Emmanuel Macron a donc été confortablement réélu ce dimanche 24 avril pour un second mandat contre son éternelle rivale, Marine Le Pen. Vu d’Alger, ce verdict a été vraisemblablement reçu avec soulagement, surtout en tenant compte des liens personnels, familiaux, entre les deux rives.
Il y avait des craintes réelles, il faut le dire, qu’avec une Le Pen au pouvoir, les flux de mobilité et la circulation des personnes entre les deux pays connaîtraient une crispation brutale.
Mais au-delà des échanges humains et commerciaux, au-delà de la coopération économique, sécuritaire, académique, au-delà du sempiternel problème des visas, c’est surtout sur le dossier de l’histoire et des questions mémorielles que sont couramment attendus les nouveaux locataires de l’Elysée. Il se trouve que nous avons appris en cinq ans à connaître M. Macron.
Donc nous savons à peu près à quoi nous attendre. Le successeur de François Hollande, faut-il le rappeler, a consenti nombre de gestes symboliques à ce sujet, et c’est une attitude à saluer. Il a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans l’enlèvement et l’assassinat de Maurice Audin et dans l’exécution de Ali Boumendjel. Il a facilité la restitution des restes mortuaires de 24 héros de la résistance populaire. Il y a eu bien sûr le «Rapport Stora», fruit d’une commande présidentielle faite à l’historien Benjamin Stora pour la réalisation d’un travail sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie».
Autant de gestes qui feront dire au même Benjamin Stora dans une tribune publiée le 15 avril, en soutien au candidat de La République en Marche, peu après le 1er tour, qu’il «a été réalisé sous la présidence d’Emmanuel Macron plus de gestes qu’en 60 ans de Présidence française pour aborder la question difficile de la colonisation».
Aujourd’hui, alors qu’il entame son deuxième mandat, que faut-il attendre d’Emmanuel Macron ? Va-t-il continuer sur sa lancée, au chapitre de la reconnaissance des crimes coloniaux ? Ou bien va-t-il se lasser et nous sortir une autre diatribe au vitriol, comme celle où il fustigeait le «système algérien», un système qui, disait-il, est «construit sur la rente mémorielle», et où il interrogeait perfidement : «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.»
Des propos qui, on s’en souviendra longtemps, ont provoqué l’une des crises diplomatiques les plus aiguës de ces dernières années entre Alger et Paris.
Au-delà du pouvoir politique français et de l’Etat français, il y a lieu d’interroger aussi la société française et sa capacité à affronter son histoire. Avec plus de 41% de voix pour Marine Le Pen, l’électorat d’extrême droite ne cesse de gagner du terrain, et avec lui, un certain récit, un certain regard sur l’histoire de la colonisation, avec des relents très… «Algérie française».
Face à de telles résistances, il paraît difficile d’avancer sur la «réconciliation des mémoires» pour reprendre une formule chère à Emmanuel Macron. En cette année du 60e anniversaire de l’indépendance de notre pays, le sujet «Algérie» reviendra encore avec passion dans le débat public en France, et il n’est pas certain que d’autres gestes forts seraient consentis sans heurts.
On l’a vu avec la timide commémoration du 60e anniversaire des massacres du 17 Octobre 1961 : une cérémonie solennelle, un Président contrit, une minute de silence… Mais les mots de l’Elysée, dans le communiqué, n’étaient pas ceux d’une vraie reconnaissance, autrement dit la reconnaissance d’un vrai crime d’Etat qui remonterait la chaîne des responsabilités jusqu’à de Gaulle.