Dans l’entretien accordé à El Watan, le président du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef) et frais émoulu coordinateur de la Confédération des syndicats autonomes (CSA), Boualem Amoura, revient sur le constat fait par les syndicats autonomes réunis dernièrement : érosion du pouvoir d’achat et «insignifiances» des dernières augmentations salariales. Pour Amoura, les représentants des travailleurs, réunis au sein de la CSA, plaident pour un SNMG de 80 000 DA. Le syndicaliste est favorable à l’ouverture d’un dialogue «sérieux» afin d’éviter une explosion sociale. «Nous devons être associés à toutes les questions qui concernent la vie et l’avenir des travailleurs. Nous sommes pour l’inclusion et non pour l’exclusion», affirme-t-il.
- La Confédération des syndicats autonomes (CSA), dont vous assurez actuellement la coordination, a fait le constat alarmant d’une forte baisse du pouvoir d’achat. A quoi est due cette érosion ?
En premier lieu, elle est due à l’inflation galopante et à la stagnation de la valeur du point indiciaire. La valeur du point indiciaire qui est de 45 DA n’a pas été révisée depuis 2007, alors que la valeur de la zakat de l’Aïd El Fitr qui était de 35 DA en 2007 est actuellement de 120 DA et bien sûr calculée selon le taux de l’inflation et du prix du gramme de l’or.
A cela s’ajoute l’augmentation continue et vertigineuse de tous les produits, sans exception, même ceux subventionnés par l’Etat et malheureusement ce dernier a cessé de jouer son rôle de régulateur, laissant la voie libre aux spéculateurs. Il y a aussi un partage inéquitable des richesses du pays et une politique salariale favorisant certains Algériens par rapport à d’autres.
- La CSA a plaidé pour la mise en place d’un observatoire national pour la protection du pouvoir d’achat. Quelles devront être ses missions ?
Comme son nom l’indique, il sera un organe de régulation et d’alerte pour les pouvoirs publics, afin de les interpeller à chaque fois que c’est nécessaire sur l’écart qui existe entre l’augmentation du taux d’inflation et les salaires.
Cet observatoire doit être indépendant et composé d’économistes compétents et intègres. L’Etat doit mettre à la disposition des membres de cet organisme tous les moyens nécessaires afin de mener à bien leur mission sans pressions ni interférence.
- Les salaires ont augmenté à la faveur de la réduction de l’Impôt sur le revenu global (IRG) appliquée dès janvier 2022. Il s’avère que ces hausses n’ont pas eu l’effet souhaité. Un commentaire ?
D’abord, ces augmentations sont insignifiantes, de 1000 à 3600 DA, et puis elles sont vite absorbées par l’inflation et l’augmentation des prix, comme souligné auparavant.
Les salaires n’ont pas augmenté depuis 2012 et toute augmentation non conséquente ne servira pas à améliorer le pouvoir d’achat. Nous revendiquons de faire plus et de ramener l’Impôt sur le revenu global (IRG) à 05%, car le fonctionnaire en Algérie paie plus d’impôts que le commerçant et cela est injuste.
L’impôt pour le fonctionnaire est retenu à la source et cette injustice doit être réparée. Même les pensions des retraités sont soumises à l’IRG, ce qui est une injustice aussi, vu qu’ils paient deux fois cet impôt en étant actifs et à la retraite.
Est-il acceptable qu’un fonctionnaire paie 8000 DA d’impôts mensuellement alors qu’un commerçant paie un impôt forfaitaire de 36 000 DA annuellement ?
- La hausse des salaires devra être visiblement tout aussi insignifiante avec la révision annoncée du taux du point indiciaire…
Effectivement. Les augmentations seront là aussi insuffisantes, car les pouvoirs publics ont décidé, sans nous consulter, d’augmenter le nombre de points au lieu de la valeur du point indiciaire. Les augmentations varieront entre 2000 et 6000 DA, ce qui est insuffisant !
Ces augmentations ne régleront pas le problème du pouvoir d’achat en Algérie et ne contribueront pas à aller vers la prospérité, comme annoncé par le Premier ministre lors de la présentation de son programme devant les députés.
Oui, il a parlé de prospérité mais avec ces décisions, l’Algérien est loin d’avoir une vie décente et il sera toujours acculé à la pauvreté et la malvie.
- Des membres de la CSA ont plaidé pour un relèvement du SNMG à 80 000 DA. Qu’en pensez-vous ?
Tout le monde s’accorde sur un SNMG à 80 000 DA et cela d’après des études sérieuses basées sur des chiffres réels et des situations vécues par des familles algériennes au quotidien.
Vivre, ce n’est pas que le droit au lait et au pain ! D’ailleurs, il y a actuellement pénurie de lait et de semoule, sans oublier l’huile de table. L’Algérien a le droit de se soigner, de se vêtir convenablement, d’avoir accès aux loisirs pour lui et sa famille.
La classe moyenne n’existe plus en Algérie, elle a disparu depuis les années 1990. Dans tous les pays du monde, c’est la classe moyenne qui fait marcher l’économie nationale. La dévaluation du dinar et le recours à la planche à billets ont accéléré l’érosion du pouvoir d’achat du travailleur algérien.
- La Confédération des syndicats autonomes (CSA) compte relancer sa demande d’enregistrement déposée en 2018. Pourquoi ce retard, sachant que la revendication est prise en charge à la faveur de l’amendement de la loi 90-14 relative à l’exercice syndical ?
L’amendement partiel de la loi 90-14 a eu lieu grâce au combat mené par la CSA, depuis 2018. Le ministère du Travail a refusé l’enregistrement de notre confédération depuis 2018, et il nous a obligé à nous adresser au Bureau international du travail (BIT). Cette loi est adoptée par les deux Chambres du Parlement et par voie de conséquence, nous avons le droit de nous constituer en confédération.
Les services du ministère du travail sont en train de revoir le dossier de notre agrément en attendant la publication de cette loi, qui ne saurait tarder au Journal officiel. Je vous informe aussi que nous sommes rejoints par d’autres syndicats et qu’ils doivent eux aussi compléter leurs dossiers. Pour l’histoire, c’est grâce au combat de la CSA que la loi 90-14 a été amendée et c’est une victoire pour la Confédération.
- Des syndicats réclament l’ouverture d’un dialogue serein pour répondre aux revendications socioprofessionnelles des travailleurs. Quelles sont vos propositions dans ce sens ?
Sans dialogue, nous ne pourrons jamais avancer ni construire notre pays. Nous croyons à la démocratie et au dialogue, mais un dialogue sérieux, serein et responsable, car nul ne détient le monopole de la force ni de la démocratie et encore moins du nationalisme.
L’Algérie appartient à toutes les Algériennes et à tous les Algériens, une Algérie vaste, riche et généreuse et qui doit servir ses enfants. Nous sommes pour le dialogue afin d’éviter une explosion sociale qui ne servira point notre pays. Nous devons être associés à toutes les questions qui concernent la vie et l’avenir des travailleurs.
Nous sommes pour l’inclusion et non pour l’exclusion. L’Algérie possède, comme de par le passé, des femmes et des hommes qui peuvent la tirer vers le haut et l’élever au rang des pays émergents. Nous avons perdu beaucoup de temps et il est temps de libérer le génie algérien et d’associer notre diaspora pour développer notre pays.
La Confédération des syndicats autonomes (CSA), l’enregistrement pour bientôt ?
La Confédération des syndicats algériens (CSA) a été créée à Alger le 10 novembre 2018, lors d’une AG constitutive, regroupant des représentants de syndicats autonomes de la Fonction publique.
Organisée au siège de l’Union nationale du personnel de l’éducation et de la formation (Unpef), la CSA regroupe des syndicats représentant plusieurs secteurs (éducation, santé, formation professionnelle, enseignement supérieur, transport, la poste, imams). A ce jour, le ministère du Travail n’a pas accordé d’agrément à la confédération.
L’ancien ministre du Travail, Acheuk Youcef Chawki, précipitamment limogé de son poste, avait promis, en mars 2020, d’accélérer la procédure d’agrément et faire bénéficier cette confédération des mêmes avantages que les syndicats nouvellement créés. Les syndicats qui ont attendu le «quitus» du ministère ont saisi le Bureau international du travail (BIT).
L’amendement de la loi 90-14 relative à l’exercice syndical semble ouvrir la voie à un agrément de la confédération. «Les services du ministère du Travail sont en train de revoir le dossier de notre agrément en attendant la publication au Journal officiel de cette loi, qui ne saurait tarder», croit savoir Boualem Amoura, nouveau coordinateur de la CSA. N. I.