C’est un spectacle original, placé dans la catégorie jazz, qui est proposé par la formation que dirige Abdelhakim, dont une version de ce projet intitulé «Abdelhakim’s steps» a été proposée jeudi à Oran, sur invitation de l’Institut français après une tournée qui englobe également les villes d’Annaba, Constantine et Tlemcen. Un spectacle qu’on pourrait dire divisé en deux parties avec, dans un premier temps, des compositions axées plutôt sur les mélodies et, ensuite, tout un pan où la percussion domine.
C’est que le chef de ce «band» est un percussionniste qui a déjà une longue carrière derrière lui avant de se lancer dans la composition et proposer sa propre vision des choses. Il s’étonne, pour l’avoir exprimé à l’issue du show, qu’on classe sa musique dans le continuum du jazz préférant celle d’un musicien issu de la tradition algérienne, mais qui a subi des influences diverses assumées et souvent mises à contribution pour sortir avec un produit (un premier album) réellement digne d’intérêt.
Dans ce cadre-là, historiquement, on a vu successivement émerger au premier plan de la scène des instruments divers considérés un temps comme seulement d’accompagnement, mais qui ont fini par s’imposer, et c’est le cas ici et c’est relativement nouveau avec la percussion, d’où l’originalité. Sur scène, la section rythmique est impressionnante avec, en plus de la batterie, toute la panoplie des congas et autres cloches ou Cajon, mais évidemment aussi de la derbouka pour montrer que cet instrument populaire peut aussi bien s’adapter à d’autres manières de faire.
Il ne faut cependant pas focaliser sur cet aspect des choses, car la formation est complète avec les apports indéniables des autres instruments, tels le saxophone, la guitare électrique et la basse. Si Abdelhakim veut se démarquer en quelque sorte du jazz, il emprunte par contre bien les codes. Des thèmes principaux, des variations et des improvisations dans le cadre préétabli, mais surtout des dialogues entres instruments, entre la guitare et le saxophone par exemple, jalonnent cette musique qui tient compte des spécificités locales, mais qui les transcendent en même temps pour proposer des envolées inattendues vers d’autres sphères, peut-être plus intimes.
Il y a un vrai partage cependant dans la définition des rôles dans la mesure où chaque musicien a une participation entière dans la performance, ce qui se traduit parfois dans les enchaînements harmonieux entre instruments. C’est le cas dans l’interprétation du titre «Tajmaat», mais aussi dans «Steps» où ailleurs avec des arrangements riches où les tendances jazz rock prennent place à côté des passages très spacieux parfois avec des effets de guitare qui laissent exprimer les subtilités des percussions voulues dans ce spectacle.
Le bel équilibre instrumental reste propice aux tendances à la spiritualité privilégiées par le fondateur du projet et qui ne se manifestent pas uniquement dans le titre «Spiritual Maghreb» ou dans les incantations religieuses nombreuses dans les pratiques musicales traditionnelles.
A la complexité des rythmes s’ajoutent les structures bien étudiées des morceaux avec des arrêts à respecter, ce qui exige du public une écoute plus attentive. Abdelhakim ne se gène pas de rappeler à l’ordre les plus bruyants, d’abord gentiment ensuite avec un peu plus de sévérité. Lui-même a besoin de se concentrer pour écouter ce que font ses camarades, afin de mieux gérer l’orchestration.
La parenthèse mise à part, c’est l’interprétation des premières intonations du rythme «Lalaoui» (le titre s’intitule «La vida es Lalaoui») et sa danse codifiée qui va marquer le début de la deuxième phase axée sur le rythme. Il sera à son comble avec «Oumat el Berrouali» et le renforcement de la section rythmique et le rôle accessoire que prendront les autres instruments qui seront relégués au second plan.
La tradition dite «gnaouie» ou «diwan karkabou» est une pratique relativement répandue à Oran. Dans sa pratique traditionnelle, la redondance du rythme n’est que d’apparence, car c’est sa spécificité qui offre d’immenses possibilités de remplissage des interstices, et c’est ce que fait le «gumbri» par exemple. Musicien amateur d’Oran, Khaled Sghier qui s’est longtemps intéressé à cette pratique a estimé que ce sont justement ces contretemps subtils insérés dans les espaces triolets qui confèrent à cette pratique une certaine magie à l’écoute et qui se manifeste dans la transe.
Un rythme qui ouvre la voie à un univers musical complexe, d’où la tendance au rallongement à l’infini des morceaux. Ceux qui se mettent en transe ne sont pas possédés par de prétendus esprits comme on a tendance à le croire, mais c’est leur esprit qui s’engouffre dans les brèches ouvertes par le rythme. Non écrite, cette pratique musicale est tenue sous le sceau du secret, d’où la transmission directe de maître à disciple, mais le secret réside juste dans la perception des subtilités exigeant une longue écoute et pratique pour la maîtriser.
Comme c’est le cas avec «Oumat el Berouli», Abdelhakim s’en est donné à cœur joie et le public encore plus. Ce morceau en particulier fait partie du second album en préparation et dont on ne connaît ni le titre ni la date de sortie.
L’artiste algérien indique cependant que cette fois, il y aura des collaborations d’invités internationaux issus d’Italie, de la Réunion (France), du Sénégal et des Etats-Unis, une manière d’élargir l’éventail des échanges et du partage, un message de paix mondial pour exprimer «le refus de subir les caprices de dirigeants de tout bord qui sont en train de saccager la planète».
A un moment de sa carrière, Abdelhakim déclare avoir été très impressionné par un groupe de Timimoun avant d’être initié à la percussion afro-cubaine et grâce à Guillaume, un ami, batteur béninois étudiant à Alger, décédé entretemps, les rythmes de l’Afrique profonde dont un en particulier, repris dans Mothers Legacy, qui lui a donné du fil à retordre et qu’il a par ailleurs proposé au public à Oran. Un public qu’il a au final chaleureusement remercié pour son adhésion et son répondant.