Échanges militaires accrus entre Khalifa Haftar et Moscou : La présence russe en Libye inquiète Washington

07/11/2023 mis à jour: 04:27
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Le maréchal Khalifa Haftar, avec le vice-ministre russe de la défense, Iounous-bek Evkourov, le 26 septembre 2023

Le site américain Bloomberg a attiré l’attention, dans un rapport publié le 5 novembre 2023, sur l’inquiétude américaine par rapport au renforcement de la présence militaire russe dans l’Est et dans le Sud libyen avec l’éventualité d’une quasi-permanence dans un port, probablement Toubrouk, et dans certains autres aéroports sous le contrôle de l’armée de Khalifa Haftar.

 Le rapport indique que ce rapprochement (on parle d’un accord de défense en préparation) constitue la suite objective de la valse de visites, en août et septembre derniers, à Benghazi, du vice-ministre de la Défense russe Iounous-bek Evkourov, ainsi que la visite de Khalifa Haftar, fin septembre, à Moscou et sa rencontre, en tête-à-tête, avec le président Poutine. Les Américains craignent que Haftar ne soit encouragé par les Russes dans sa lutte fratricide en Libye, surtout que l’homme fort de l’Est libyen domine les trois-quarts des richesses pétrolières du pays. 

La rencontre de Haftar à Benghazi avec le commandant de l’Africom, le général Michael Langley, n’a pas convaincu le vieux maréchal de s’accommoder avec la présence des militaires turcs en Tripolitaine, tout en faisant une priorité de l’expulsion des milices de Wagner. Loin de là, une semaine après sa rencontre avec le général Langley et suite à ses entretiens à Moscou avec le président Vladimir Poutine et le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, Khalifa Haftar semble plus favorable que jamais à l’idée de renforcer ses capacités militaires. 

Les entretiens à Moscou constituent, selon l’agence Bloomberg, le socle d’un accord militaire portant, d’abord, sur une présence quasi-permanente des bâtiments de guerre russes dans les ports de l’Est libyen, après avoir renforcé leurs capacités dans l’avenir.

 Il s’agit, ensuite, d’équiper les forces de Haftar de systèmes de défense anti-aérienne pour leur permettre de contrer les forces rivales, soutenues par l’armée turque. Enfin, les Russes promettent à Haftar un entrainement intensif à ses aviateurs et ses forces spéciales, ainsi que la modernisation des bases aériennes contrôlées actuellement par les forces Wagner. Ainsi, ces bases pourraient être exploitées par les forces russes en cas de besoin.  
 

Enjeux géopolitiques

Les multiples visites de hauts officiels américains, en 2023, en Libye et leurs rencontres successives avec Haftar indiquent à quel point les Américains sont inquiets à propos de la présence des Russes, matérialisés par les troupes Wagner en Libye. L’ancien envoyé spécial américain en Libye, Jonathan Winer, a considéré dans un post sur la plateforme X que «l’éloignement de la Russie de la Méditerranée est un but stratégique pour les USA», en ajoutant que «si la Russie dispose de ports au sud de la Méditerranée, cela lui permettra d’espionner toute l’Union européenne et de jouer un rôle plus important en cas de tensions au Moyen-Orient des suites de la guerre Israël-Hamas». Vu cette importance stratégique, les Américains ont mis le paquet pour convaincre Khalifa Haftar de ne pas étendre ses relations avec Moscou. 

En moins de neuf mois, Haftar a reçu le patron de la CIA, William Burns, la sous-secrétaire d’Etat américaine aux affaires du Proche-Orient, Barbara Leaf, ainsi que le commandant de l’Africom, Michael Langley. Les visites de l’ambassadeur Richard Norland à Benghazi sont, par ailleurs, devenues coutumières. 

Un officiel libyen, ayant requis l’anonymat, a indiqué que «les officiels américains ont exigé le retrait des mercenaires des installations pétrolières libyennes» ; le même officiel  a confirmé que le patron de la CIA a demandé à Khalifa Haftar de mettre fin à l’activité de Wagner sur le sol libyen et l’a mis en garde contre des sanctions qui pourraient l’affecter ainsi que les officiels de son armée. Toutefois, ces pressions n’ont eu, jusque-là, aucune incidence sur les positions de l’homme fort de l’Est libyen. 

Selon Jonathan Winer, «les Américains ne peuvent pas lui proposer la même aide militaire proposée par Moscou, ni de se dérober aux sanctions internationales contre la Libye». Par ailleurs, la question de l’importance de la Libye dans l’échiquier stratégique russe dans la région s’explique par le travail effectué par les forces Wagner en Libye, au Soudan et en Afrique subsaharienne. Du coup, et toujours, selon Bloomberg, la Russie ne compte pas s’arrêter à la Libye. 

Elle veut également  installer, à moyen terme, une base militaire navale au Soudan, sur la mer Rouge, afin de bénéficier d’un accès permanent au Canal de Suez, l’océan Indien et la péninsule arabe. La guerre au Soudan a reporté momentanément les projets russes. Les déséquilibres en Afrique subsaharienne ne sont pas, non plus, étrangères aux mains russes. Les Occidentaux semblent vaciller dans cette partie du monde.

 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami 
 

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