Tenue à la demande de l’Algérie, la réunion du Conseil de sécurité de l’Onu sur la nécessité de rendre exécutoire l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) contre Israël, qui ordonne la suspension des opérations militaires, l’accès urgent de l’aide humanitaire à Ghaza, n’a pas abouti à une résolution de cessez-le-feu, dont un projet circulait encore à l’initiative de l’Algérie.
Ouverte mercredi dernier et se poursuivant durant le week-end, la réunion du Conseil de sécurité, à laquelle a pris part l’Algérie en tant que membre non permanent de cette haute instance, a été axée sur deux principaux sujets : la nécessité de rendre exécutoires les décisions de la Cour internationale de justice (Cij) contre Israël, et la situation humanitaire à Ghaza, après la suspension, par 16 donateurs, des fonds destinés à l’Unrwa, l’agence onusienne qui assure le maintien en survie de plus de 2 millions de réfugiés palestiniens à Ghaza, sur la base d’allégations portées par Israël, contre 12 de ses employés, accusés d’avoir pris part aux attaques du 7 octobre dernier, sans en présenter les preuves.
De nombreux intervenants ont estimé que les allégations contre l’Unrwa interviennent dans une situation humanitaire «désastreuse» à Ghaza, qui risque «d’empirer».
Majoritairement, les diplomates ont mis en avant la «nécessité du respect du droit international et des décisions de la Cij, prononcées le 26 janvier dernier, à la suite d’une plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide (non encore examinée), assortie d’une indication de mesures conservatoires d’urgence afin d’empêcher un risque potentiel de génocide».
Pour l’Algérie, ces décisions sont «historiques» alors que pour la Chine, «c’est une fin de non-recevoir à tous ceux pour qui les accusations de génocide contre Israël n’ont aucun fondement».
De ce fait, elle a «encouragé ceux qui doutent du génocide à relire attentivement le jugement de la Cij (...), ces mesures représentent avant tout un appel fort en faveur de la protection des populations civiles», a déclaré le représentant de la Chine, tandis que ceux du Mozambique et du Guyana ont affirmé que l’arrêt «apporte crédit et substance à l’appel du Conseil de sécurité pour une pause humanitaire immédiate et durable».
La représentante des Etats-Unis a, pour sa part, rappelé que la Cij «n’a pas prévu de cessez-le-feu immédiat, ni affirmé qu’Israël ait pu enfreindre la Convention sur le génocide», avant de saluer les mesures de CIJ, conformes, a-t-elle dit, «à la vision de mon pays, pour qui Israël a le droit d’agir pour s’assurer que les actes du 7 octobre ne se reproduisent pas».
Le représentant de la Palestine, en tant qu’observateur, a estimé qu’«il convient de s’indigner des crimes plutôt que des accusations, de la réalité sur le terrain plutôt que des mots utilisés pour la décrire. Assez de racisme et de suprémacisme, assez d’impunité».
Palestine : «L’Onu est la source des preuves qu’Israël cherche à détruire
Il a également dénoncé la participation de 12 ministres israéliens «à une conférence visant à recoloniser Ghaza et à éliminer les Palestiniens». Pour l’observateur palestinien, Israël «est constamment en train de défier les instances internationales et de mener une campagne continue contre les résolutions du Conseil de sécurité, mais aussi de la Cij, de la CPI et de l’ONU en général.
Pourquoi ? Parce que l’ONU est la source des preuves des crimes d’Israël, preuves que ce dernier cherche à détruire en discréditant le témoin principal. L’Onu a identifié les conditions d’une paix juste et durable», alors qu’«Israël a choisi la purification ethnique et le génocide (...), soit l’on permet à Israël de démanteler l’ordre basé sur le droit international, soit on le défend.
La justice, la liberté et la paix sont la seule voie pour en finir avec cette folie cruelle». Le représentant d’Israël a fustigé un «processus politisé», en se disant toutefois «certain que la Cour, qui n’a pas encore statué sur le fond, rejettera les accusations de génocide». Sur la question de l’Unrwa, de nombreux intervenants ont mis l’accent sur «l’importance de maintenir son financement», en raison «de son rôle nécessaire dans un contexte humanitaire catastrophique».
La Slovénie a estimé qu’il «n’existe aucune alternative viable à l’Unrwa, qui reste indispensable à des millions de personnes». Alors que pour la Chine, «une suspension du financement équivaut à une punition collective». Les Etats-Unis, les premiers à suspendre les financements de l’Unrwa, ont «souhaité» que cette mesure «serve de signal d’alerte insistant sur l’importance de la reddition de comptes».
Plusieurs intervenants ont par ailleurs exhorté Israël «à lever les obstacles à l’aide humanitaire». Tout en condamnant l’agression contre le peuple palestinien, l’Algérie a rappelé que «le temps de l’impunité est fini, à jamais», avant de souligner «la nécessité de rendre des comptes pour protéger les générations futures».
Et d’appeler Israël «à respecter les mesures provisoires imposées par la Cij». L’ambassadeur a mis l’accent sur l’importance d’un cessez-le-feu immédiat, avant d’exprimer son «inquiétude face aux conséquences humanitaires d’une poursuite des hostilités, notamment un bilan quotidien de 250 morts, le nombre élevé d’enfants tués ou amputés sans anesthésie, de nourrissons nés dans la rue ou de malades du cancer sans accès à la chimiothérapie, mourant à petit feu.
Rien ne saurait justifier la barbarie infligée au peuple palestinien». Selon lui, «il est du devoir du Conseil de sécurité de prendre des mesures urgentes pour faire respecter la justice internationale et garantir un cessez-le-feu immédiat».
Les Etats-Unis : «Nous avons tous le cœur brisé à la vue de toutes ces vies perdues»
La représentante des Etats-Unis a qualifié la situation humanitaire à Ghaza de «catastrophique», en précisant que les injonctions de la Cij «étaient conformes à la vision des Etats-Unis selon laquelle Israël a le droit d’agir pour s’assurer que les actes du 7 octobre ne se reproduisent pas».
Toutefois, elle a estimé qu’«Israël et les autres parties au conflit sont tenus de respecter le droit international humanitaire» et les Etats-Unis ont, «dans leurs contacts avec Israël, insisté sur la nécessité urgente de faire parvenir aux populations de la nourriture, de l’eau et les médicaments dont elles ont besoin».
L’ambassadrice n’a pas manqué de déclarer : «Nous avons tous le cœur brisé à la vue de toutes ces vies perdues», mais a rappelé que la Cij «n’a ni prévu de cessez-le-feu immédiat ni affirmé, dans ses conclusions préliminaires, qu’Israël ait pu enfreindre la Convention sur le génocide».
Le représentant du Guyana a regretté que «réunion après réunion, le nombre de morts ne cesse d’augmenter», exhortant Israël «à relâcher certains Palestiniens détenus illégalement», avant d’exprimer sa «consternation devant les accusations contre 12 membres de l’Unrwa», déplorant la suspension par certains pays du «financement de l’agence».
Et d’appeler à un cessez-le-feu, «première mesure nécessaire pour juguler les morts et les destructions». La représentante du Royaume-Uni, également parmi les donateurs qui ont coupé les fonds à l’Unrwa, a évoqué «la gravité de la situation humanitaire» à Ghaza et appelé «à une suspension immédiate des combats pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et la libération des otages, en vue d’un cessez-le-feu permanent et durable».
Lui emboîtant le pas, la représentante helvétique, dont le pays a suspendu les aides financières à l’Unrwa, a plaidé pour «le respect du droit international au vu de la situation catastrophique à Ghaza» et «déploré» que la population de Ghaza «soit assiégée et en proie à des déplacements répétés, à la famine et aux épidémies».
Elle a appelé à «un cessez-le-feu humanitaire pour permettre l’accès rapide, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire à la population civile», exprimé son soutien aux décisions conservatoires de la Cij et demandé à Israël «de prendre des mesures nécessaires pour prévenir tout acte de génocide et toute incitation à le commettre». Pour le Mozambique, les coupes budgétaires de l’Unrwa, «auront de graves conséquences».
La Chine : «le Conseil de sécurité doit imposer un cessez-le-feu»
Pour sa part, le représentant de la Slovénie a lui aussi appelé «au respect du droit international et des décisions des cours et des tribunaux internationaux» et rappelé, à ce titre, la nature contraignante des mesures conservatoires émises par la Cij.
Le Japon, un des donateurs qui a suspendu son aide à l’Unrwa, a insisté sur «l’obligation d’Israël de prévenir un génocide à Ghaza et de fournir à sa population des services essentiels et une aide humanitaire, dans le respect des mesures conservatoires agréées par la Cij».
Le représentant de la République de la Corée a rappelé qu’Israël «devait prendre des mesures immédiates et efficaces, conformes à l’ordonnance de la Cour sur l’application de mesures conservatoires, dont l’effet est contraignant». Pour l’ambassadeur de la Chine, le Conseil de sécurité «n’a d’autre choix que d’imposer un cessez-le-feu immédiat, une mesure qui correspond au consensus international».
Il a dénoncé «certains pays pour avoir entravé cette solution avec une posture passive», et exhorté le Conseil «à agir avec détermination, conformément à ses résolutions, et Israël à lever les obstacles à l’acheminement de l’aide humanitaire».
Pour le diplomate, les «questions individuelles», liées aux accusations contre les agents de l’Unrwa, «ne doivent pas détourner l’attention de la nécessité d’un cessez-le-feu», et à ce titre, il a souligné le rôle de l’agence, en affirmant que «la suspension de son financement équivaut à une punition collective».
L’ambassadeur de Russie s’est déclaré «inquiet» par la situation «catastrophique» à Ghaza, puis appelé à «un cessez-le-feu immédiat, non seulement à Ghaza mais aussi en Cisjordanie».
Le diplomate a rejeté «l’exploitation» de l’attaque du 7 octobre, «pour imposer un châtiment collectif aux Palestiniens et déstabiliser la région (…), les soupçons contre 12 employés de l’Unrwa, qui méritent une enquête diligente et neutre, ne doivent pas être un prétexte pour punir des millions de Palestiniens dans le besoin et des milliers d’employés de l’Office, qui ont consciencieusement rempli leurs fonctions (…)».
Le représentant russe a dénoncé le blocage par les Etats-Unis, au Conseil de sécurité, «de toute initiative visant à arrêter le conflit et les actions illégitimes et provocatrices de Washington et de Londres en mer Rouge et au Yémen», les accusant de menacer la paix et la sécurité internationales en «exploitant sans vergogne les prétextes de lutte contre le terrorisme et le soi-disant droit à l’autodéfense».
Et de conclure en appelant «à la fin de l’injustice envers les Palestiniens et à la création d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale».
La représentante de l’Afrique du Sud a affirmé, quant à elle, que l’ordonnance de la Cij «informe clairement les Etats tiers du risque de génocide contre le peuple palestinien à Ghaza», puis appelé «à agir de manière immédiate, non seulement pour prévenir un génocide, mais aussi pour s’assurer qu’ils ne violent pas eux-mêmes la Convention en assistant la commission d’un génocide, notamment en finançant et en facilitant les opérations militaires israéliennes».
La diplomate s’est opposée à «l’argument de la légitime défense d’Israël, auquel la Cour elle-même n’avait pas accordé de crédit en raison de jugements antérieurs, lesquels stipulent qu’une puissance occupante ne peut pas se prévaloir de l’article 51 à l’égard des personnes qu’elle occupe» et déploré qu’Israël «ait continué à poursuivre des actions illégales dans les jours qui ont suivi l’émission de l’ordonnance».