Abderrahmane Matoub. Moudjahid, condamné à mort, mécène et activiste associatif : Un modèle d’honnêteté, de sincérité et de partage

09/10/2023 mis à jour: 00:03
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Tout d’abord, je tiens à remercier mon ami et confrère Youssef Zerarka à l’origine de notre rencontre conviviale et fraternelle, avec d’autres amis, autour de Si Abderrahmane, chez lui, à l’ouest d’Alger. Un rendez-vous pas seulement nostalgique, à ne pas manquer, d’autant que je l’ai perdu de vue depuis belle lurette.

 Notre dernière rencontre remonte à 1987, lors des Jeux méditerranéens de Lattaquié en Syrie, où j’étais envoyé spécial d’El Moudjahid et Abderrahmane, s’astreignant au devoir presque sacré de suivre passionnément, inlassablement, nos représentants sportifs aux quatre coins du monde, à ses frais, contre vents et marées. L’ambiance familiale qui régnait en ce bel après-midi, sous le bruit des vagues, avait un brin de solennité, car ce rendez-vous coïncidait avec le sympathique hommage rendu à Dahmane par l’association Ouled El Houma et son président Abderrahmane Bergui, ancien referee international et enfant, lui aussi, de Bab El Oued, qui a eu les mots justes pour souligner les mérites de notre hôte, notamment sa dimension citoyenne et son côté humain. Dahmane, le vieil homme qui est devant moi, a naturellement changé et subi les aléas de l’âge, mais il reste l’être subtil et inventif qui sait, sans calcul, rendre service spontanément et généreusement. Cela dit, rien ne l’exaspère plus que ces «modes» qui nous assaillent, affolant nos vieilles traditions si saines, si vraies. 

 

 

Dahmane, c’est l’histoire qui a vogué entre la Casbah où il est né le 10 octobre 1928, le quartier de la Marine, où il a vécu sachant s’extirper des nombreuses mauvaises fréquentations qui infestaient cet endroit et Bab El Oued où il a vécu ses meilleurs moments en compagnie de grandes figures à l’image de H’didouche et Djerroudi, notamment, deux dirigeants exemplaires. Dans ses yeux bleus brillent l’intelligence et le savoir. 
 

Cet homme-là croit tout simplement que la vérité est partout et nulle part et qu’il l’explore sans fléchir. L’essentiel est de s’aventurer et de s’exposer. Au fond, son secret s’appelle le goût du risque, et il n’a pas attendu lorsque le devoir patriotique l’a interpellé, lors de la guerre de Libération, en flirtant avec la mort, ou encore quand il a compté parmi les bâtisseurs de la Jeunesse sportive musulmane d’Alger, avec son frère cadet M’hamed, incarnant la défense de l’identité algérienne et les idéaux de liberté, en droite ligne avec leur aîné (H’didouche), Arezki Bouzrina, à l’état civil chahid, grand sportif, symbole de la JSMA historique et héros de la Révolution. Il est vrai que dans les belles âmes, tout est grand. 
 

Comme le notait mon ami Youssef qui connait bien les Matoub pour avoir toujours vécu à Bab El Oued, côtoyé la JSMA et connu, en voisin, l’entreprise citoyenne, dirigée par Abderrahmane, qui produisait des rubans, élastiques, tresses et lacets. «Dahmane, malgré les entraves bureaucratiques, a pu cheminer dans son activité les yeux rivés sur les modestes/ pauvres de Bab El Oued. A la rue Jean-Jacques Rousseau, actuelle Moussa Rebai, où son entreprise était implantée, le civisme était un trait emblématique. Tonton Dahmane n’y était pas étranger. Tel un père pour les plus jeunes, ou un grand frère pour les plus âgés, il prêchait la bonne parole et les commandements du vivre-ensemble en harmonie. El houma était propre, et tonton Dahmane y était pour beaucoup. Il finançait les campagnes ’’Hygiènes et embellissement’’. Sans calcul aucun. Il n’était pas politique. Il n’était candidat à rien. Plutôt si, il était candidat à un programme : le bien-être de l’Algérie et des Algériens.» 
 

TONTON DAHMANE, UNE MARQUE DE FABRIQUE 
 

Et Youssef de poursuivre : «Entre ouled el houmtou, là où il passait, une journée entière au milieu de ses ouvriers, il était fécond, très fécond. Tonton Dahmane était un partisan de l’éducation par le sport. Et pour cause. Avec son frère M’hamed, président de la JSMA, et lui vice-président, ils avaient présidé aux destinées de ce club, lancé à l’initiative du PPA/MTLD, cher à H’didouche, dirigeant nationaliste, ancien champion de natation et de gymnastique. Les deux frères Matoub ont fait de la JSMA un club emblématique de Bab El Oued, un club symbole de  BEO qui gagne.» 
 

«Ne ramenaient-ils pas des tenues flambant neuves, achetées avec leur propre argent ramenées d’Espagne ? Le club a franchi les étapes et les paliers et raté de peu l’accession parmi l’élite. Il avait flirté avec les premiers rôles en Coupe d’Algérie. 
 

Peu disent, Dahmane s’est aimablement livré en nous fournissant des infos inédites, comme par exemple lorsqu’il évoluait en junior, l’ASSE voulait l’engager en faisant la cour à mon papa pour que je franchisse le pas, en brandissant l’appât de me payer même mes études ou encore ayant appris qu’un rassemblement de jeunes dont ceux de la JSMA allait se dérouler au stade Cerdan, en présence de Naeglen en perspective des élections 
(truquées), H’didouche, qui n’était pourtant pas riche, est parti à Oran pour ramener une belle tenue vert et rouge pour nos jeunes, couleurs qui sont tout un symbole», poursuit-il. 
 

«Appréciez le dévouement et le don de soi. Avec Ferhani, mon coéquipier et surtout mon ami, ajoute Dahmane, on a joué à la JSMA, moi milieu offensif, lui gentleman arrière-central de l’équipe, toujours élégant. En toutes circonstances, nous tenions bien compte de ses paroles. A l’époque déjà, le Nidham encadrait les clubs sportifs musulmans, en visant une conscientisation et en livrant un discours politique simple mais très engagé. Et que la JSMA, club nationaliste, n’avait comme première ambition qu’encadrer les jeunes et les former, sans faire de bruit ni de l’ombre à quiconque, notamment les clubs phares voisins l’USMA et le Mouloudia. D’ailleurs, M’hamed est parti voir Djazouli pour lui dire : ‘‘Vous les grands clubs, représentez les Algériens. On est fiers de vous.’’ On leur a donné Deguigui, ce grand joueur qui s’est affirmé, ainsi que Guittoun, dont tout un chacun connait l’ascension fulgurante. Même si sa vocation est la formation des hommes, qui, Dieu merci, a été bien faite, la JSMA ne peut se taire devant les injustices. 
 

En 1974, on avait battu notre rival l’UPCS par 3 à 1 et on devait accéder. Un défilé et des réjouissances ont même eu lieu à Bab El Oued après le match de la montée. Mais c’est Salembier qui a accédé. Un dirigeant de ce club s’est déplacé à Bab El Oued le soir pour nous le faire savoir en narguant les supporters. Il a failli être lynché. Imaginez le dépit et la désillusion pour une affaire de double licence d’un de nos joueurs épinglé par la ligue. Après la reforme sportive, nous avons estimé que nous n’avions pas de place dans cette nouvelle configuration et nous sommes partis. Je peux dire que j’ai vécu, humblement mais heureux, dans le partage avec le peu que j’avais», se remémore-t-il. «Nous devons aux Matoub un épisode heureux et emblématique de Bab El Oued des temps heureux, commente Youssef  : l’épopée de la JSMA, le club de Bouzrina H’didouche, des frères Guittoun et d’autres noms. Les frères Matoub en avaient fait un club qui compte dans le paysage algérois.»
 

LE CLUB ALGÉRIE, UNE CERTAINE IDÉE DU SPORT SAIN

Sur un autre plan, Dahmane a été, avec son frère M’hamed, membre fondateur du Club Algérie, dédié à l’Equipe nationale de foot, mais pas que, puisque d’autres disciplines sportives avaient aussi droit de cité. Supporters passionnés des équipes nationales, toutes disciplines confondues, ils étaient de tous les déplacements à leurs frais à travers les continents. Avec son frère M’hamed, Ammi Salah El Guelmi (diplomate), Rachid Hamouche, Aziz Derouaz, Ali Doumi, Rey Louzoum (assassiné dans son échoppe place Audin), Daoud Krimat, notamment ont été à l’origine de l’avènement du Club Algérie des supporters de l’Equipe nationale. A propos de celle-ci, Dahmane n’en garde pas que des souvenirs heureux. Avec son humour sarcastique, il nous conte deux de ses aventures. 

La première a trait à la violence, qui est le contraire du sport : «Au Nigeria, nous nous sommes retrouvés ‘’otages’’ d’une centaine de supporters enragés nigérians, aveuglés par la défaite de leur équipe, qui n’ont trouvé mieux pour assouvir leur frustration que de venir ‘’secouer’’ le bus dans lequel on était, qui tanguait comme un bateau ivre. Il a fallu l’intervention de la sécurité, pour mettre fin à ce calvaire. La seconde aventure s’est déroulée en Egypte, où les rencontres entre l’Algérie et l’Egypte sont toujours passionnées et épiques, dépassant leur cadre sportif, pour donner lieu chez les spectateurs à des scènes hystériques inimaginables, qui heurtent le visiteur non averti. Vu sous cette optique, le football, sport qui réunit des milliards d’êtres humains, attirés par son spectacle, à travers la planète, s’éloigne de ses vertus et de ses louables objectifs pour devenir un vulgaire prétexte, voire un opium des peuples.» 

Sur le plan politique, Dahmane était un militant engagé sur le terrain des opérations à Alger, qu’il sillonnait sur sa Vespa et où il réalisait des attentats ciblés contre les forces d’occupation. A la suite de l’un d’eux, il a été identifié et condamné à mort par contumace par le tribunal militaire.

 

Par Hamid Tahri 

 

 

 

BEDJAOUI OMAR : AMI DE LONGUE DATE DE DAHMANE

«En 1963, j’habitais juste en face de son entreprise. J’étais sportif pratiquant le culturisme et le foot. Je suivais la JSMA, surtout lorsqu’elle évoluait à Cerdan. J’ai connu M’hamed, receveur des impôts à Bab El Oued, et son frère aîné Abderrahmane, qui était comme un père pour nous. Il nous a appris les belles manières et  recrutait ses éléments de l’entreprise dans la proximité, y compris la gent féminine. Notre quartier a donné des champions comme mon frère Brahim, Bouchama Mahfoud (judo) Baya Rahouli, Harkat, Boudakour...»

SAKHRI HAKIM : ANCIEN VOISIN À BAB EL OUED

«Ammi Dahmane est un homme gentil, d’une grande sagesse. Il passait une partie de son temps sur son balcon à Miramar. Nous étions jeunes et attendions le bus entre Miramar et Bab El Oued. Dès qu’on apercevait sa Mercedes, on était tout joyeux de faire le trajet avec lui dans sa voiture et il le faisait avec plaisir. Je me rappelle que des fois, nous étions gênés de l’arrêter, deux jours de suite, mais dès qu’il nous voyait, il s’arrêtait et nous appelait pour nous prendre avec lui.»

BRAHIM BEDJAOUI : ENTRAINEUR NATIONAL DE BOXE 

«J’ai commencé en boxe très jeune à la salle Algérie sous la conduite du regretté Mohamed Meftah. En 1974, j’ai participé au challenge des jeunes. Dahmane était notre voisin. Chaque matin quand j’allais à la pesée, je le voyais plongé dans la lecture de son journal. Un jour, il m’a appelé, en me posant la question : ‘’Tu vas boxer. -  Comment l’as-tu su ? -Mais dans le journal !’’ En guise de réponse, je l’ai rassuré qu’en toutes circonstances, je ne le décevrai pas. Il me mettait en garde contre les mauvaises fréquentations. Il ne ratait que rarement les galas organisés dans la capitale. Quand je gagnais, j’étais fier de le lui annoncer, et il était tout heureux.»
 

 

 

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