Une peine de 10 ans de prison ferme a été requise contre l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, et une autre de 8 ans contre l’ordonnateur financier, Abdelhamid Benblidia, par le procureur près le pôle financier de Sidi M’hamed (Alger), qui a réclamé aussi une condamnation de 5 ans de prison contre l’ex-directeur de la culture de Tlemcen, Miloud Hakim. Le verdict sera connu le 7 avril prochain.
Après l’audition, durant la nuit de dimanche à hier, d’une quarantaine de témoins, le procureur a fait un long et lourd réquisitoire contre l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, l’ex-ordonnateur financier, Abdelhamid Benblidia – les deux en détention – et l’ancien directeur de la culture de la wilaya de Tlemcen (en liberté), Miloud Hakim, tous poursuivis pour «abus de fonction», «dilapidation de deniers publics» et «octroi d’indus avantages», des faits liés à l’organisation des manifestations «Alger, capitale de la culture arabe» en 2007, le Festival panafricain en 2009 et «Tlemcen, capitale de la culture islamique» en 2011.
Ainsi, le magistrat a réclamé la peine maximale de 10 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un million de dinars contre l’ex-ministre, de 8 ans ferme et de 5 ans ferme, avec la même amende, contre respectivement Abdelhamid Benblidia et Miloud Hakim.
C’était la douche froide pour les mis en cause. Durant l’audition des témoins, seulement deux parmi ces derniers étaient à charge. Le premier est Hamid Serrai, signataire des ordres de service (ODS) et attestations d’arrêt et de reprise du chantier, liés aux marchés de réhabilitation de la salle de cinéma Atlas, à Alger. Il a déclaré avoir été «sommé» par Mme Toumi de signer et que l’un des ODS a été paraphé à la salle Atlas. Ce que l’ancienne ministre et l’entrepreneur concernés ont démenti devant le tribunal.
Il en est de même pour le directeur général de l’Agence pour la réalisation des grands projets de la culture (ARPC), Mustapha Ourif, qui avait également accusé l’ex-ministre d’agir par instruction. Propos rejetés par celle-ci. Hier, c’était au tour de la défense de plaider en faveur des trois prévenus. Un à un, les avocats, Boudjemaâ Ghechir, Abdelaziz Medjdouba et Samira Aggoune, se sont succédé à la barre pour démonter les griefs retenus contre Khalida Toumi, avant de clamer la relaxe.
Me Ghechir estime que «personne ne peut comprendre l’organisation de ces manifestations s’il ne les place pas dans le contexte de l’époque, au début des années 2000, après une décennie de destruction qui avait isolé l’Algérie du monde. Ces manifestations avaient un but culturel, politique et diplomatique avoué et inavoué, qu’on ne peut divulguer».
L’avocat revient par la suite sur la campagne médiatique «haineuse» qui a ciblé la prévenue, «y compris, dit-il, par le procureur de Tlemcen, qui déclare aux journalistes de l’APS que Toumi n’a pas été entendue parce qu’elle était en fuite, alors que la justice n’a ouvert le dossier que trois mois après. L’affaire concernait uniquement Tlemcen, mais a été élargie, sur la base des rumeurs».
L’avocat s’interroge : «Pourquoi Tlemcen ?» puis répond : «L’affaire est venue après la lettre des 19 personnalités, dont fait partie Khalida Toumi, adressée en 2015 au défunt président Bouteflika, lui demandant de les recevoir. Leur intention était de dire que le Président était dans l’incapacité de diriger. C’est cela la vérité. La moudjahida Zohra Drif, qui était sénatrice, a été démise de ses fonctions, Louisa Hanoune a été placée en détention et Khalida Toumi, qui lui a apporté son soutien, a été également poursuivie et emprisonnée.
Cette affaire sentait l’odeur de Saïd Bouteflika et de Tayeb Louh, l’ex-ministre de la Justice, qui avait instruit le procureur de Tlemcen, lequel procureur est aujourd’hui en prison. C’est cela la vérité.» Pour Me Ghechir, les manifestations culturelles «ne peuvent être concernées par le code des marchés publics. Chacune a sa propre procédure et son règlement. Tous les faits liés à ces événements sont touchés par la prescription». L’avocat s’attaque aux experts qui, selon lui, «ont élaboré des rapports avec des préjugés et se sont éloignés de leur mission».
«C’est une affaire politique et de vengeance»
Il explique que la Commission nationale des manifestations culturelles, présidée par le Premier ministre, a mis en place un comité d’exécution et d’organisation, à la tête duquel Abdelhamid Benblidia a été désigné comme ordonnateur financier, avec une délégation de pouvoir et de signature, mais aussi avec le droit de rejeter toute décision émanant de qui que ce soit.
«Les textes et le contexte ne donnent aucune responsabilité à la ministre», tranche Me Ghechir, en lançant : «Comment les experts peuvent-ils évaluer les actes de la ministre s’ils sont incapables de lire la lettre du ministre des Finances, en disant que ce dernier rappelle les règles générales, alors qu’il écrit clairement que ce projet est concerné par la procédure de gré à gré, étant donné qu’il est considéré comme une priorité nationale.» S’adressant au procureur, il lui fait savoir que «le défaut d’argumentation du ‘‘passer-outre’’ n’est pas pénal. Aucun texte ne prévoir de sanction pénale».
Abondant dans le même sens, Me Medjdouba qualifie les poursuites contre Mme Toumi de «politique» et d’«acte de vengeance» puis pointe du doigt tous les extrémistes ennemis de la femme et de la culture, précisant que tous les griefs qui lui sont reprochés ne sont pas constitués.
Il rejette l’accusation de dilapidation de deniers publics, et rappelle qu’«en ce qui concerne les honoraires de l’actrice française Isabelle Adjani, 2 millions d’euros pour sa présence à l’inauguration d’‘‘Alger, capitale de la culture arabe’’, a été une décision du président Bouteflika, comme cela a été le cas pour de nombreux autres acteurs, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, et cela représente, ce qu’on appelle le droit d’image. Le Président avait toute la latitude de le faire, pour redorer l’image du pays».
Me Samira Aggoune évoque le film sur l’Emir Abdelkader, dont la préparation s’est faite sans qu’aucun dinar du Trésor public ne soit dépensé. Mais la suite ne la concerne pas, puisqu’elle a quitté son poste avant le lancement du tournage.
Elle met en avant les efforts consentis pour la réhabilitation du secteur de l’édition et du livre mis à disposition de nombreuses bibliothèques. Me Nesrine Bouziani, avocate de Benblidia, affirme que ce dernier «n’avait qu’une délégation de signature et pas de délégation de pouvoir». Pour elle, Benblidia ne prenait pas de décision.
«Il recevait les dossiers des chefs de projets et les instructions lui venaient de la ministre pour signer. Pouvait-il dire non à son ministre ? La ministre est responsable, il aurait fallu qu’elle contrôle et prenne des mesures.» «Oui, les délais n’ont pas été respectés, mais il y avait des justificatifs. Le contrôleur financier est désigné par le ministre des Finances et il contrôle Benblidia. C’est vrai qu’il y a des dossiers rejetés pour des dépassements, mais il faut savoir que ces dossiers sont étudiés en amont avant d’arriver à Benblidia.
La ministre est la première responsable», lance l’avocate avant que Me Ghechir et le président ne l’arrêtent en lui faisant la remarque de ne parler que de son mandant. Me Affaf Merabet plaide pour Miloud Hakim, qu’elle présente comme «un des cadres exemplaires», avant de déclarer que toutes les situations qu’il a signées ont été faites par les chefs de projets, et précise qu’il «n’a aucun pouvoir décisionnel pour octroyer des avantages, d’autant qu’il ne connaît aucun des prestataires».
Comme dernier mot, Khalida Toumi déclare : «Je n’ai jamais connu ce qu’est la prison. Mais aujourd’hui, je peux vous dire que je ressens une grande injustice et un abus à mon égard.» Benblidia : «Je n’ai jamais cherché un poste. On a toujours fait appel à moi, je n’ai rien fait.» Miloud Hakim : «J’ai la conscience tranquille, mais je peux vous dire que je suis fier d’avoir réalisé des projets importants avec cette femme.» Au fond de la salle, Khalida Toumi dissimule son visage pour pleurer. Le verdict sera connu le 7 avril prochain.