En raison d’une multiplication de chocs externes, les uns plus violents que les autres, depuis trois ans, l’économie mondiale est sous pression du fait d’un environnement d’incertitude totale et de risques multiples. Citons une inflation qui demeure très élevée après une année de resserrement des conditions monétaires, des turbulences dans le secteur bancaire et des risques géopolitiques aigus. Non sans surprise, le bilan macroéconomique à la fin du premier trimestre de 2023 est mitigé, avec les Etats-Unis et la zone euro enregistrant de faibles taux de croissance.
La Chine, pour sa part, observe une croissance économique plus forte que prévue. Pour les mois à venir et 2024, les perspectives de croissance sont défavorables. En effet, les autorités ne peuvent retarder davantage des arbitrages difficiles : se refocaliser sur la lutte contre l’inflation (qui entretient une crise aiguë du coût de la vie et plonge de nombreux ménages à travers le monde dans la précarité) ce qui implique la poursuite de la hausse des taux d’intérêt directeurs qui en revanche peut déclencher une récession et exacerber une instabilité financière au moment où les systèmes bancaires de nombreux pays montrent des signes inquiétants de fragilité.
En filigrane de ce contexte difficile, les tensions géostratégiques sont en train de donner naissance à des fractures au niveau du cadre institutionnel de gouvernance mondiale. Face à tout cela, la meilleure défense de l’Algérie, membre ou pas membre des BRICs, est de mettre en place des politiques publiques qui permettent d’atteindre le potentiel de croissance économique réelle en renforçant les variables-clés que sont la population et la productivité économique du pays par le biais de réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles. Discutons de tous ces points.
Les grands pôles de croissance : ralentissement de l’activité, inflation élevée et perspectives incertaines en raison de la multitude de risques
• Le pôle de croissance des Etats-Unis : l’activité économique aux Etats-Unis a ralenti plus que prévu au premier trimestre (1,6%), l’accélération marquée des dépenses de consommation ayant été compensée par la liquidation des stocks par les entreprises en prévision d’une demande plus faible au cours des prochains mois du fait de coûts d’emprunt plus élevés, du ralentissement des prêts et de l’anticipation d’une éventuelle récession si la crise bancaire rebondit. L’inflation se situe toujours à un niveau élevé de 5%.
• Le pôle de croissance de la zone euro : au cours du premier trimestre de 2023, la production a augmenté de 0,1% (évitant ainsi la récession hivernale prévue dans le sillage de la crise énergétique de l’été 2022). L’économie de la zone euro est désormais supérieure de 1,3% à son niveau du premier trimestre 2022. Le défi est désormais de soutenir la reprise, vaincre l’inflation et préserver la stabilité financière. Pour le reste de 2023, la croissance ne devrait atteindre que 0,7% (3,6% en 2022) en raison d’une chute de l’investissement liée à un environnement d’incertitude. L’inflation pour sa part reste très élevée à fin mars 2023 (6,9% contre 8,9% en février). Cette combinaison de faible croissance et d’inflation élevée semble suggérer que la BCE va ajuster de façon modérée ses taux d’intérêt le 4 mai.
• Le pôle de croissance Chine. Au cours du premier trimestre de 2023, l’économie chinoise a progressé de 4,5% par rapport à la même période en 2022, un niveau excédant les prévisions et qui suggère que le pays pourrait atteindre son objectif annuel de 5%. Une analyse détaillée des données fait toutefois ressortir une croissance déséquilibrée et une économie devant confronter de nombreux défis, y compris une faible demande intérieure et extérieure et un manque persistant de confiance du secteur privé et des marchés qui ont besoin d’action concrètes de la part des autorités en appui d’une relance de l’investissement privé national.
• Les économies émergentes et en voie de développement. La croissance économique pour ce groupe de pays devrait atteindre 3,9% en 2023 et 4,2% en 2024, des sous-performances reflétant la hausse des coûts du service de la dette, la faiblesse de la demande d’exportation et la capacité limitée des gouvernements à stimuler la croissance tout en maintenant la confiance des marchés financiers internationaux.
Les prix des produits de base, en baisse au cours du premier trimestre de 2023, pourraient éventuellement demeurer stables pour le reste de 2023 et 2024. La guerre en Ukraine a déclenché une flambée des prix qui est désormais retombée du fait du ralentissement de l’activité économique, des conditions hivernales favorables et d’une réorientation mondiale des flux commerciaux de produits de base. Selon la Banque mondiale, les prix mondiaux des matières premières ont chuté de 14% au premier trimestre 2023 et, à fin mars, ils étaient inférieurs d’environ 30% par rapport à leur sommet historique de juin 2022.
Pour le reste de l’année, ils devraient rester globalement inchangés quoique que prévus de se situer au-dessus des niveaux prépandémie, ce qui perturbera de nouveau l’accessibilité et la sécurité alimentaire. Par ailleurs, un futur rebond des prix n’est pas à écarter en cas d’éventuelles perturbations de l’approvisionnement en énergie et en métaux (en partie dues à des restrictions commerciales), d’exacerbation des tensions géopolitiques, de reprise plus forte que prévu du secteur industriel chinois et de phénomènes météorologiques défavorables.
Le problème de l’inflation demeure la menace principale sur le plan macroéconomique. Après une année de resserrement des conditions monétaires, l’inflation demeure à des niveaux élevés dans le monde. Le défi est de la maîtriser avant que ne soient ancrées les anticipations inflationnistes qui seront très difficiles à éliminer. Un retour aux cibles d’inflation de 2% semble improbable au stade actuel pour les raisons suivantes: (1) les conditions de l’offre sont devenues plus inflationnistes, car le ralentissement de la mondialisation et d’autres chocs ont durable¬ment réduit l’élasticité de l’offre d’intrants-clés ; (2) la persistance des tensions sur le marché du travail et la réponse des banques centrales ; et (3) la durée de la guerre en Ukraine et son impact sur les prix de l’énergie, les prix des denrées alimentaires et la croissance mondiale.
La valeur du dollar continue à se déprécier
Le dollar a enregistré une hausse pendant près de 18 mois qui l’a porté à un nouveau sommet depuis 20 ans contre un panier de devises en septembre 2022. Si l’appréciation du dollar s’explique par la hausse prononcée des taux d’intérêt de la part de la FED, son recul récent reflète essentiellement une réduction des attentes de hausse des taux d’intérêt américains. La semaine dernière, le dollar a atteint son plus bas niveau en un an face à l’euro ainsi que l’ensemble du panier de devises.
Pour le reste de 2023, les investisseurs parient sur une nouvelle baisse du dollar en raison de : (1) la limitation de la marge de manœuvre de la FED pour relever les taux d’intérêt dans le sillage de la crise bancaire du début de mars ; et (2) la recherche de rendements à l’étranger, notamment en Europe (qui semble avoir repris le chemin de la croissance), le Royaume-Uni et le Japon (le nouveau gouverneur de la Banque du Japon, pourrait alléger sa dépendance de longue date à une politique monétaire ultra-accommodante dans un contexte de pressions à la hausse sur les taux d’intérêt).
Les tensions géostratégiques fracturent l’ordre monétaire international établi.
La hausse du renminbi dans les échanges internationaux : La part du renminbi dans le financement du commerce international a doublé depuis le début de la guerre en Ukraine pour plusieurs raisons :
(1) la hausse du coût d’utilisation du dollar ; (2) une plus grande utilisation de la monnaie chinoise pour faciliter les échanges avec la Russie ainsi que le règlement des transactions transfrontalières sur les matières premières ; et (3) et l’amélioration de l’accès mondial aux dérivés liés aux actifs en renminbi. Les données de Swift montrent une hausse de la part du renminbi en valeur du marché passant de moins de 2% en février 2022 à 4,5% un an plus tard. Ces gains placent la monnaie chinoise en concurrence directe avec l’euro qui représente 6% du total.
Toutefois, la part combinée de l’euro et du renminbi (10,5%) reste minuscule par rapport à celle du dollar (84,3% en mars 2023). Cette hausse est conforme à la stratégie de la Chine d’internationalisation du renminbi. Cependant, à la lumière des contrôles stricts des capitaux maintenus par la banque centrale chinoise, peu d’experts s’attendent à ce que le renminbi monte de sitôt en flèche dans les rangs des devises de paiement mondiales.
Les menaces sur la domination du dollar sont exagérées et ne sont pas près de remettre en cause la position centrale des Etats-Unis dans l’ordre financier international. Bien que les échanges commerciaux adossés au renminbi puissent continuer à croître, la devise chinoise ne représente encore qu’environ 3% des réserves de la banque centrale. L’éminence du billet vert est renforcée par son énorme liquidité, l’ouverture des Etats-Unis au commerce et aux investissements et la confiance dans ses institutions de soutien.
Le système financier chinois est en revanche moins développé, sa monnaie n’est pas entièrement convertible en raison du contrôle des capitaux et il lui manque un véritable État de droit. L’activité économique mondiale est toujours dominée par les États-Unis et leurs alliés, ce qui rend difficile d’éviter le dollar. La plus grande menace pourrait provenir, toutefois, des monnaies numériques des banques centrales, moyens plus efficaces de règlement des transactions. Les États-Unis prennent enfin conscience de ce danger et prévoient d’accélérer les efforts de numérisation du dollar. Etant donné qu’il n’y a pas d’alternative viable pour le remplacer, les discussions et rumeurs sur le déclin du dollar sont exagérées.
Le découplage économique Etats-Unis - Chine ne répond aux intérêts de personne. Les tentatives de découplage seront limitées par les réalités économiques. En effet, les nouvelles politiques industrielles aux États-Unis (et en Europe) pourraient très bien conduire à la diversification des importations américaines, réduire les risques en termes de sécurité nationale et procurer des avantages économiques à l’Asean en déplaçant une partie de l’activité manufacturière de la Chine vers l’Asie du Sud-Est. Cependant, il est peu probable que ces politiques remettent fondamentalement en cause la position centrale de la Chine dans les réseaux régionaux de commerce et de production à moyen terme.
De plus, alors que la Chine devient sans aucun doute plus importante pour les économies régionales en tant que marché et source de capital financier, les Etats-Unis et leurs alliés développés restent les principaux fournisseurs de biens, de capital et de technologie pour la région, y compris pour la Chine. Doubler l’intégration régionale par le biais du Partenariat économique régional global (RCEP) et de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) atténuerait les coûts de la perte potentielle du marché américain, mais ces cadres ne pourraient offrir une alternative que s’ils fournissent également plus de demande et de capital.
L’Algérie face à ces incertitudes et risques macroéconomiques et structurels mondiaux. Face à un monde en plein bouleversement et reconfiguration, membre des BRICs ou non, il est important que le pays réalise pleinement son potentiel de croissance économique réelle est prenant appui sur deux variables importantes : la taille de la population active et donc de sa main-d’œuvre et des marges importantes de rattrapage en termes de productivité.
C’est donc tout l’enjeu des années à venir qui passe par une vision 2050 (qui hisserait l’Algérie au rang de pays émergent) autour de laquelle s’articulerait une stratégie à long terme autour de quatre blocs de réformes cohérentes et bien séquencées destinées à : (1) assainir les bases de l’économie nationale ; (2) créer une base productive multisectorielle, inclusive et compétitive ; (3) mettre en œuvre des politiques sectorielles favorisant le développement de nouvelles sources d’énergie non polluantes afin d’épouser le processus de décarbonisation mondial et des activités à haute valeur ajoutée (numérique, vert, bleu, etc.,) ; et (4) renforcer le taux de participation qui est de 41% en moyenne pour lever les contraintes sur la variable travail avec (i) le développement des politiques du genre, de l’éducation et la structure des ménages qui sont des éléments déterminants dans le processus de décision des populations en âge de travail de rejoindre le marché du travail ; (ii) la mise en place de programmes de gestion du marché du travail, des institutions et des facteurs non économiques jouant un rôle fondamental dans la décision d’une personne de trouver et/ou garder un emploi et les avantages de travailler ; (iii) relever les défis posés par certaines catégories de travailleurs, notamment les gardes d’enfants, les politiques de la famille, les systèmes de retraite et les autres mécanismes de transferts sociaux et de départ en retraite ; et (iv) pour ce qui est des femmes, leur taux de participation passe par une attention particulière à leur éducation, la fertilité et le mariage.
Pr Abdelrahmi Bessaha
Expert international