Émeutes en France : La soif de justice des banlieues

02/07/2023 mis à jour: 06:23
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Photo : D. R.

Le terme d’émeutes est approprié pour nommer la situation extrême qui s’est étendue à de nombreuses régions du pays, plaçant les pouvoirs publics devant l’exigence d’équité sociale, au-delà de la difficulté à gérer les ravages de plusieurs nuits d’une révolte inédite.

Les violences en France ont continué hier matin alors que le jeune Nahel, 17 ans, tué par un tir policier, devait être inhumé et que le policier mis en cause était incarcéré. Cette violence remet à l’ordre du jour le malaise dont est porteuse cette jeunesse révoltée issue de l’immigration laissée pour compte.

Même en baisse, les violences commises dans la nuit de vendredi à hier restaient impressionnantes et les lieux publics (écoles, mairies, bibliothèques, commissariats…) comme privés et les biens particuliers (petits magasins, voitures…) en ont fait indistinctement les frais. Il y a dans cette violence un air de nihilisme exacerbé, si ce n’est d’autodestruction, en s’en prenant au bien commun dont les émeutiers ne se sentent plus faire partie…

La journée d'hier s’annonçait lourde de menaces. Si les médias télévisés tentent au maximum de les vérifier et de les mettre dans le contexte, les images brutes issues des réseaux sociaux ont montré ou fait entendre des jeunes exhibant des armes, comme à Lille ou encore à Lyon.

Le ministère de l’Intérieur, hier matin, faisait le décompte : 31 attaques de commissariats, 16 attaques de postes de police municipale et 11 de casernes de gendarmerie. 234 bâtiments publics détruits par le feu sans compter le mobilier urbain saccagé et la multitude de magasins privés vandalisés, sérieusement endommagés ou complètement détruits par le feu. Un millier de personnes ont été interpellées dans la nuit de vendredi à hier.

Des émeutiers à trottinette

Comme dans un mauvais film de série B, sauf que c’est réel, à Lyon, Grenoble ou Saint-Etienne, des jeunes à trottinette tirant des mortiers d’artifice contre les policiers. Patrick Jarry, maire de Nanterre, d’où tout est parti, alors que la violence n’est pas éteinte, a réagi dans Le Monde : «Aujourd’hui, domine l’exigence de justice. Les milliers de personnes qui ont manifesté leur colère voudraient être certaines que la justice sera rendue de manière équitable. Elles n’en ont pas la certitude. Elles sont inquiètes.»

Et d'ajouter : «Nanterre s’est érigée sur l’immigration. Jusqu’au début des années 1960, des bidonvilles bâtis au fur et à mesure par les populations venues là pour travailler entouraient la ville historique. Nanterre a été fabriquée par des migrants. Ce sont nos pères qui ont construit les premières tours de la Défense, pour l’édification desquelles on a rasé les baraques existantes. C’est ce qui fait l’âme de Nanterre. Ça a toujours imprégné la ville.»

Le député Eric Coquerel (La France insoumise) a appelé à revoir «la doctrine du maintien de l’ordre». Souhaitant, comme plusieurs voix à gauche, «le retrait de la loi de 2017» qui facilite pour les policiers l’usage de leur arme. Il faut aussi revenir à un plan conséquent pour les banlieues, rappelant qu’au début de sa première mandature, Emmanuel Macron avait écarté le plan Borloo pour les quartiers.

Les policiers factieux ?

Il est aussi intervenu sur un communiqué des deux syndicats majoritaires dans la police, Alliance et UNSA, où ils parlaient en substance de «hordes sauvages», de «nuisibles», «chienlit» subie «depuis des décennies», «les policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain, nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience». Eric Coquerel a estimé que «ceux qui ont écrit ça sont dans leur bureau et ils ne se rendent pas compte qu’ils mettent en péril leurs collègues. Ces gens-là sont des factieux».

Le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, a regretté que ce soit là un «véritable appel à la sédition». Alors que pour Yannick Jadot, eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts, «le syndicat Alliance promet la guerre civile». Les syndicalistes sont revenus sur leur communiqué indiquant que le terme guerre est une simple «image relatant ce que subissent nos collègues chaque jour sur le terrain». «Nous sommes face à une guérilla urbaine et non plus face à des violences urbaines.»

«Ghettoïsation, discrimination persistante, situation sociale des cités»

Le chroniqueur Thomas Legrand dans Libération trouve les mots justes de cet état de fait : «L’Exécutif ne devrait pas pouvoir faire l’économie de l’annonce d’une refonte de sa doctrine de maintien de l’ordre et du fonctionnement de la police.» Même s’il considère que «les causes des émeutes sont bien sûr plus profondes : ghettoïsation, discrimination persistante, situation sociale des cités.

Mais aussi emprise de l’économie de la drogue et ce qui en découle comme pratiques hors-la-loi banalisées : conduite sans permis, rodéos, règne des caïds». Sur l’organisation et la doctrine d’intervention policière, il estime que la société «a besoin d’une armée de gardiens de la paix formés pour un quotidien de la sécurité d’abord fait de drames sociaux, d’insécurité intrafamiliale» et pas de «superflics qui rêvent tous d’être au GIGN (…). Tous les constats ont été faits. Il s’agit d’admettre maintenant qu’il y a un problème ''systémique''».

Dans Le Monde, l’écrivain Rachid Benzine fait une lecture en lien avec la colonisation : «La question cruciale des relations entre l’institution policière et les populations des quartiers, majoritairement issues de l’ancien empire colonial français, reste un impensé majeur (…). La France souffre de son héritage colonial. Dans les faits, l’égalité entre les citoyens est loin d’être une réalité, les populations issues de l’ancien empire étant encore largement stigmatisées et perçues comme ‘‘suspectes’’ (comme durant la période de la Guerre d’Algérie). Si nous ne sommes pas capables de mettre tout cela sur la table et d’en discuter ensemble, les choses ne feront qu’empirer.» 

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