Les non-dits délibérés du documentaire écrit par Benjamin Stora et George Marc Benamou

27/03/2022 mis à jour: 20:45
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Photo : D. R.

Benjamin Stora et George Marc Benamou, deux pieds-noirs d’Algérie, ont eu le mérite de tenter de narrer une histoire appelée depuis toujours par les historiens français «la guerre d’Algérie», sur laquelle il existe encore tant de passions et de récriminations des deux rives de la Méditerranée.

Un scénario plus ou moins équilibré, dans ce documentaire, qui a tenté de donner la parole à tous les protagonistes. Un grand débat s’en est suivi sur le plateau de télévision de France 2, pour écouter les avis des uns et des autres, en guise de témoignage du drame.

D’emblée, il faut dire que l’histoire de cette guerre, qui a duré 132 ans, est très difficile à raconter, à travers un documentaire qui a tenté de restituer les principaux événements de cette tragédie, tout en ignorant des événements importants et dramatiques.

A travers ce documentaire, il me paraît nécessaire de tenter de participer à ce débat, en apportant un autre éclairage, d’un enfant de la révolution, sur certains propos qui ont été dits, pour apporter un éclairage nouveau et critique, proche du ressenti de la population algérienne, une grande victime de cette tragédie nationale.

Si les historiens français ont préféré parler «de guerre d’Algérie», expression entrée dans la littérature et reprise par toutes les parties, il me paraît nécessaire de me poser la question si l’expression «guerre d’Algérie» restitue la réalité de ce drame ?

«La guerre d’Algérie» signifie que nous sommes en présence de deux armées, dans une guerre classique, expurgée de la notion du colonisateur et du colonisé. Dans la réalité, l’expression guerre d’Algérie est une forme d’occultation de cette dimension, mettant en présence un occupant et un occupé qui ne fait pas la guerre mais qui subit la guerre qu’on lui impose.

Le peuple algérien a résisté, à travers tout le temps de la colonisation, à une entreprise de déchéance de son identité, de sa propriété et de sa dignité, ayant provoqué la marginalisation de tout un peuple classé dans un statut de seconde zone, banni et tombé dans le dénuement et la pauvreté extrême, des suites d’un code de l’indigénat, ayant réduit le peuple algérien au statut d’esclavage.

Ce sont ces faits importants, en rapport avec le bannissement de toute la population algérienne et la tentative d’exterminer tout un peuple, par son remplacement par un peuple européen, qui n’ont pas été mis suffisamment en évidence, et cela me semble ne pas être une simple omission.

Une expression narrative et édulcorée a été lancée, dès le début du documentaire, où le narrateur parle de 132 ans «de présence française» en Algérie, et non de colonisation française. 

Un euphémisme délibéré, devant occulter une entreprise de conquête, de colonisation et de domination de l’Algérie, par la force.

Dans le documentaire, on a présenté les chefs du FLN comme des radicaux, qui ont tout fait pour faire capoter les initiatives de paix, alors que la réalité était tout autre. Le documentaire, qui diabolise les chefs du FLN, ne dit pas que c’est le peuple algérien qui voulait en découdre à tout prix pour chasser le colonisateur.

Le documentaire a fait la promotion de thèses s’opposant à celles du FLN, comme celles de Ferhat Abbès et de Messali El Hadj, présentés comme des modérés et des hommes de paix, proches de la France, qui auraient pu éviter la guerre et encourager «la solution coloniale, d’une autonomie, en gardant l’Algérie annexée à la France».

Il faut absolument corriger un amalgame, entretenu sciemment dans ce documentaire, voulant faire croire que de Gaule est un homme de paix, «qui a octroyé l’indépendance à l’Algérie».

De telles idées sont fausses et elles ne sont que les propos et les accusations des pieds noirs et de l’OAS, qui ont reproché à de Gaule de vouloir brader l’Algérie.

Ce que ne dit pas aussi le documentaire, c’est que les pieds noirs ont pris fait et cause pour les thèses des ultras de l’Algérie française en les soutenant chaque soir, en tapant sur des casseroles métalliques, à partir des balcons des immeubles européens ou en participant à «des opérations de pacification» ou à des manifestations massives, soutenant l’Algérie française.

Sur ce thème, on doit éviter de généraliser, en rappelant que beaucoup de pieds noirs, des juifs et des Français, qui ont, non seulement soutenu la révolution, mais ils se sont engagés dans les maquis, aux côtés des Algériens, dont certains sont morts les armes à la main.

Il faut dire que de Gaule a combattu de toutes ses forces la révolution algérienne en envoyant en Algérie 1 500 000 appelés de l’armée française et en construisant les deux lignes électrifiées, Morice et Challe. De Gaule s’est rendu à l’évidence que la France allait connaître, en métropole, le chaos qui menaçait la stabilité et la sécurité de la France.

De Gaule a pesé de tout son poids, dans les négociations avec le FLN, pour provoquer des scissions, au sommet de la hiérarchie du FLN et organiser une partition de l’Algérie pour lui retirer le Sahara, qui représente les 3/4 de son territoire.

De Gaule est un général qui a renié son passé de résistant, qui n’a pas fait la guerre d’Algérie, mais qui a fait la guerre contre l’Algérie, en installant partout des comités de salut public, pour défendre l’Algérie française.

Le documentaire a aussi tenté de dédouaner subtilement l’Etat français, en rendant responsables, exclusivement, les ultras d’Algérie, «qui ont fait capoter» toutes les initiatives de paix, engagées par la France, pour une sortie de crise. 

Si cela n’a pas été dit dans ce documentaire, on doit le dire haut et fort. Tous les drames du peuple algérien sont connus et personne ne peut manœuvrer pour dédouaner la responsabilité de l’Etat français, dans cette guerre, menée sans pitié contre le peuple algérien.

Si les trois présidents Sarkozy, Hollande et Macron ont reconnu que la colonisation était une violence contre le peuple algérien, par contre, aucun d’eux n’a enjambé le pas de la discorde, pour demander pardon, en guise de repentance.

Cela a été occulté dans le documentaire, qui a par contre mis l’accent sur le courage et l’audace de ces trois présidents, qui ont tenu, selon Benjamin Stora «des propos forts», au sujet de la guerre contre l’Algérie.

Le documentaire a mis l’accent sur le «courage et l’audace» de ces trois présidents, sans mettre en évidence cette culture coloniale, encore vivace, qui pèse très lourd dans le fonctionnement des institutions de la République française, qui empêche de construire, sereinement, les passerelles d’un avenir non conflictuel pour les générations futures.

Le président Macron s’est engagé dans une démarche devant morceler la mémoire de l’histoire de la guerre contre l’Algérie, en mettant en scène des scénarios de repentance et de pardons individuels, pour Boumendjel et Audin, dans le but de ne pas entrer en confrontation avec le lobby de l’Algérie française en métropole. Avec un tel état d’esprit, au sein de la classe politique française, on peut dire, sans se tromper, que la décolonisation n’est pas encore totalement assumée par les autorités politiques françaises.

Macron a exprimé son pardon au petit-fils de Boumendjel qui vit en France et qui n’a pas manqué d’exprimer, contre toute attente, sur le plateau de télévision de France 2, son amour pour la France. Une déclaration inopportune qui aurait pu être faite dans un autre cadre. Une telle déclaration du petit-fils de Boumendjel ne cadre pas avec le thème de la guerre contre l’Algérie et de la mémoire de son grand-père, lâchement assassiné. Une autre manipulation qui a malheureusement piégé le petit-fils du chahid Boumendjel.

Les massacres de harkis d’Algérie et de colons de la ville d’Oran nécessitent des compléments d’information importants, non cités, pour corriger la présentation, par ce documentaire, de ces deux événements.

Je dois dire, en connaissance de cause, que les dossiers des harkis sont des dossiers lourds dont les auteurs ont commis des exactions et des crimes, très graves, contre les populations civiles algériennes.

Le documentaire parle uniquement de massacres de harkis, mais il passe sous silence les massacres commis par les harkis, dans les douars et les villages d’Algérie. Les massacres des régiments de harkis, commis en Algérie, sur des populations civiles, sont connus et ils restent gravés dans la mémoire des populations locales.

Je raconterai l’histoire de ce harki, qui est revenu en Algérie, en 1995, pour aller rendre visite à sa famille, dans son village natal, quelque part en Algérie. Ce harki est connu pour avoir commis des exactions contre des populations civiles. Il a failli être lynché par la population, n’était l’intervention et la protection des autorités locales.

L’interdiction d’entrée sur le territoire national des harkis est une mesure d’ordre public qui doit éviter de rouvrir des blessures, subies par la population algérienne.

Ce que semblent méconnaître certains penseurs de la guerre contre l’Algérie, c’est que les enfants d’Algérie, dont les parents ou les grands-parents ont été assassinés par ces harkis connaissent l’identité et les noms de ces assassins. Le sentiment de vengeance peut ressurgir à tout moment si ces criminels reviennent au pays.

Par contre, les harkis, qui n’ont pas commis d’exactions contre les populations civiles, ont continué à vivre paisiblement en Algérie, comme le reste des Algériens.

Pour les massacres de colons à Oran, il est important de dire que ces actes ne sont pas des crimes gratuits, et pour comprendre un tel événement, il faut raconter toute l’histoire de ce qui s’est réellement déroulé à Oran.

Les quartiers arabes d’Oran ont été soumis à des pilonnages, pendant plusieurs jours, de la part de l’OAS, qui voulait se venger, et là, le documentaire ne fait pas la relation entre la vengeance des Oranais et le bombardement de leur quartier par l’OAS, avec le consentement de l’armée française qui n’est pas intervenue pour protéger les populations algériennes. Des centaines d’Oranais ont été massacrés et on a dénombré des centaines de morts.

Dans ce documentaire, on parle des massacres de colons à Oran, mais le massacre des Oranais par l’OAS a disparu comme par enchantement.

Selon le témoignage des autorités françaises, le nombre d’attentat commis par l’OAS, durant quatre mois, est de loin supérieur aux attentats commis par le FLN, durant six ans.

C’est en mettant en relation  toutes ces informations que nous pourrons comprendre pourquoi les Européens ont quitté massivement l’Algérie, pour la simple raison, les pieds noirs ne croyaient qu’à une Algérie française et non algérienne.

On ne peut pas reprocher à Benjamin Stora et à George Marc Benamou de ne pas connaître l’histoire de la guerre contre l’Algérie, mais dans ce documentaire, ils ont fait des choix, et là, on peut leur reprocher de ne pas avoir parlé des bombes atomiques de Reggane et de In Ecker, qui sont des événements graves qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas occulter.

Le choix des lieux des essais nucléaires, dans le Sud algérien, s’est fait théoriquement par la France, sur le critère de l’absence de populations, autour des sites choisis. Or, dans la réalité, les sites étaient constitués d’un nombre important de villages. Une information cachée à l’opinion publique par les autorités françaises.

Quarante essais nucléaires ont été effectués à In Ecker et à Reggane. Quand l’armée française à évacué définitivement les sites de Reggane et de In Ecker, elle n’a pas remis aux autorités algériennes les plans des sites et des enfouissements radioactifs pour permettre aux autorités algériennes de fixer, pour des raisons de sûreté, le périmètre des zones géographique contaminées.

La loi Morin de 2010 a prévu une indemnisation pour les victimes des essais nucléaires français, mais seul un dossier algérien a pu obtenir réparation en 10 ans, alors que des milliers de personnes sont chaque année  contaminées, provoquant des cancers, des malformations de nourrissons et d’autres maladies graves, engendrées par les radiations des explosions nucléaires.

L’Algérie doit exiger de la France réparation, par le paiement d’un dédommagement annuel, pour une durée indéterminée, pour les préjudices radioactifs, causés à la faune, à la flore et aux populations.

Tous ces crimes ont été éludés par ce documentaire, pour ne pas impliquer la responsabilité de l’Etat français. Les bombes atomiques d’In Ecker et de Reggane, en Algérie sont du même niveau que les crimes nazis commis en Europe

Par Hacène Kacimi
Expert en relations internationales

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