criante», note très justement Ahmed Bedjaoui. Universitaire algérien établi aux Etats-Unis, Nabil Boudraa publie chez Chihab
«L’Algérie dans le cinéma de Merzak Allouache», traduit de l’anglais par M.Bedjaoui. L’universitaire précise, dans son avant-propos, qu’à travers l’analyse de l’ensemble de la filmographie de Merzak Allouache, il «concentrera sur les transformations qui ont littéralement transfiguré le tissu social, politique et culturel de ce pays depuis son accession à l’indépendance en 1962».
Pour l’auteur, avec l’Algérie chevillée au corps, Allouache «aborde les questions essentielles» qui touchent le pays depuis son indépendance à nos jours. «Cette approche l’a parfois placé au centre des débats dans les milieux politiques, la presse et même le monde universitaire. La plupart de ses films (surtout ceux produits au cours des quinze dernières années) ont donné lieu à de nombreuses controverses et lui ont valu de fréquentes attaques dans les médias», note-il dans son texte, publié aux Etats-Unis en 2020, et enrichi dans son épilogue, de trois analyses des derniers longs-métrages du réalisateur.
Dans son premier chapitre, l’universitaire évoque le passage du cinéma «Mujahid au Cinéma Jdid». Il note que le réalisateur trentenaire, qui a su contourner la censure pesante de l’époque, a marqué avec son premier long métrage «une rupture avec le cinéma dit révolutionnaire et a inauguré le cycle de ce qu’(il) qualifierai(t) de cinéma néoréaliste engagé».
Si le premier film a connu le succès, les deux autres (Les Aventures d’un héros et L’Homme qui regardait les fenêtres) «ont été considérés comme des échecs artistiques, y compris par Allouache lui-même». «Ces deux films sont des œuvres d’étape qui lui ont permis de chercher sa voie», analyse-t-il.
«L’œil du cyclone »
Allouache, comme le note l’universitaire, s’est intéressé à la question de la montée de la violence en Algérie. «En annonçant l’arrivée imminente de la violence, Bab El-Oued City (1994), plusieurs fois primé, inaugure un nouveau cycle dans la filmographie de l’auteur, tandis qu’avec L’Autre monde (1999) les spectateurs sont propulsés dans l’œil du cyclone avec un étalage impitoyable des horreurs vécues au cours de la tragique décennie», précise-t-il, relevant qu’en représentant la violence extrême à l’écran, Allouache «espère aider ses compatriotes à surmonter et à exorciser leur traumatisme».
Boudraa s’est focalisé sur l’autre travail du réalisateur qui s’est installé à la fin des années 1980 en France : la harga. Il évoque «la vision que se fait Merzak Allouache de l’Algérie après l’an 2000, tandis que le pays navigue entre les horreurs du passé, un présent inconfortable et la perspective d’un avenir incertain».
L’auteur, qui disséquera toute l’œuvre allouachienne, note à raison qu’«il est relativement facile d’établir des liens entre les films d’Allouache, et une fois le puzzle reconstitué, il prend forme dans l’esprit de chacun de nous». «On peut alors affirmer qu’examiner l’œuvre de Merzak Allouache dans son ensemble et en continuité permet de mieux comprendre l’Algérie […]», tranche-t-il, relevant que le but du réalisateur «n’est pas de juger, blâmer, ni de stigmatiser quiconque, mais de mieux comprendre les raisons des nombreuses difficultés que son pays natal affronte depuis son indépendance en 1962».
Merzak Allouache, dont l’entretien avec l’auteur est publié en fin d’ouvrage, le note sans ambages :
«Je me considère comme un cinéaste engagé. Par contre, mes films ne sont pas des slogans politiques. Ce sont des fictions le plus souvent qui n’occultent pas les problèmes que vit le pays.
Ce n’est pas parce que je n’ai pas la carte d’un parti quelconque que je n’ai pas d’opinion. Ce que je pense se voit dans tous mes films.»
«J’ai mon pays chevillé au corps»
«(…) Je suis né et j’ai grandi à Alger. Je n’y habite plus depuis longtemps mais j’y reviens très régulièrement. L’inspiration qu’il m’est donné de ressentir dans mon pays est à nulle autre pareille. Il en est ainsi depuis mes premiers courts métrages tournés à l’institut du cinéma d’Alger. Dès que je mets les pieds dans ce pays, dans cette ville, j’ai l’impression de n’en être jamais parti. Je retrouve les mêmes situations, les mêmes histoires, les mêmes problèmes, la même mentalité. Il semble que tout est figé depuis des décennies. J’y retrouve aussi les souvenirs de ma jeunesse avec un brin de mélancolie. J’ai, comme on dit, ce pays chevillé au corps. Je me sens bien lorsque je tourne ici tout en étant très stressé la plupart du temps et malgré un environnement plutôt hostile. […]Malgré la perte de mon public originel (il y a déjà longtemps), j’essaie de me convaincre de poursuivre mon travail de réalisateur et garder l’espoir qu’un jour, mes films feront partie du patrimoine cinématographique algérien et seront vus par les cinéphiles des générations futures qui auront étudié le cinéma à l’école, au lycée, et qui auront créé des ciné-clubs dans toutes les villes du pays (…).»