L’Afrique ne veut pas se contenter du siège de spectateur au moment où les chamboulements géopolitiques annoncent un nouvel ordre mondial. La mission de médiation entre les parties en conflit, la Russie et l'Ukraine, annoncée hier par le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, et dans laquelle sont impliqués six pays africains, reflète en effet cette volonté de se positionner sur le nouvel échiquier mondial.
Moscou et Kiev ont d’ores et déjà donné leur accord pour accueillir la délégation composée des chefs d’Etat de l’Afrique du Sud, du Congo-Brazzaville, de l’Egypte, de l’Ouganda, du Sénégal et de la Zambie. Un premier exploit, fruit de plusieurs mois d’efforts diplomatiques qui vont dans le sens de la paix, d’autant que le degré d’intervention est des plus élevés.
Le calendrier des rencontres n’a pas encore été établi, selon M. Ramaphosa, mais le voyage aura lieu «dès que possible», a-t-il déclaré hier. Peut-être en juin, selon le souhaite des initiateurs, alors que de son côté Vladimir Poutine, lui, envisage la rencontre en juillet, en marge du sommet Russie-Afrique, selon des informations obtenues par RFI.
L’annonce du président sud-africain intervient au moment où son pays entretient des relations plutôt tendues avec Washington qui, par le biais de son ambassadeur à Pretoria, avait accusé le 11 mai l’Afrique du Sud d’avoir tenté de fournir des armes à la Russie en décembre 2022. L’accusation n’a pas ébranlé outre mesure Pretoria, qui poursuit avec Moscou «une coordination étroite dans le cadre de la préparation des grands événements multilatéraux», notamment le deuxième sommet Russie-Afrique, prévu fin juillet à Saint-Pétersbourg, en Russie, et le sommet des pays des BRICS, qui se tiendra en août à Johannesburg, en Afrique du Sud.
Au moins deux positions africaines sur le conflit seront représentées au sein de la délégation, mais la paix est un objectif collectif. C’est aussi l’avis de l’organisation de l’Union africaine, qui aurait encensé l’initiative.
Victime collatérale
Il y a au moins une motivation majeure et partagée par tous les Africains. Leur continent est la première victime de la guerre en Ukraine. Les économies de l’ensemble des pays africains ont été lourdement impactées, affectant, entre autres, la sécurité alimentaire des populations. La Fondation Brazzaville, grandement impliquée dans cette initiative, estime que l’Afrique ne pouvait pas rester silencieuse depuis que «Le conflit a considérablement entravé le flux des expéditions de céréales et d’engrais essentiels vers l’Afrique, entraînant des effets néfastes sur les économies de tous les pays africains et affectant la vie de millions de personnes sur le continent».
La guerre en Ukraine, déclenchée en février 2022, a provoqué une onde de choc économique mondiale avec des retombées assez graves sur les ménages, qui souffrent d'une inflation généralisée et davantage des coûts de l’énergie. Mais si au Nord, les gouvernements ont les moyens de soulager leurs citoyens de ces effets, en Afrique, les populations doivent souffrir dans la solitude l’explosion de leurs budgets.
Le continent dépend fortement du blé russe et ukrainien. Selon la Banque africaine de développement (BAD), 15 pays africains ont importé en 2020 plus de 50% de leurs produits à base de blé de la Fédération de Russie ou d’Ukraine. Six de ces pays (Bénin, Djibouti, Egypte, Erythrée, Soudan, et Tanzanie) ont importé plus de 70% de leur blé de cette région. Or, le commerce du blé a été partiellement interrompu à cause de la guerre.
Toujours selon la BAD, le conflit a occasionné un manque d’environ 30 millions de tonnes de céréales sur le continent, ainsi qu’une forte augmentation des coûts. A quoi s’ajoute la perturbation des prix des engrais importés de Biélorussie, de Russie et d’Ukraine ; une augmentation qui dure depuis trois années (199% depuis mai 2020).
Les dépenses de consommation ont augmenté aussi de manière vertigineuse, sachant que les Africains consacrent plus de 50% de leur consommation globale à l’alimentation et à l’énergie. 23,9% d’augmentation en 2020-22 des prix des denrées alimentaires de base, selon le FMI.
C’est la plus forte depuis la crise financière mondiale de 2008. Ce sont tous ces éléments, sources d’inquiétude, qui poussent des dirigeants africains à agir aujourd’hui au service de la paix. La stabilité de l’Afrique découle de sa sécurité alimentaire et énergétique, qui elle-même est tributaire du retour de la stabilité et de la paix dans la région russo-ukrainienne.